Confiance sociale et participation à la promotion de la santé

Submitted by RedacteurenChef on Tue 21/11/2023 - 13:00

Résumé

Cet article utilise les résultats d’une étude portant sur la participation communautaire aux actions de santé dans la province du Boulgou. Il analyse les facteurs qui influencent l’établissement de la confiance entre les populations et les membres des comités de gestion des centres de santé (CoGes) en vue d’une mobilisation communautaire en faveur des actions de santé. Les résultats indiquent que de nombreux facteurs sociaux empêchent l’établissement de réelles relations de confiance entre les populations d’abord et entre les populations et les membres du CoGes et les agents de santé ensuite. Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique : Issa Sombié (2023) « Capital social et engagement communautaire à la santé », Djiboul, N°006, vol2. ISSN 2710-4249, eISSN : 2789-0031.

Introduction

Dans le cadre de la mise en œuvre des soins de santé primaires, le gouvernement du Burkina Faso a mis en place des CoGes composés des membres élus de la communauté en vue promouvoir la participation communautaire(Sombié et al., 2017). En effet, les CoGes doivent mobiliser les communautés pour leur pleine implication dans la gestion des centres de santé à travers une contribution financière, une implication physique dans la réalisation de certains travaux au profit des centres de santé, la fréquentation des services de santé en cas de maladies, la présence aux activités de promotion de santé(Ridde, 2007). Les CoGes jouent le rôle d’interface entre les services de santé et les populations locales. Plusieurs études ont montré que la participation communautaire à la santé telle que conçue a du mal à se mettre en œuvre dans les aires de santé. En dépit des efforts constants et appréciables consentis par le gouvernement et ses partenaires, on note que les CoGes n’arrivent pas à mobiliser les populations comme souhaité. Une étude a été conduite avec pour objectifs d’analyser les facteurs qui influencent la dynamique de la participation communautaire à la santé dans le district sanitaire de Tenkodogo.

La confiance est un facteur qui a été abordée au cours de l’étude. En effet, nombre d’études(Abelson et al., 6; Keele, 2007; Kramer, 2009) ont montré que la confiance joue un élément important qui entre en jeu dans la construction des liens de collaboration entre les individus. Accepter de s’associer, de suivre les directives, les recommandations, répondre aux sollicitations d’un individu ou des membres d’un groupe donné, reste conditionné par une assurance, un sentiment de sécurité, une croyance, une certitude. La confiance n’est pas une réalité abstraite qui existe en dehors des rapports que les individus entretiennent les uns avec les autres. Elle est le résultat d’une construction sociale qui repose sur la mise en relation de faits, d’évènements, de caractéristiques individuelles et collectives(de Vries, 2005; Khullar, 2019; Lewis & Weigert, 1985). Les résultats de l’étude ont montré que l’établissement des liens de confiance entre les populations et les membres des CoGes tire ses sources dans plusieurs facteurs comme indiqué par les personnes interrogées. Le présent article vise à identifier et analyser les facteurs sociaux qui conditionnement l’établissement des relations de confiance entre les individus dans un contexte de promotion de la participation communautaire à la santé.

Méthodologie

L’étude a eu lieu dans la province du Boulgou. Les données ont été collectées dans les villages de  s’est déroulée dans le district sanitaire de Tenkodogo, région sanitaire du Centre-Est au Burkina Faso. Les données ont été collectées entre novembre 2022 et janvier 2023 dans quatre aires sanitaires(Louanga, Soumangou, Cella et Ouéguédo). Les personnes interrogées sont des chefs de ménages(n=60), des leaders communautaires(n=30) . Les données ont été collectées à travers des entretiens individuels par le responsable de l’étude et deux assistants de recherche. Tous les entretiens ont été enregistrés, transcrits et saisis dans des fichiers Word. A l’aide du logiciel NVIVO, tous les entretiens ont été codifiés avant d’être analysés. A la suite , tous les passages relatifs à un thème donné , ont été regroupés dans un fichier unique. Des résumés ont été produits afin de disposer d’un corpus cohérent pour l’analyse. Des extraits des discours(verbatim) ont été utilisés dans le texte pour renforcer les analyses et mieux illustrer des opinions.

Résultats

L’âge 

Il a été non négligeable dans l’établissement de la confiance dans les relations entre les membres CoGes et les communautés.  Beaucoup estiment, qu’il est plus indiqué de croire en la sincérité des personnes âgées qu’à celle des plus jeunes. Ils expliquent cette disposition par le fait que dans les communautés rurales, beaucoup de personnes âgées continuent d’incarner certaines valeurs importantes telles que l’honnêteté, le respect de la parole donnée, l’impartialité. Parlant de personnes âges, la plupart ont indiqué faire référence à des individus dont l’âge se situe au-dessus de 50 ans.  Même s’ils sont conscients que dans le groupe de personnes âges, on peut trouver des gens qui n’incarnent pas forcément les valeurs ci-dessus citées, ils soutiennent que généralement la honte reste un phénomène que redoute les gens et plus particulièrement ceux qui, grâce à leur âge occupent des positions sociales importantes dans la société. Les chefs de famille ou des notables sont très regardant sur leur image dans la société à tel point qu’ils s’interdisent de poser des actes qui peuvent les discréditer. Un participant expliquait pourquoi, il fait confiance aux plus âgés :

« De nos jours, les jeunes n’ont plus de valeurs, ce qui les préoccupe, c’est leurs intérêts personnels et le reste ce n’est pas leur problème. On aime dire ici qu’ils ne savent pas ce qu’on appelle la honte. Donc, si tu dois collaborer avec des gens pareils, tout peut arriver. Mais avec les gens d’un certain âge, ils s’interdissent un certain type de comportement comme le mensonge, les fausses accusations. On ne peut pas dire qu’avec eux, c’est garantie, mais ça vaut mieux qu’avec les plus jeunes » (Enq24, 41 ans).

Un autre groupe de participants fait référence à l’âge dans un autre sens. En effet, selon ces derniers, il est plus facile d’établir la confiance entre des personnes d’une même classe d’âge étant donné qu’elles partagent un certain nombre de préoccupation et pourront avoir une compréhension commune de certaines réalités. La relation sera équilibrée de sorte à faciliter une meilleure communication entre les acteurs. Ils estiment que sans un échange franc et sincère, il est difficile pour les parties en interaction de saisir les attentes réelles des autres, et agir en conséquence. Or si les jeunes se trouvent dans des situations où ils doivent collaborer avec les ainés, ils n’arrivent pas à exprimer clairement leurs attentes du fait du déséquilibre du pouvoir entre les générations. Ils acceptent souvent malgré eux de s’engager tout en étant pas sur de l’éventualité de la satisfaction de leurs attentes. Ils précisent qu’il y’a des domaines ou la relation de confiance peut s’instaurer rapidement entre les individus sans tenir compte de leur classe. Par contre, il est des domaines où l’assurance vient des individus de la même génération comme, le relève cet enquêté :

«  Selon moi, la question d’âge est liée au sujet qui fait l’objet de collaboration. Je sais que les jeunes peuvent avoir confiance aux personnes âgées sur les questions relevant de la coutume, de religion et des faits liés aux affaires mystiques. Par contre, sur les questions touchant à la sexualité, ils vont se tourner vers leurs promotionnaires » (Enq45, 36 ans).

D’une manière générale, il semble admis que l’âge participe à la création d’une situation de confiance. D’une part, l’âge permet à certaines personnes d’accéder à des fonctions sociales qui exigent d’elles une conduite sociales exemplaire. Ce faisant, la collaboration avec ces dernières souffrent peu de calculs égoïstes. D’autre part, on estime que les individus d’une même génération sont susceptibles de nourrir les mêmes intérêts et le fait de partager les mêmes préoccupations pourrait créer une situation favorable à la coopération. On tend vers l’hypothèse que la solidarité est plus agissante entre les personnes d’une même génération.

Le sexe

Le fait d’être homme ou femme influence la construction de la relation de confiance. En effet, il ressort des résultats de l’enquête que les populations se sentent plus en sécurité en confiant la gestion de certaines affaires publiques aux femmes qu’aux hommes et vice versa. En effet, nous avons remarqué que dans la plupart des organisations communautaires, les postes de trésorier sont confiés aux femmes. Un participant explique les raisons :

« En matière d’argent, les gens font plus confiance aux femmes qu’aux hommes pour plusieurs raison. Généralement, les femmes manquent de courage, surtout en milieu rural pour poser certains actes. Il est difficile d’entendre qu’une femme a détourné l’argent d’une caisse à son profit, si cela arrive, c’est qu’il y’a un homme qui est derrière. Il y’a des décisions que nos femmes ne peuvent pas prendre seules sans demander l’avis de leur mari. L’autre chose est que les femmes ne supportent pas la honte comme les hommes, ce qui fait qu’elles sont plus prudentes dans la gestion. Enfin, les femmes arrivent à mieux gérer les caisses que les hommes par le fait aussi, qu’elles savent se contenter du peu » (Enq51, 64 ans).

Un commerçant indiquait également qu’en matière de crédits, les femmes sont plus solvables que les hommes. En effet, il soulignait que très peu de femmes dans le village lui sont débitrices contrairement aux hommes. Il poursuivait que même si elles sont des difficultés pour rembourser, elles viendront au moins t’informer. Et de conclure qu’en matière d’argent, il vaut mieux faire confiance aux femmes qu’aux hommes. Un président de CoGes, évoquant la question de l’honnêteté et de la transparence des femmes dans la gestion des ressources financières, a noté que pendant tout le temps que les femmes ont occupé le poste de trésorier, il n’y’a jamais eu problèmes. Tous les problèmes relatifs à la gestion financière du CoGes sont intervenus avec des hommes au poste de trésorier, va-t-il souligné. Ce constat est partagé par un membre de l’ECD :

« Il m’est difficile d’expliquer pourquoi en matière de gestion financière des caisses des organisations communautaires, les femmes réussissent mieux que les hommes. Si on prend le cas des CoGes, partout où c’est une femme qui occupe le poste de trésorier, on constate rarement des difficultés. Ce sont ces expériences qui amènent les gens à affirmer que pour sûr que l’argent de la communauté sera bien gérée, il vaut mieux le confier à une femme »(Ecd1).

Aussi, on a remarqué que les organisations communautaires féminines rencontrent moins de difficultés de fonctionnement consécutives aux problèmes de trésorier que celle des hommes. Il convient néanmoins de relativiser ces observations car les situations ne sont pas identiques dans tous les villages. Dans le village de Cellou, lors d’un focus group avec les femmes, il est ressorti qu’une association féminine de cette localité traversait une crise qui émane, semble-t-il de l’utilisation des cotisations par la trésorière à des fins personnelles. Cet exemple montre que ce n’est pas dans toutes les situations que les femmes donnent le bon exemple.

D’une manière générale, une unanimité semble se dégager autour de la confiance que les communautés accordent aux femmes dans la gestion des affaires publiques. Les fondements de cette assurance pourraient être recherchés dans les perceptions que les individus se construisent sur les capacités intrinsèques de chaque sexe à assumer certains rôles dans la société. Des enquêtés ont également relevé que les femmes accordaient plus rapidement leur confiance aux autres que les hommes. Ainsi, elles s’engagent dans les relations sans s’imposer des barrières. Elles ne commencent à s’entourer de précautions que lorsqu’elles sont victimes des cas d’abus de confiance. C’est cette naïveté ou crédulité féminine que d’aucuns qualifient de naturelle, qui les prédisposent à une collaboration sans limites avec les autres.

Les expériences individuelles et collectives

Il est admis que certaines situations vécues par les individus continuent à influencer leurs comportements présents et futurs. Ces évènements passés, qu’ils soient positifs ou négatifs servent de référentiels pour les actions futures. Les comportements sont orientés par les représentations que les individus construisent sur les différentes situations et les perceptions se nourrissent des informations dont disposent les acteurs. Les expériences constituent les occasions et les lieux qui offrent aux individus des informations sur les différents aspects de la vie. Comme le dit un adage population, l’expérience est le meilleur conseiller de l’homme, cela pour signifier le rôle appréciable qu’elle joue dans l’orientation des conduites humaines. Faire ou ne pas faire confiance est tributaire de ce que les acteurs impliqués dans une situation donnée, ont vécu par le passé. Que les expériences soient individuelles ou collectives, elles constituent des sources d’inspiration et servent de base de comparaison. Les interactions ne se déroulent pas sur des terrains en fiche ; les individus entrent toujours dans les échanges avec leur passé, leur histoire. Ainsi, les évènements vécus mettent à la disposition des acteurs sociaux des preuves et des faits qui orientent leurs analyses et structurent leurs actions à venir.

Ce participant, âgé de 42 ans est originaire du village de Cellou qui l’a vu naitre et grandir. Il n’a pas eu la chance de fréquenter l’école. Après avoir passé une dizaine d’années en Côte d’ivoire et au Ghana, il est revenu s’installer au village. Marié à deux femmes, il pratique l’agriculture et exerce également dans le commerce. Dans l’interview qu’il a accepté de nous accorder, il ressort qu’il ne participe pas aux activités communautaires du village. Il est en marge de toutes les initiatives de groupe et pour cause : 

« Lorsque je suis revenu de la Côte d’Ivoire, je m’intéressais beaucoup aux associations et tout ce qui concernait le village ne tenait à cœur. J’étais membre de bureau de CoGes, de l’APE, du groupement des agriculteurs. Avec certains amis, on s’était organisé pour faire l’élevage. Je consacrais beaucoup de temps et d’argent à ces activités car je pensais que tout le monde agissait pour le bien du groupe et du village. Pendant que certaines comme moi et d’autres se battaient pour les intérêts de tout le monde, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes dans ce village ne pensent qu’à leurs propres intérêts. Si tu les vois s’engager dans une activité, c’est qu’ils sont sûrs de tirer un bénéfice personnel. Au début, j’ai été naïf car j’ai dépensé mon argent et mon temps pour rien car les autres n’étaient pas sincères. Lorsque j’étais président du CoGes, je passais tout mon temps à courir de gauche et à droite pour résoudre les problèmes dispensaires. J’utilisais ma moto et mon carburant pour les courses. Pendant ce temps, les autres membres du bureau faisaient leur travail personnel. Je peux dire que c’est à cause des affaires du CoGes que mon commerce à commencer à ne pas marcher car je n’avais pas le temps pour voyager. Ce qui m’a découragé, c’est qu’à un moment donné, les gens ont commencé à m’accuser de détourner l’argent du CoGes à mon profit. Cette accusation a été faite par les autres membres du bureau qui n’arrivaient pas à faire ce qu’ils veulent. Par exemple, certains venaient me voir afin je négocie avec l’infirmier pour le CoGes leur accorde des crédits, j’ai toujours refusé et c’est ce qui les amener à m’accuser. Ces accusations m’ont beaucoup touché et c’est pourquoi, j’ai décidé de me mettre à l’écart. Je m’occupe de mes affaires personnelles, tout ce qui concerne le village, je ne suis plus dedans. Depuis maintenant 5 ans que je ne participe à rien. C’est quand il y’a des baptêmes ou des funérailles que je participe, c’est tout. Je passe la majorité de mon temps dans les marchés à cause de mon commerce. Vous savez, il est difficile de réussir une initiative communautaire dans ce village car les gens ne sont pas sincères et pensent qu’à leurs intérêts. Beaucoup sont rentrés dans les bureaux CoGes et APE croyant qu’ils vont gagner quelque chose, comme ils ne gagnaient rien, ils ont tous abandonné »Enq12)

Comme cet enquêté, certains de participants à l’étude expliquent l’effritement de la confiance dans leur village par les déceptions et frustrations subies par le passée. La plupart des personnes rencontrées, sans considération du sexe, ont témoigné de l’échec de plusieurs initiales communautaires dans leur village. Ces échecs émanent très souvent des comportements peu recommandables de certaines personnes. Cette situation a contribué a exacerbé l’individualisme au sein des villages. Ce qui naturellement rend problématique la coopération autour des affaires publiques locales. Le doute et la méfiance ont pris le dessus sur l’assurance. Ce faisant, les populations sont devenues très susceptibles, à tel point que le moindre doute sur la sincérité et l’honnête des autres se transforme en certitude et complique la collaboration.

En plus des relations interpersonnelles, les vécus des individus ont également une influence sur les relations entre les agents de santé et les communautés. Les interactions entre ces deux acteurs clés du système de santé de district jouent un rôle important dans la mise en œuvre de la stratégie de la participation communautaire dont l’un des objectifs clé demeure une meilleure utilisation des services et des informations et partant l’adoption de comportements favorables à la santé. La qualité de la relation entre les agents de santé et la population a pendant longtemps été utilisée comme une variable indépendante qui a un effet sur la qualité perçue des soins mais aussi et surtout sur les attitudes envers les services de santé.

L’implication des populations dans les activités communautaires de santé a toujours été médiatisée par leurs perceptions des services de santé. Or leurs perceptions des centres de santé de santé dépendent de la nature de leurs relations avec les agents de santé.  La littérature portant sur les déterminants de l’utilisation des services de santé a porté une attention particulière sur les relations entre soignants et patients. Ainsi, plusieurs études (Anaya et al., 2013; Dorrance et al., 2013; Horwitz, 2013; Johansson et al., 2013; Shahinian et al., 2013; Todhunter, 2013; "Weil: FPs well positioned to improve patient, system health," 2012) ont montré que dans les contextes où les patients et les soignants entretiennent de bons rapports, le niveau d’utilisation des services de santé s’améliore. Les attitudes des agents de santé envers les personnes en quête de soins déterminent généralement le taux de fréquentation des centres de santé qui est utilisé par les planificateurs pour apprécier le niveau de participation communautaire aux actions. La mobilisation sociale ne saurait être une réalité que s’il existe une confiance entre les acteurs impliqués dans le processus. Et les relations entre les agents de santé et les patients constituent une source indéniable de cette relation d’assurance et de collaboration sincère comme le souligne ce responsable d’association :

«  (…) Sans critiquer personne, je pense que le plus grand obstacle à la participation communautaire concerne les comportements des agents de santé. Si vous remarquez dans l’aire de santé où les populations se plaignent beaucoup du comportement des agents, il est difficile de mobiliser les gens pour les activités communautaires. Comment vous pouvez dire aux gens de cotiser pour construire un logement au profit des gens qui ne les respectent pas ? Ou bien de se mobiliser pour nettoyer le CSPS ? Dans, les villages les gens ne font pas la différence entre l’agent de santé le CSPS. Pour eux, c’est la même chose. Ne pas participer aux activités communautaires est une forme de manifestation du manque de confiance. Par contre dans les contextes, ou les agents de santé arrivent établir de bonnes relations avec les populations, la confiance s’installe et généralement les populations sont disponibles pour accompagner le CoGes. Je pense en tout cas que sans une amélioration du comportement de certains agents de santé, il sera difficile de créer un climat de confiance » (RespAss5).

 Mariam Koudougou est la présidente d’une association de femmes dont les membres sont repartis dans quatre villages de l’aire de santé. Pour aider à assainir le cadre du centre de santé, les membres de l’association se sont organisés en groupe pour assurer à tour de rôle le nettoyable du CSPS. Cette initiative est née au moment où l’accoucheuse qui était en service à la maternité avait su créer de bonnes relations avec les femmes de l’aire de santé comme explique la présidente :

« Elle savait accueillir et parler aux femmes. Elle respectait tout le monde. Aussi, elle savait écouter les femmes et leur donner de bons conseils. A cause de son comportement, beaucoup quittaient dans des villages éloignés pour venir accoucher ici. Avec elle, les femmes étaient sures qu’elles allaient être bien traités. Elle se déplaçait avec ma moto pour rendre visite aux femmes dans leur village. Si ce n’est pas elle, on n’a jamais vu dans notre zone.  Comme il y’a pas quelqu’un pour nettoyer le CSPS, elle a demandé aux femmes si elles pouvaient s’organiser pour rendre le cadre propre. Elle en parlait à toutes les femmes qui venaient au CSPS. C’est ainsi, notre association a décidé de convoquer une réunion des femmes au CSPS et nous avons demandé à ce qu’elle soit présente. C’est à partir de ce jour qu’on s’est organisé en quatre groupes pour nettoyer chaque dimanche le CSPS. Mais quand cette femme est parie, elles ont commencé à ne plus se mobiliser. Celle qui a remplacé Madame Bado a toujours des problèmes avec les femmes. Elle ne les respecte pas et traite mal celles qui viennent pour accoucher. C’est à cause de ça que toutes les femmes ont refusé de continuer à faire ce travail. Elles disent qu’elles font un travail gratuit et en retour, elles attendaient qu’un bon comportement des agents de santé mais ce n’est pas le cas. Donc, elles préfèrent abandonner. Comme les femmes ne venaient plus, on a arrêté. Vous avez vu comme le CSPS est sale. Mais tant que cette femme sera ici, je ne suis pas sûr que les femmes, vont se mobiliser » (Enq8, femme, 46 ans).

Cet extrait de discours ci-dessus, souligne le rôle déterminant des relations entre les agents de santé dans l’instauration d’un climat de confiance qui facilite l’action communautaire. De bonnes relations tissées avec les populations ont l’avantage de faciliter leur mobilisation. A vrai dire les relations institutionnelles semblent ne pas avoir de sens dans le contexte rural africain où les gens peinent à faire la différence entre l’institution qui a ses règles de fonctionnement et les agents qui sont chargés de les mettre en application. Dans ces conditions la confiance à l’institution transite forcément par les rapports individuels et collectifs. Pour que l’implication des populations dans la gouvernance de la santé soit effective, des efforts et des mesures salutaires doivent être développés dans le sens de l’amélioration des rapports entre les soignants et les patients. La création de nouvelles structures et l’adoption de nouvelles directives et modes d’organisation ne suffisent pas. Des actions novatrices devraient être initiées et centrées sur les agents plutôt que sur les structures. Il reste évident que la confiance aux services de santé est tributaire de la qualité des relations entre les agents de santé et les populations comme les résultats de l’étude le laissent apparaitre.

Le niveau d’instruction

La scolarisation est considérée comme un instrument de progrès économique et social mais aussi comme un moyen d’épanouissement de l’individu (Johnson & Miller, 2012). Elle donne aux populations les compétences à même de leur permettre de s’investir efficacement et utilement dans les activités économiques. Il est admis que les pays qui ont un taux de scolarisation élevé affichent relativement des performances économiques appréciables(Faria et al., 2013). La scolarisation accroit les capacités d’imagination et de création des individus et augmente les chances d’accès au travail salarié. Il est de plus en plus difficile pour les personnes ayant un niveau de scolarisation faible d’accès à de meilleurs emplois et souvent de s’épanouir socialement. L’éducation est reconnue comme étant une ressource importante dont la possession soustrait l’individu de certaines dominations.

Les considérables efforts engagés dans de nombreux pays à revenus limités, obéit à cette logique de rendre les populations plus aptes et plus indépendants sur le plan économique. La sophistication ou la technicisation de plus en plus avancée des moyens de production oblige une amélioration substantielle des capacités cognitives et pratiques des populations. La maitrise de nouveaux instruments économiques passe un niveau minimum de niveau de scolarisation. Aussi, il est admis que le niveau d’instruction joue un rôle important dans l’accès aux revenus. En effet, que ce soit dans les administrations publiques ou dans le secteur privé, ce sont les personnes les mieux scolarisées et formées qui occupent les positions les importantes qui donnent accès des salaires élevés. Dans de beaucoup de contextes, la scolarisation reste un élément important dans la stratification sociale. Elle concède souvent à ses détenteurs l’accès aux espaces décisionnels.

Au-delà de son efficacité sociale et économique, la scolarisation joue un rôle non négligeable sur le plan psychologique. Elle donne les moyens aux individus de renforcer leur confiance et leur estime en soi.  Beaucoup d’auteurs estiment que l’éducation contribue directement à créer et à accroître chez les individus le respect d’eux-mêmes et à renforcer leur autonomie, indispensable pour augmenter les capacités humaines et les libertés individuelles (Seymour et al., 2013; Stevens, 2013).

Le rôle de la scolarisation dans l’épanouissement socio-économique des individus a été reconnu par les participants à l’étude dont la majorité dit faire des efforts pour permettre à leurs enfants d’accès cette ressource. Comme, il a été indiqué dans un chapitre précédent le niveau de scolarisation dans la zone très faible. Disposer d’un niveau élevé d’instruction constitue un capital qui permet de faire la différence avec les autres dans certaines compétitions sociales.

C’est le cas notamment de l’accès à certains postes dans les organisations communautaires. En effet les documents et les cadres qui organisent le fonctionnement de ces organisations exigent des membres la maitrise de la langue française qui est dans le contexte burkinabé, la langue officielle de travail et d’échange. Aussi, le savoir nécessaire à une plus implication des membres dans la gestion de l’organisation est généralement disponible dans la langue française. C’est pourquoi, toutes les personnes ayant fréquenté semblent plus aptes à accéder à ces fonctions.

C’est en cela que le niveau d’instruction devient un élément qui participe à l’instauration des rapports de confiance entre les populations et les membres des organisations communautaires et mais entre ces organisations et les partenaires extérieurs. Un président de CoGes explique :

« Il faut reconnaitre que beaucoup de gens ne font pas confiance au CoGes par qu’ils pensent que nous ne connaissons rien en matière de santé et donc on ne peut pas faire changer les choses. Souvent, ils disent que comment des gens qui n’ont pas fait l’école peuvent discuter avec les médecins et les infirmiers des problèmes de santé » (CoGes9).  

Certains participants à l’étude ont indiqué que s’il est difficile de généraliser, que lorsque le président du CoGes et des membres du CoGes ont un niveau d’instruction acceptable, cela contribue à amener les populations à accorder un crédit à cette structure. C’est le cas du CoGes d’un CSPS urbain dont tous les membres sont des personnes disposant un statut élevé. Parmi eux, on trouve d’anciens hauts fonctionnaires, des cadres de l’administration publique et du privé en fonction. Il ressort que depuis leur prise de fonction, on a constaté une adhésion progressive des populations aux activités de cette structure. Les populations ont commencé à participer aux activités. La confiance en cette nouvelle équipe se fonde sur leurs capacités potentielles à défendre les intérêts du groupe comme le fait remarquer cette participante à l’étude :

«  Si on met des gens qui comprennent bien les choses devant les choses, on est sûr que tout va bien marcher. Mais si ce sont des gens comme nous qui n’ont pas fait l’école, ils vont aller s’assoir aux réunions sans pouvoir dire quelque chose car ils ne comprennent pas grand-chose. Ce sont les autres qui vont décider à leur place »     (Enq33, 34 ans).

Il ressort également que la crédibilité de nombre d’organisations communautaires dépend de la qualité des hommes qui la dirigent. En effet, le niveau d’instruction et de revenus dont ils disposent pourrait participer à l’équilibre des relations de pouvoir entre eux et les agents de santé.  Les comportements des partenaires évolueront selon qu’ils auront à collaborer avec des responsables communautaires instruits et bien informés des conditions de fonctionnement de l’administration publique. Des membres de l’ECD ont affirmé que le niveau d’instruction des membres du CoGes est un élément important dans les rapports de collaboration. En effet, ils soutiennent qu’ils ont plus confiance que personnes sachant lire en ce sens qu’ils pourront accomplir convenablement les missions à leur confier par les services de santé. La faible scolarisation en milieu rural est perçue comme un frein à la participation communautaire car elle permet d’accorder une autonomie réelle à cette structure. Dans la plupart des cas, ce sont les infirmiers qui sont obligé de s’impliquer dans leur gestion afin de permettre au CSPS de fonctionner normalement. Le partage de pouvoir entre les agents de santé et les populations à travers leurs représentants que la stratégie de participation communautaire devrait instaurer a du mal à être effectif parce qu’un acteur n’arrive à jouer pleinement rôle du fait de la faible de ses ressources éducationnelles, informationnelles.

L’on peut s’engager résolument dans une relation que si on a d’une part confiance en soi et que l’autre partie affiche son assurance pour la collaboration. Cela implique naturellement de posséder les ressources qui donnent accès à cette sérénité. Le niveau de scolarisation dans le cadre de la collaboration entre les acteurs du système constitue élément important dans le partage des pouvoirs. Les plus instruits tendent à occuper les positions qui leur concèdent plus de possibilités et d’audience dans les prises de décision. C’est ce qu’on observe dans les échanges entre les responsables des CoGes et les autres acteurs du district sanitaire.

Conclusion

On note que l’âge, le niveau d’instruction, les expériences individuelles ou collectives antérieures sont des facteurs qui interviennent dans l’établissement des relations de confiance entre les individus mais aussi entre les individus et des institutions. Les CoGes éprouvent des difficultés à mobiliser les populations pour leur adhésion aux initiatives communautaires de promotion de la santé parce que les membres de la communauté ne font pas confiance à leurs représentants pour diverses raisons : leur faible niveau d’instruction, leur implication dans des actions collectives n’ayant pas abouties, leur situation économique précaire qui favorise des suspicions de corruption.

Issa Sombié

Institut des Sciences des Société/CNRST-Burkina Faso

Email : sombiss@gmail.com , Tel : +226 70 18 03 80

Références

Issa Sombié (2023) « Capital social et engagement communautaire à la santé », Djiboul, N°006, vol2. ISSN 2710-4249, eISSN : 2789-0031.

Abelson, J., Miller, F. A., & Giacomini, M. (6). What does it mean to trust a health system? : A qualitative study of Canadian health care values. Health Policy, 91(1), 63‑70. https://doi.org/10.1016/j.healthpol.2008.11.006

de Vries, M. S. (2005). Trust and governance practices among local leaders. International Review of Administrative Sciences, 71(3), 405‑424. https://doi.org/10.1177/0020852305057577

Keele, L. (2007). Social Capital and the Dynamics of Trust in Government. American Journal of Political Science, 51(2), 241‑254. https://doi.org/10.1111/j.1540-5907.2007.00248.x

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Ridde, V. (2007). Equité et mise à l’épreuve des politiques de santé au Burkina Faso. Editions L’Harmattan.

Sombié, I., Ilboudo, D. O., Soubeiga, A. K., & Samuelsen, H. (2017). Comprendre l’influence des facteurs contextuels sur la participation communautaire à la santé : Une étude de cas dans le district sanitaire de Tenkodogo, au Burkina Faso. Global Health Promotion, 24(3), 87‑95.