Covid-19 au Burkina Faso : récit de vie des patients

Submitted by RedacteurenChef on Tue 11/11/2025 - 16:25

 

Auteurs : Konaté B1,2, Méda R2, Traoré I2,3, Ouédraogo S4, Kaboré N F2, Mamguem A K5, Billa O5, Kania D2, Badolo H6, Ouédraogo E7, De Rekeneire  N2,8, Poda A3,9, Diendéré A E10, Ouédraogo B11, Tinto H12, Dabakuyo-Yonli S5 

1 Institut des Sciencesdes Sociétés, Ouagadougou, Burkina Faso, 

2 Centre Muraz, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso,

3 Université Nazi Boni, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso,

4 Université Mc Gill, ONSP, Canada,

5 Epidemiology and Quality of Life ResearchUnit, Georges François Leclerc Comprehensive Cancer Centre-UNICANCER, France;

6 Observatoire nationaldesanté publique; 

7 Institut de Recherche en Sciences de la Santé, Ouagadougou, Burkina Faso;

8 Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia,   

9 Centre Hospitalier Universitaires Sanou Souro;

10 Centre Hospitalier Universitaires Bogodogo;

11 Direction des systèmes d’information en santé ; 

12 Institut de Recherche en Sciences de la Santé, Nanoro, Burkina Faso

Introduction

La maladie à Coronavirus-2019 (COVID-19), apparu à Wuhan, en Chine en fin décembre 2019 a été déclarée comme urgence de santé publique de portée internationale en janvier 2020 (Sun et al, 2020).  Bien que les Amériques, l’Europe et l’Asie du sud-ouest aient été les régions les plus touchées, le nombre de cas n’a cessé de croître en Afrique. Au Burkina Faso, après la confirmation du premier cas en mars 2019, le nombre de cas et de décès n’ont cessé d’accroitre surtout dans les grandes villes comme Bobo-Dioulasso et Ouagadougou.  Pour y faire face, un plan national de riposte, des directives de prise en charge ont été établis, des agents de santé ont été formés à la prise en charge (Ministère de la santé, 2020). Toutefois, au Burkina Faso comme dans la plupart des pays africains, le système de santé souffre de la vétusté des infrastructures de santé, de l’insuffisance de personnels de santé. Ce qui pourrait impacter négativement sur la prise en charge des patients Covid-19. Or, les informations fournies par les patients pourraient être utilisées pour améliorer la prise en charge et les soins des patients Covid-19.  L’objectif de cette étude   est d’explorer le vécu des patients Covid-19 guéris qui ont été prises en charge dans les Centres hospitaliers universitaires de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou.  Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique : « A Qualitative Study of the Experience of COVID-19 Patients in Burkina Faso », publié dans la revue American Journal of Tropical Medicine and Hygiene., 00(00), 2023, pp. 1–9, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38109766/

1) Méthode

Il s’agit d’une étude transversale, qualitative et non comparative réalisée à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux grandes villes du pays les plus touchées par le Covid-2019.  Elle a concerné les patients guéris pris en charge par les centres de traitement des deux villes. L’ensemble des entretiens a fait l’objet d’enregistrement à l’aide de dictaphone numérique, puis intégralement transcrits et une analyse de contenu thématique a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner Le protocole a été approuvé par le comité d’éthique du ministère de la santé. L’anonymat, la confidentialité ont été garantis et les personnes collectant ou manipulant les données ont été astreintes au respect strict du secret professionnel. 

2) Résultats

2.1. Les participants à l’enquête

Au total, treize patients ont été interviewés (6 à Ouagadougou et 7 à Bobo-Dioulasso).  Il y avait presqu’autant d’hommes que de femmes (6 hommes contre 7 femmes). Ils étaient en majorité mariés, de niveau d’instruction secondaire. Leur âge variait de 20-80 ans. Le confinement a été fait à l’hôpital pour 8 patients contre 5 à domicile. Les périodes de prise en charge se situaient entre Octobre 2020 et Janvier 2021.  Ils affirmaient exercer les professions suivantes : agent de santé, enseignant, ingénieur agronome, monitrice des enfants, retraités, sociologue et ménagères.  

2.2. Raisons du dépistage 

La prise en charge des patients Covid-19 commence avec le dépistage. Pour les patients interrogés, plusieurs raisons ont justifié leur dépistage au Covid-19. Il s’agit premièrement de l’apparition d’un certain nombre de symptômes liés à cette maladie suite au contact d’un cas confirmé ou suspect comme le stipule  ce patient : 

Entre temps je ne me sentais pas, et je croyais que c'était le palu. On a commencé à traiter ça à la maison et entre temps je me suis rendu compte que c'était encore compliqué, et je suis allé à l'hôpital Saint Camille et c'est de là-bas que le médecin a constaté que je toussais beaucoup beaucoup et c'est en ce moment qu'il m'a conseillé de faire le test, je l'ai fait et y a un 2ème test qui est venu confirmer le premier test que je suis positif covid-19 (Patient 01) .

Ensuite, d’autres enquêtés, sans symptôme, ont justifié leur test suite au contact avec un cas dépisté positif : 

« Voilà, pour le test on a eu une collègue, notre  coordonnatrice du projet qui devrait rentrer dans son pays. Elle est allée faire le test de Covid-19 et c'est révélé positif. C'est là maintenant on nous a appelé dans la nuit vers 1h 2h du matin en nous recommandant de faire nos tests. Et   je suis allé à Pogbi faire le test et là-bas on nous a dit 72 heures après qu'on aura nos résultats. Et 72 heures après, on m’a déclaré positive » (Patiente 02)

Enfin, quelques participants ont enfin déclaré avoir été testés positifs au COVID-19 après avoir été hospitalisés pour une autre maladie dont les symptômes étaient semblables à ceux de la Covid-19.  C’est le cas de cette patiente : 

« Oui, ça a commencé par des maux de tête et nous sommes allés à la clinique de l'avenir, eux ils ont dit que c'est le palu dengue et j'ai été hospitalisée là-bas pendant cinq jours sous perfusion. C'est le lundi qu'on nous a libérés, nous sommes venus à la maison lundi, mardi, et le mercredi les difficultés respiratoires ont commencé. Quelqu'un nous a dit qu'il y a un pneumologue à St Léopold, nous sommes allés là-bas et ce jour-là le docteur n'est pas venu.  Quand nous sommes allés là-bas, ils ont dit que c'est effectivement ça mais, comme ça coïncidait avec la Noel, ils ont dit que le médecin qui est là est un chrétien et qu'il ne sera pas là ce jour-là. Et c'est le lendemain que les gens-là sont venus faire le test Covid-19  à St Léopold » (Patiente 04)

2.3. L’annonce des résultats 

Une fois le prélèvement effectué, les résultats doivent êtes annoncés aux patients 

L’évocation ou l’annonce des résultats suscite des réactions différentes selon les patients. En effet, à l’annonce des résultats, certains informateurs ont affirmé être choqués. Ce choc est dû au fait qu’ils ne présentaient aucun signe/symptôme de la Covid-19

« Le résultat ma choquée et ça m'a surpris parce que je ne manifestais aucun signe, aucun symptôme de la maladie. Du coup  je ne comprenais pas pourquoi j’ai contracté le virus » (Patient 05)

Il est aussi dû au fait de l’état de santé de certains qui les rend à risque de développer une forme grave de Covid-19 en occurrence les personnes souffrant de diabètes, de maladies respiratoires. C’est le cas de ce patient qui exprimait ces inquiétudes à l’annonce de son résultat positif qui l’a même empêché de dormir : 

Oui cette remise de résultats ma choquée, je n'attendais pas à un résultat positif, et comme je fais l'allergie d'asthme, et comme j'entends chaque fois que les diabétiques, les asthmatiques sont vulnérables, je me suis senti vulnérable. Donc c'était avec difficulté que j'ai conduit de la banque SGBF ou j'étais quand on m'a annoncé le résultat  jusqu'au CMA de Pissi. Et la nuit je n'ai vraiment pas bien dormi ». (Patient 08)

2.4. Le partage des résultats et réaction de l’entourage

Les résultats du test Covid-19 ont été pour la plupart partagé avec les proches parents et l’entourage professionnel 

« J'ai partagé la nouvelle avec mes parents d'abord car je ne vis pas avec eux à Ouagadougou. Bon honnêtement quand j'ai appris, j'ai appelé mes deux frères à Ouaga, je les ai dit que je suis au district de Bogodogo, que j'ai finalement fait le test et c'est révélé positif   j'ai finalement fait le test et c'est révélé positif (01_PMG1_CS)

Qu’il soit familial ou professionnel, la réaction de l’entourage informé a été jugée positive pour la majorité des patients comme le témoigne  ce patient : 

« Oui oui, les gens m'appelaient pour m'encourager, en tout cas j'ai eu du soutien psychologique du côté familial, et des collègues »  (Patiente 06)

Toutefois, quelques patients affirment avoir fait l’objet de plusieurs formes de stigmatisation de la part de leur entourage informé à l’exemple de cet informateur : 

« A 12 heure j'étais au niveau du robinet et cela a coïncidé avec la sortie des enfants ; il y'a une monitrice qui était assise à l'écart sur le pneu non loin du robinet, et quand j'ai commencé à m'approcher d'elle, elle a commencé à parler en disant : hééé faut pas t'approcher de moi hein, je ne veux pas que covid-19 -là m'attrape » (Patient 02)

D’autres formes de stigmatisation ont été rapportées notamment le refus de saluer par les collègues de service pour avoir rendu visite à un patient Covid-19 ou encore le refus de participer à l’enterrement de patients décédés de Covid-19.

2.5. L’itinéraire thérapeutique

Avant la mise sous traitement Covid-19, les patients ont affirmé avoir emprunté des itinéraires thérapeutiques divergents. Il s’agit du     recours à une formation sanitaire pour une minorité de patient. Ensuite, la plupart des patients ont reconnu avoir eu comme premier recours l’automédication à base de médicaments modernes qui sont le   Febrilex, contre la toux et le rhume, le CAC 1000 pour se remonter et   l’Artemether et Laridox comprimé contre le paludisme. En plus de ces comprimés, quelques patients ont affirmé avoir fait recours aux médicaments traditionnels. Face à l’échec de ces traitements, le recours aux formations sanitaires publiques ou privées étaient la seconde option pour la totalité des patients 

2.6. Vécu de la maladie pendant l’hospitalisation 

 Ce vécu des patients porte sur plusieurs aspects de la prise en charge. Il s’agit du traitement, de l’alimentation, du suivi, des relations soignants/patients, les mesures d’hygiène des locaux. En effet, plusieurs patients affirment avoir non seulement mal vécu le fait que le personnel de santé les obligeait à prendre les médicaments très tôt le matin avant même qu’ils ne fassent leur toilette, mais surtout le mode payant des médicaments alors que les autorités parlaient de prise en charge gratuite des patients Covid-19.   

De plus, certains reprochaient le retard dans la distribution du repas, l’absence de petit déjeuner pour les patients qui n’avaient pas d’accompagnant Aussi, plusieurs patients, surtout ceux confinés à domicile, ont difficilement vécu le non-respect du programme des prélèvements au cours de la prise en charge, l’isolement lors de leur confinement à domicile considéré comme une sorte de prison 

En ce qui concerne les relations entre soignant et patient, très peu de reproches ont été faits aux agents de santé impliqués dans la prise en charge. Seulement quelques patients se sont plaints du comportement de certains agents qui élevaient le ton pendant l’accueil, 

Malgré ces griefs précédemment soulignés,  il faut noter que bon nombre de patients ont tout de même apprécié positivement leur prise en charge dans les centres de santé.  Ils   ont souligné le respect des mesures d’hygiène dans les centres de prise en charge, le bon accueil, la ponctualité, la courtoisie et la bonne communication observés chez certains agents.

Conclusion

Les résultats de cette recherche montrent que les patients Covid-19 ont des expériences diverses. Ces différences concernent les raisons de dépistages, les itinéraires thérapeutiques, les interactions soignants-patients. Le croisement de ces expériences offre un portrait complet de la prise en charge des patients. Cette expérience des patients pourrait fournir des informations pertinentes qui peuvent être utilisées pour améliorer la gestion et les soins, en particulier dans les milieux à ressources limitées où les directives internationales peuvent ne pas être applicables.

Références bibliographiques 

Konaté B, Méda R, Traoré I, Ouédraogo S et al, 2020, A Qualitative Study of the Experience of COVID-19 Patients in Burkina Faso, Am. J. Trop. Med. Hyg., 00(00):  1–9

Ministère de la Santé, 2020. Plan de Préparation et de Riposte à une éventuelle épidémie de COVID-19 au Burkina Faso. Ouagadougou,Burkina Faso: Ministère de la Santé.

Sun P, Lu X, Xu C, Sun W, Pan B, 2020. Understanding of COVID-19 based on current evidence. J Med Virol,  92: 548–551.