
Résumé
Face à la diminution progressive du peuplement de karité au Burkina Faso, des techniques de gestion et de régénération ont été proposées par la recherche à travers des projets de transfert aux communautés locales. Il s’agit de la pépinière, du semis direct, des plantations, de la taille sanitaire, du greffage et de la régénération naturelle assistée (RNA). L’étude, à travers les résultats d’une enquête menée auprès de 200 personnes, montre que l’adoption de ces techniques reste très faible. Une Seule la pépinière est adoptée par 20 % des enquêtés, tandis que les autres techniques sont peu ou pas utilisées. C’est le cas des semis de graines de karité dans les buissons et des plantations adoptées par 3% de nos enquêtés, et de la taille sanitaire adoptée par 14%. Les raisons de ces chiffres sont multiples. Certaines techniques sont jugées trop difficiles à appliquer, mal connues ou risquées pour les cultures.
- Introduction
Le karité joue un rôle central dans l’économie rurale du Burkina Faso (Coulibaly-Lingani, 2022). En effet, il est prisé particulièrement pour le beurre extrait de ses amandes dont la vente constitue une source de revenu pour de nombreux ménages en milieu rural (Kaboré et al., 2012 ; Coulibaly-Lingani, 2022). En dépit de son importance socio-économique, les peuplements de karité, à l’instar de ceux de plusieurs espèces ligneuses de grand intérêt socio-culturel, économique et écologique pour les populations rurales sont en déclin du point de vue de leur densité au Burkina Faso depuis les dernières décennies (Ouoba et al., 2018). Sa régénération naturelle ne suffisant plus à compenser les pertes dues à l’agriculture intensive, aux feux de brousse ou à la coupe des arbres, de nombreuses techniques agroforestières ont été promues par la recherche dont les objectifs sont d’aider les productrices de beurre de karité à mieux gérer les peuplements de karité. Pour se faire, les femmes productrices de plusieurs villages ont été formées, notamment celles du Réseau des Productrices de Beurre de Karité des Hauts-Bassins et des Cascades (RPBHC), à six techniques pour régénérer et préserver durablement cette ressource qu’est le karité. L’objectif de cette étude est donc de comprendre comment ces techniques sont perçues et utilisées par les populations rurales elles-mêmes. C’est ce que défend Rogers (1983) lorsqu’il affirme que la perception est déterminante dans l’adoption d’une innovation.
- Méthodologie
L’étude a été conduite dans dix villages répartis sur quatre communes rurales de la région des Hauts-Bassins au Burkina Faso à savoir Djuié, Dougoumato, Kongolekan et Bena (commune de Koumbia) ; Guena, Sidi, M’Bié et Kourinion (commune de Kourinion) ; Sérékéni (commune de Djigouera) ; et Noumoudara (commune de Péni). Ces localités sont situées dans les trois provinces de la région des Hauts-Bassins : le Tuy, le Kénédougou et le Houet connues pour leur fort potentiel en karité (Zerbo et al., 2024). L’enquête a ciblé des populations rurales impliquées dans la collecte, l’exploitation ou la gestion des peuplements de karité. Les données ont été collectées à partir d’un questionnaire administré à un échantillon de 200 personnes, soit 20 enquêtés par village. La constitution de cet échantillon repose sur une stratification double par genre et par statut foncier chez les hommes (propriétaires ou non propriétaires de terres), et par participation ou non à des formations techniques chez les femmes. Les entretiens ont porté sur les perceptions et les préférences des répondants en matière de techniques de régénération et de gestion des peuplements de karité. Enfin, ces données quantitatives ont été complétées par des observations de terrain visant à documenter les pratiques effectives de gestion du karité et à contextualiser les réponses fournies lors des enquêtes.
- Résultats et Discussion
Selon les conclusions des travaux de Zerbo et al., (2024), sur les dix villages étudiés, seuls deux (Djuié et Bena) ont réussi à maintenir la pépinière en état, avec une production continue de plants de karité. Ailleurs, cette technique a échoué principalement à cause du manque d’eau, une ressource rare et prioritairement réservée à la consommation domestique. De plus, de nombreuses femmes, bien que conscientes de l’intérêt économique du karité, hésitent à planter de nouveaux arbres dans leurs champs, par crainte de nuire aux cultures. Leur pouvoir décisionnel étant limité, elles préfèrent les espaces naturels, souvent plus propices à la régénération, mais dont elles ne sont pas propriétaires. Enfin, même parmi celles qui choisiraient les champs pour planter les jeunes karités, la condition est que cette espèce reste peu dense, ce qui réduit l’intérêt global pour la production en pépinière.
Les techniques comme la plantation, le semis, la taille sanitaire, le greffage ou encore la régénération naturelle assistée (RNA) sont peu, voire pas du tout, adoptées par les populations rurales. Plusieurs raisons expliquent cette situation(Zerbo et al., 2024).
Tout d’abord, les agriculteurs redoutent l’impact négatif d’un trop grand nombre d’arbres sur leurs cultures, notamment les céréales. En effet, une majorité des personnes interrogées (92 %) pensent qu’un parc de karité trop dense diminue la production agricole à cause de l’ombre portée par les arbres. Cette inquiétude est confirmée par des auteurs comme Zomboudré et al., (2005) ; Gbemavo et al., (2010) ; Saidou et al., (2012) ; Clermont-Dauphin et al., (2019) qui montrent que les rendements sont généralement plus élevés hors du houppier qu’en dessous. Sanou et Lamien (2011) précisent d’ailleurs que les paysans cherchent un équilibre entre la production des cultures et celle des arbres. S’ajoutent à cela des contraintes pratiques telles que la rareté de l’eau, les longues distances à parcourir pour arroser les plants, ou encore le besoin de protéger les jeunes arbres des animaux. Ces difficultés sont d’autant plus importantes dans les villages où la pression sur l’eau est forte. Le statut foncier joue aussi un rôle important. Selon Liniger et al. (2011), les agriculteurs sans sécurité foncière ne veulent pas investir dans la plantation d’arbres, par peur de perdre leur terrain. Botoni et al. (2010) soulignent également que la plantation peut être perçue par certains comme une tentative d’appropriation du sol, ce qui dissuade les non-propriétaires. Le temps nécessaire pour que le karité produise est d’environ 40 à 50 ans selon Sanou et Lamien (2011). Cela constitue un autre frein. Pour beaucoup d’agriculteurs, notamment les hommes, le karité ne semble pas rentable à court terme, contrairement à l’anacardier (noix de cajou), plus rapidement productif et dont les revenus leur reviennent directement (FAO, 2015 ; Pédelahore et al., 2019). Le karité, lui, est davantage exploité par les femmes, mais ces dernières n’ont souvent qu’un rôle secondaire dans la gestion des champs. Même si elles participent aux revenus du ménage grâce à la vente des amandes, elles n’ont ni le droit de décider de l’implantation d’arbres, ni celui de les protéger. Boffa (1995) a d’ailleurs montré que seules les femmes ayant un prêt foncier à long terme conservent plus d’arbres dans leurs champs, et que, sans leur intervention, beaucoup d’hommes réduiraient encore la densité de karité (Bagnoud et al., 1995).
Concernant les techniques de gestion des arbres, la taille sanitaire, malgré un taux d’adoption plus élevé (14 %), reste peu pratiquée à cause de la pénibilité physique du travail, surtout pour les femmes, et des démarches administratives obligatoires (Zerbo et al., 2024). Le karité étant une espèce protégée, les producteurs doivent obtenir une autorisation des services forestiers avant d’élaguer un arbre, ce qui freine beaucoup d’entre eux (Boffa, 2000). Certains disent d’ailleurs que sans cette réglementation, certains arbres seraient coupés sous prétexte de taille sanitaire. Le greffage n’a été adopté par personne. Les femmes formées disent ne pas maîtriser la technique, qu’elles trouvent trop compliquée. Selon Rogers (1983), plus une innovation est perçue comme complexe, moins elle a de chances d’être adoptée. Ce même auteur souligne aussi que si les avantages d’une innovation ne sont pas visibles, cela diminue son attractivité. C’est le cas ici, car peu de femmes voient les bénéfices du greffage, souvent peu efficace lors des essais. Enfin, la RNA, qui consiste à protéger les jeunes pousses naturellement présentes dans les champs, n’est pas pratiquée non plus. Elle demande des soins particuliers (dispositifs de protection, lutte contre le dessèchement), difficiles à mettre en œuvre à cause du manque de matériaux ou de la peur des sanctions forestières. Et surtout, les agriculteurs préfèrent éliminer les jeunes plants pour éviter une trop forte densité d’arbres, ce qui rejoindrait les analyses de Kaboré et al. (2012) et Botoni et al. (2010), selon lesquelles la régénération est souvent volontairement détruite pour préserver les cultures.
Conclusion
Cette étude visait à comprendre les perceptions des populations sur les techniques de régénération et de gestion durable du karité. De manière générale, ces techniques connaissent de faibles taux d’adoption. La pépinière est délaissée en raison du manque d’eau pour l’arrosage et d’un intérêt limité pour les plants produits. La plantation et le semis suscitent des réticences du fait de l’ombrage des arbres, perçue comme nuisible aux cultures. La taille sanitaire, quant à elle, est jugée pénible et freinée par le statut protégé du karité. Le greffage est considéré comme difficile à mettre en œuvre et peu efficace. Enfin, la RNA n’est pratiquée que pour remplacer les vieux arbres, afin de maintenir une densité compatible avec la production agricole. Dans un contexte où les femmes ont peu de pouvoir sur la gestion foncière, une implication plus active des hommes aurait sans doute renforcé l’impact du processus de diffusion de ces techniques.
Références bibliographiques
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