La 20ᵉ édition du Festival international de théâtre et de marionnettes de Ouagadougou (FITMO), placée sous le thème « Arts, Environnement et Santé », et la 16ᵉ édition du festival Rendez-vous chez nous, autour du thème « Se reconnecter », se sont ouvertes par une table ronde inaugurale sur le thème « Politiques culturelles nationales et politique confédérale des États membres de l’AES ». Chercheurs, cadres techniques des ministères de la Culture et artistes y ont échangé sur la place stratégique de la culture dans la construction de la Confédération sahélienne et sur la nécessité d’une vision commune capable d’articuler identité, création et souveraineté.
La rencontre s’est tenue à la salle de réunion de l’Hôtel de Ville de Ouagadougou, en présence d’artistes, d’étudiants, de responsables institutionnels et de festivaliers venus du Burkina Faso, du Niger et d’autres pays. Elle a été modérée par le Pr Salaka Sanou, universitaire reconnu et spécialiste des politiques culturelles.
Le mot de bienvenue du Dr Hamadou Mandé
Le président du FITMO et du comité d’organisation, Dr Hamadou Mandé, a ouvert la séance en souhaitant la bienvenue à l’ensemble des participants et en exprimant sa gratitude envers les artistes et partenaires ayant répondu présents à l’appel du festival.
Il a rappelé que cette 20ᵉ édition du FITMO, couplée à la 16ᵉ édition du festival Rendez-vous chez nous, illustre la volonté des organisateurs d’unir les énergies et de renforcer les synergies artistiques entre les peuples.
« Merci à tous les artistes du Burkina Faso, d’Afrique et d’ailleurs d’avoir fait confiance au FITMO. Que cette édition soit pour nous l’occasion de consolider notre amitié et la solidarité agissante qui nous lie », a-t-il déclaré.
Le Dr Mandé a également remercié le Pr Salaka Sanou pour sa disponibilité à modérer les échanges, ainsi que les communicants issus des ministères de la Culture du Burkina Faso et du Niger.

Il a précisé que, bien que le Mali n’ait pu être représenté pour des raisons de calendrier, le débat sur les politiques culturelles nationales et confédérales s’inscrit dans une dynamique continue appelée à se poursuivre lors d’autres rencontres. Enfin, il a replacé cette édition dans le contexte du moment historique que traverse le Sahel :
« Cette édition intervient à une période où, à travers la Confédération des États du Sahel, notre région affirme sa volonté d’indépendance, de souveraineté et de responsabilité partagée. Conscients du rôle stratégique de la culture dans la construction des nations, nous voulons faire du FITMO 2025 une tribune pour exprimer notre vision du développement culturel au service de la dignité et de la renaissance africaine. »
Le cadre de réflexion posé par le Pr Salaka Sanou
Le Pr Salaka Sanou a rappelé qu’une politique culturelle repose sur une vision, des objectifs et des moyens. Il a précisé que ces moyens sont humains, financiers, institutionnels et infrastructurels. Une politique culturelle, a-t-il souligné, s’appuie sur des institutions solides et des espaces capables de traduire cette vision en actions concrètes.

C’est dans ce cadre qu’il a introduit les deux communications principales, consacrées à la politique culturelle du Niger et à celle du Burkina Faso.
Le Niger face à ses contradictions culturelles
Le premier intervenant, Édouard Lompo Amadou, auteur, dramaturge, réalisateur et formateur, a présenté une communication intitulée « La politique culturelle du Niger, entre fragilité économique et stratégie culturelle ».
Il a rappelé que le Niger s’est doté d’un cadre officiel depuis la fin des années 2000. Sous la présidence de Mamadou Tandja ont été adoptés un décret portant Déclaration de politique culturelle nationale (2008) et une loi d’orientation relative à la culture (2009). En 2011, un Plan stratégique national de développement culturel a suivi, visant à structurer les filières et professionnaliser les acteurs.

L’objectif affiché est de préserver le patrimoine matériel et immatériel, d’affirmer l’identité nationale et de faire de la culture un levier de développement et d’intégration sociale. Mais la mise en œuvre reste entravée par plusieurs facteurs : priorités économiques et sociales, manque de ressources humaines et faiblesse du financement.
Le communicant a aussi salué l’héritage d’infrastructures culturelles construites sous les régimes militaires, qui ont permis d’installer durablement des maisons de la culture, des musées et des foyers communautaires dans plusieurs régions.
Tout en reconnaissant une ambition réelle (formation d’enseignants en éducation artistique, professionnalisation des acteurs, développement d’industries culturelles), il a noté l’absence de suivi et de données actualisées.
En conclusion, il a souligné que la culture, bien que reconnue comme pilier du développement, demeure fragilisée par les contraintes économiques et institutionnelles. Il a exprimé l’espoir que l’Alliance des États du Sahel favorisera une harmonisation des politiques culturelles et une mutualisation des efforts.
Le Burkina Faso mise sur la structuration et la souveraineté culturelle
Le second intervenant, Rasmané Ouédraogo, conseiller des affaires culturelles et responsable de la planification à la Direction générale de la culture et des arts du Burkina Faso, a présenté la politique culturelle actuelle de son pays.
Il a rappelé que l’action du ministère s’inscrit dans le Plan sectoriel culture, tourisme, sport et loisirs 2018–2027 et la Stratégie nationale de la culture et du tourisme, qui vise à faire du Burkina Faso une référence culturelle et touristique.

Le patrimoine culturel y occupe une place centrale, avec un inventaire national actualisé et la protection de sites tels que la cour royale de Tiébélé, inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2024. Il a également cité les réformes récentes, dont la nouvelle loi sur le patrimoine culturel et celle sur le cinéma et l’audiovisuel.
Rasmané Ouédraogo a mis en avant les outils de mise en œuvre : le Fonds de développement culturel et touristique (FDCT) et l’Agence burkinabè du cinéma et de l’audiovisuel (ABCA), ainsi que le soutien aux grands festivals comme le FESPACO et la Semaine nationale de la Culture.

Deux priorités ressortent, à savoir la rémunération juste des artistes et la formation du public. Le ministère modernise le Bureau burkinabè du droit d’auteur et étend la perception des droits au numérique, tout en généralisant l’éducation artistique et culturelle dans les écoles.
L’intervenant a reconnu que des défis demeurent, notamment le financement durable, la professionnalisation des filières et la décentralisation des infrastructures culturelles. Il a conclu en présentant la culture burkinabè comme un acte de souveraineté et de dignité nationale.
Vers une vision confédérale de la culture sahélienne
Les deux communications ont mis en évidence des réalités différentes mais complémentaires. Le Niger cherche à consolider une politique encore fragile, tandis que le Burkina Faso s’attache à structurer et professionnaliser ses filières. Tous deux s’accordent sur l’importance de la culture comme pilier de souveraineté dans le cadre de l’AES.

Le public a ensuite échangé sur la vision politique des autorités, les moyens accordés aux ministères et la place des ressources humaines. L’absence du Mali a été notée, mais la table ronde a été saluée comme une étape fondatrice vers une réflexion culturelle commune.
Et dans la rue, l’autre scène
Quelques heures plus tard, le sérieux du débat a cédé la place à la liesse populaire, la parade d’ouverture du FITMO–Rendez-vous chez nous 2025. Elle a débuté à 16h30 sur l’ancien terrain du lycée de la Jeunesse, avant de s’ébranler dans une ambiance festive vers l’Espace culturel Gambidi, qu’elle a atteint à 17h11 précises. Fanfares, marionnettes géantes, artistes, élèves et sympathisants ont animé le cortège dans une explosion de couleurs et de sons, sous les applaudissements d’un public conquis. À Gambidi, la cérémonie d’ouverture des deux évènements couplés a ensuite pris le relais, donnant le ton d’une édition placée sous le signe du partage et de la célébration de la vitalité culturelle africaine. Une transition éloquente entre la pensée et la fête, entre la politique culturelle et sa plus belle incarnation, le peuple en mouvement.
Abrandi Arthur Liliou