« Si on ne fait pas de recherches, on ne se développe pas »

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Dr Papa Saliou Sarr, enseignant-chercheur en Microbiologie du sol
Dr Papa Saliou Sarr

Présent au Burkina Faso dans le cadre du projet « Mise en place d’un modèle de promotion des cultures par l’utilisation du phosphate naturel du Burkina Faso », Dr Papa Saliou Sarr, enseignant-chercheur en Microbiologie du sol, mène des recherches sur le compost enrichi au phosphate naturel du Burkina Faso. Il participe aussi à la formation de jeunes étudiants. Le 13 avril, nous l’avons rencontré au Centre de recherches environnementales, agricoles et de formation (CREAF) de Kamboinsin. Il s’est confié sur ses travaux, ses expériences et sa vision de la recherche…

Qui est Dr Papa Saliou Sarr ?

Je suis enseignant-chercheur en Microbiologie du sol. J’étudie les interactions entre les plantes et les microbes du sol. Je suis au Burkina Faso dans le cadre du projet « Mise en place d’un modèle de promotion des cultures par l’utilisation du phosphate naturel du Burkina Faso » (SATREPS), mis en œuvre par le Centre international japonais de recherches agricoles (JIRCAS) et l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA).
Je suis un Sénégalais vivant au Japon. Je suis allé au Japon en avril 2006 dans le cadre de mes études doctorales. J’ai obtenu le grade de Docteur en 2011. Puis, de 2011 à 2016, j’ai été recruté en tant qu’enseignant-chercheur à l’Université de Kyoto. D’octobre 2016 à nos jours, je travaille Centre international japonais de recherches agricoles (JIRCAS), à Tsukuba.

Quels sont les travaux que vous menez dans le cadre du projet SATREPS ?

Ce projet s’active à valoriser le phosphate naturel du Burkina Faso. Le phosphate naturel est l’élément de base pour faire des engrais chimiques. Le Burkina Faso dispose de grands gisements qui ne sont pas vraiment exploités. Notre travail consiste à voir comment on peut rendre ce phosphate naturel plus accessible. Dans ce projet, nous avons plusieurs activités.
Je suis le responsable du volet microbiologique. Au lieu de transformer le phosphate naturel de manière chimique, avec des coûts très élevés, j’essaie de voir, avec des moyens plus simples et accessibles aux paysans, comment on peut faire cette transformation en partant du compost.
On fait le compostage en y ajoutant du phosphate naturel. Le phosphate naturel n’est pas très efficace parce que sa solubilisation est faible. Le taux de phosphore qui est dedans est assez élevé, mais il n’est pas très accessible aux plantes. Pendant le compostage, il y a des microorganismes très bénéfiques qui peuvent accélérer cette solubilisation. Le compost final a un taux de phosphate disponible plus élevé que le compost simple. En même temps, nous essayons de voir de manière scientifiquement toutes ces transformations moléculaires qui ont lieu à l’intérieur du compost tout au long du processus de production.

En faisant ce compostage, j’essaie aussi d’ajouter des souches de microorganismes qui font qu'à la fin, en comparant les résultats, on se rend compte qu’on a une augmentation de phosphate naturel disponible. Quand on répand ce compost dans le champ, on a une plus grande productivité.

Nous avons mené cette activité en 2018 et les résultats obtenus sont satisfaisants. Nous avons pu avoir une augmentation assez conséquente du phosphate naturel à cause de ces microorganismes. Après avoir testé les produits phosphatés que nous avons obtenus, nous avons constaté une augmentation du rendement, à hauteur de 20%, par rapport au compost simple sans phosphate naturel. Nous l’avons testé sur le sorgho, à la station de Kamboinsin et à la station de Saria.

En dehors de ces travaux, j’apporte aussi une formation académique aux étudiants burkinabè, surtout ceux de l’Université Joseph Ki-Zerbo. De temps en temps, j’ai des séminaires avec eux. J’ai un étudiant burkinabè avec moi qui prépare son doctorat dans ce cadre. Il faut donner la chance aux jeunes dans le domaine des sciences.

Est-ce que le compost amélioré avec du phosphate naturel peut-il être produit sur le plan industriel ?

Après avoir obtenu des résultats scientifiques probants, il faut qu’ils sortent du laboratoire, qu’ils soient vulgarisés. C’est cela l’objectif final. C’est possible de le faire. Dans ce sens, il faut juste mettre sur pied des unités de compostage. Il faut aussi élaborer des fiches et guides pour expliquer aux paysans le processus de production et d’utilisation.
En même temps, nous sommes en train de réfléchir sur une formulation biologique pour qu’on puisse mettre sur pied plusieurs unités de production de compost à base de phosphate naturel. Cela va nous aider à réduire l’utilisation des engrais chimiques qui sont chers et qui ont des conséquences fâcheuses sur la microflore du sol et même la santé des gens.
Au lieu d’acheter ces engrais chimiques, il faut investir dans les engrais biologiques moins chers pour le paysan pour impacter le rendement. C’est là le défi pour les chercheurs dans ce projet. Il faut convaincre le paysan que ce que nous sommes en train de faire peut augmenter son rendement. Après l'avoir convaincu, la collaboration entre les chercheurs et les organismes de développement permettra de produire ce compost à grande échelle.

Quelles sont les autres applications de la microbiologie du sol, à part la production des engrais ?

On ne peut pas faire de l’agriculture sans les microbes. On pense d’habitude que les microbes sont des organismes nuisibles. Mais 95% des microbes sont de « bons microbes ». Ils sont dans différents environnements. Et dans le sol, ils sont en grand nombre.
Quand vous déversez des engrais chimiques, à de certaines caractéristiques du sol, le phosphate va se lier à certains éléments du sol. Du coup, il est indisponible pendant un certain temps. Les microorganismes peuvent casser ces liens, en produisant des métabolites et rendre le phosphate disponible pour la plante.
Aussi, lorsque l’azote, élément essentiel du sol, n’est pas suffisante en grande quantité, il y a certains microbes qui ont la capacité de fixer l’azote de l’air. L’air est constitué de 78% d’azote, mais qui n’est pas utilisable par les plantes. Ces microbes utilisent cet azote pour leurs besoins spécifiques. Mais en le transformant, ils produisent de l’ammonium ou du nitrate que les plantes utilisent. En grandissant, la plante aussi produit des sucres, de l’énergie, utilisables par ces microbes. C’est donc un partenariat gagnant.
Il y a un autre type de microbes qui ne peuvent pas grandir sans les plantes. Ils ont besoin de l’énergie de la plante pour se développer dans le sol. En contrepartie, si les racines de la plante ne faisaient qu’un mètre par exemple, ces microbes l’aident à atteindre des nutriments qui sont à plusieurs mètres. Il y a d’énormes potentialités qu’on peut tirer de l’activité des microorganismes pour aider les plantes à grandir.

Vous vivez au Japon et vous y aviez étudié. Quel regard portez-vous sur le système de recherche en Afrique par rapport à celui du Japon ?

Il y a un gap énorme entre le système de recherche japonais et celui des pays africains. Ce gap se situe principalement sur le plan financier. Quand il n’y a pas de financement, quelle que soit ta motivation, tu ne peux pas travailler. Le gouvernement japonais injecte beaucoup d’argent à la disposition des instituts de recherche. Il y a aussi certains organismes qui ont des budgets de recherche, mais les chercheurs japonais doivent participer à des compétitions avec leurs projets. Chaque année, il y a cent à deux cent projets en compétition. Toutes les universités et centres de recherche font des demandes. Ils ont un très grand taux de réussite.
Ils ont aussi une bonne conduite de travail. Les gens sont tout le temps au laboratoire, de huit (8) heures à dix-neuf (19) heures. Ils y restent parfois jusqu’à vingt-et-une (21) heures pour travailler. Il y a, par ailleurs, la motivation de proposer des solutions aux japonais.

C’est un pays développé. Donc il est difficile de le comparer à nos pays. Mais si nos dirigeants mettent un peu plus de moyens pour aider les chercheurs, je pense que nous pourrons produire des résultats importants pour le développement de nos pays.

Mais nos chercheurs africains ne doivent pas tout attendre de l’État non plus. Il faut songer à faire des collaborations avec l’extérieur. Il suffit de bien rédiger les projets sur des problématiques communes que des organismes internationaux peuvent financer. De temps en temps, nos chercheurs peuvent séjourner pendant quelques mois à l’extérieur et leurs collègues peuvent également séjourner dans nos pays. Cela peut motiver les chercheurs à produire mieux. Si la motivation y est, nos chercheurs peuvent faire beaucoup de choses.

Nous avons étudié dans les mêmes universités, nous avons les mêmes connaissances. Ils ne sont pas plus intelligents que nos chercheurs africains. Ce qui manque, c’est l’accompagnement. Quand on est dans un environnement sain, avec les moyens et une vision claire, on peut avoir des résultats plus intéressants.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant qu’enseignant-chercheur ?

Tout dépend de l’endroit où je suis. Si je suis au Japon, les difficultés sont moindres. Je suis le responsable de mon laboratoire. J’ai une équipe. Donc nous partageons les tâches à exécuter et tout se passe bien. Sur le plan financier, nous avons les projets et le budget. Il suffit juste de les utiliser de manière efficiente. Le problème est qu’il y a beaucoup de choses à faire. Il y a une énorme charge de travail. Ça fait deux ans que je n’ai pas eu de vacances pour aller au Sénégal.
En étant au Japon, je m’exprime dans leur langue. J’y ai vécu très longtemps. Donc les collègues considèrent que je maîtrise la langue. Alors, ils m’envoient leurs messages et document de travail en Japonais. Du coup, comparé au Japonais normal, je suis un peu plus lent. Je fais plus d’efforts pour tout traduire. C’est un challenge intéressant. Bien sûr, il y a eu aussi la Covid-19.
En Afrique, c’est plus la disponibilité des produits de laboratoire. Souvent, on te dit que c’est fini. Il faut envoyer de l’argent. On ne sait pas si c’est suffisant ou non. Le travail s’en trouve donc entrecoupé. J’ai dû revenir au Burkina. Je n’étais pas revenu ici depuis 2019. Pendant mon séjour, les choses ont avancé significativement. Il y avait des produits qui manquaient. J’ai dû aller en ville pour en chercher. On a pu en trouver, mais il y en un qui manque toujours. On est donc en train de voir comment le trouver. Il y a donc un problème de coordination.
À part cela, l’étudiant avec qui je travaille se bat bien. Depuis cette longue absence, il va au terrain, il fait les prélèvements. Il a aussi commencé une nouvelle expérience de compostage depuis janvier. Je devais être ici depuis janvier, mais avec Omicron, je n’ai pas pu venir. Mais lui, il travaillait. On avait des séances virtuelles de travail. Il pouvait compter sur des chercheurs chevronnés comme Dr Ézéchiel Tibiri et Dr Fidèle Tiendrébéogo. Même quand je ne suis pas là, il a de l’accompagnement.

Quand il a terminé son Master, les résultats qu’il a obtenus étaient tellement bien qu’il a été récompensé par un prix international. Il a même voulu versé cette somme importante d’argent qu’il a eu pour l’achat de produits de laboratoire. Mais ce prix lui appartient. Quand un jeune accepte de prendre l’argent qu’il a gagné pour l’investir dans la recherche, il fait une très bonne impression. Avec un bon accompagnement, il peut être un excellent chercheur.
Les difficultés sont là. Mais elles font parties des difficultés de la vie. Dans tous les domaines, il y a des difficultés. Mais il faut y trouver des solutions et les affronter.

Comment avez-vous vécu la pandémie de la Covid-19 au Japon ?

La première phase a été terrible. Les universités et centres de recherche ont été fermés. On nous a demandé de travailler à la maison. Pour certaines filières, comme les sciences sociales, cela est possible. Mais, pour nous, c’est difficile parce qu’on a besoin de nos laboratoires. Après, on est revenu avec des conditions. Mais ce n’était pas facile.
Mais les Japonais sont des gens très respectueux. Quand le gouvernement édicte une consigne, elle est mise en application de manière scrupuleuse. Avec cette discipline, ils ont pu maîtriser la maladie de manière plus rapide.
Lorsqu’il y a eu la vague omicron, il y a eu des restrictions. De vingt (20) heures à six (6) heures, il n’y avait pas de restaurants ou de bars ouverts. Ils ont réussi à baisser drastiquement les cas. Mais les gens n’ont plus trop peur. Plus de 70% des Japonais ont eu leur troisième dose de vaccin.   

Avez-vous une adresse particulière ?

Il y a une certaine forme de hiérarchisation qui empêche les jeunes chercheurs africains, qui ont des potentialités, de s’exprimer et de s’affirmer. Ils dépendent toujours de quelqu’un. Ils doivent toujours demander des autorisations à leurs « maîtres » avant de faire quoi que ce soit.
Je me souviens d’une anecdote. J’ai eu un projet avec des partenaires camerounais. Et lors d’un de nos séminaires, un étudiant en Master a levé le doigt pour apporter une contribution. Son mentor lui a dit qu’il n’avait pas la possibilité de réagir parce qu’il est étudiant. J’étais choqué.

Au Japon, les jeunes ont plus de latitudes pour travailler. Ils sont encouragés et promus. On leur confie plus de responsabilités pour s’affirmer. C’est à eux qu’on confie la tâche d’organiser les conférences, de donner la parole à ceux qui ont des contributions. Ils sont mis au-devant des choses, parce que c’est eux la relève.
En Afrique il y a toujours un gap parce qu’après le départ des mentors, il n’y a pas de relève. Les jeunes n’ont pas eu de chances de s’exprimer et de s’affirmer. Donc, j’aimerais qu’il y ait une plus grande connectivité entre les séniors et les juniors.
Ensuite, j’aimerais que nos États investissent dans la recherche. Si on ne fait pas de recherches, on ne se développe pas, l’on ne créé pas de nouvelles choses. Quand l’on ne créé pas de nouvelles choses, on ne fait qu’utiliser ce qui est déjà là et ce qui est déjà là finit par s’épuiser. Pendant ce temps, les autres sont en train d’investir pour créer de nouvelles perspectives. Donnons la chance aux jeunes. Soyons plus collégiales entre nous. Partageons nos expériences.
Enfin, il faut que nos chercheurs intègrent l’Anglais dans leurs travaux. Même en France, ils sont obligés de le faire. Il faut apprendre l’anglais et écrire nos travaux et résultats dans cette langue. Au Japon, il y a des étudiants du monde entier. Il y a évidemment des Africains. Mais, pour la plupart, ils viennent des pays d’Afrique de l’Est et du Sud comme le Kenya, la Tanzanie, l’Afrique du Sud. Ils y sont très nombreux parce qu’ils sont anglophones. L’Afrique de l’Ouest est représentée, mais les étudiants ne sont pas si nombreux, sûrement à cause de la langue. Nous pensons plus à la France pour nos études. Alors que les Français eux-mêmes écrivent maintenant leurs travaux et résultats en Anglais.

Jean-Yves Nébié

Légendes

  1. Dr Papa Saliou Sarr, enseignant-chercheur en Microbiologie du sol
  2. Le chercheur exhorte ses pairs à accorder plus d’importance à la formation des jeunes