Comment expliquer la persistance de la féminisation du VIH et le sida dans la ville de Banfora, Burkina Faso ?

Submitted by RedacteurenChef on Tue 09/09/2025 - 17:41
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Auteurs : DABILOUGOU Aboubacar1, KONATE Blahima2, Roger ZERBO3                     

1 : Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest/ Unité Universitaire à Bobo Dioulasso Email : aboubakr186@yahoo.fr , Burkina Faso, 0022670152497

2 :  Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), Email : koblahima70@gmail.com, Burkina Faso, 0022670282667

3. Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Institut des Sciences des Sociétés (INSS), Email : zerboroger@yahoo.fr

 Introduction 

La prévalence du VIH et du sida est en baisse de façon globale dans le monde, en Afrique et au Burkina Faso où l’on est passé de 1%   à 0.6% de personne infectées en 2022 (Ministère de la santé 2010 ; ONUSIDA, 2023). Malgré cette baisse et des multiples interventions, persiste la féminisation de l’épidémie. L’objectif de cette étude est d’analyser les facteurs expliquant la persistance de cette féminisation et de formuler des recommandations à l’endroit des différents acteurs que sont les personnes infectées par le VIH, les responsables d’Associations/ONG et le personnel soignant, en vue de la réduire. Cet article de vulgarisation est tiré de la REVUE AKIRI, Revue des Sciences Humaines et Sociales, Lettres, Langues et Civilisations, numéro 8, octobre 2024.

Matériel et méthode 

Pour atteindre cet objectif, nous avons mené une étude transversale qualitative et quantitative. Elle s’est déroulée du 15 août au 15 novembre 2023. Une enquête par questionnaire a été effectuée auprès d’un échantillon de 111 femmes vivant avec le VIH qui ont été recrutées de façon progressive lors de leur ravitaillement en ARV. Des entretiens individuels approfondis ont été menés avec le personnel de santé et les responsables d’associations et ONG qui œuvrent dans la lutte contre le VIH et le sida. 

Après la collecte des données quantitatives, suivie de la vérification des fiches, elles ont été saisies et analysées avec le logiciel SPHINX.  Quant aux données qualitatives, elles ont été collectées à l’aide d’un dictaphone numérique auprès 12 personnes de ressources dont des responsables d’associations et ONG  et le personnel soignant par choix raisonné, traitées manuellement et nous avons procédé à une analyse de contenu thématique.

Résultats 

Tableau I : Caractéristiques sociodémographiques des enquêtés

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Ce tableau montre que la majorité des femmes vivant avec le VIH interrogées étaient âgées de 25 à 60 ans, vivaient en couple ou en concubinage, affirmaient être de religion musulmane. 

Pour le volet qualitatif, les 12 personnes interrogées se répartissaient ainsi qu’il suit : quatre (4) responsables d’associations de lutte contre le sida, deux (2) techniciens de laboratoire, un (1) médecin généraliste de l’hôpital, un (1) pharmacien, et quatre (4) infirmiers. Selon le sexe, il y avait cinq (5) de sexe féminin et sept (7) de sexe masculin. Leur âge variait entre 37 et 52 ans et leur ancienneté dans les structures d’appartenance variait de 5 à 25 ans. 

De la persistance du VIH à Banfora 

Pour la quasi totalités des femmes enquêtées, les femmes constituent la catégorie de personne la plus touchée par le VIH comme l’indique le tableau ci-dessous.  

Tableau 2 : Perception de la persistance de la féminisation de l’épidémie du VIH

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                                    Source : nos données de terrain, 2023

Ces données quantitatives sont confirmées par les entretiens avec les cliniciens. Ceux-ci affirment qu’au cours de ces cinq dernières années, ce sont les femmes qui fréquentent les structures sanitaires pour des raisons de VIH et de sida (dépistage, suivi sanitaire, prise des ARV, etc.). A ce sujet, un agent de santé nous fait savoir que « De 2017 à nos jours, nous recevons plus de femmes dans notre structure à titre d’exemple sur 700 patients, nous avons à peu près 500 femmes. Nous constatons une féminisation du VIH toujours croissant de cette maladie, en effet elles sont les plus nombreuses en termes de prise en charge dans notre structure. » (M.M., agent de santé, 25 ans d’ancienneté, l’hôpital du jour de Banfora). Dans la même lancée, un autre agent de santé ajoute que « Les statistiques de notre service montrent clairement que les résultats des femmes ne font que s’accroître d’année en année. Elles sont les plus nombreuses à fréquenter nos structures. » (S.D, agent de santé, 17 ans d’ancienneté, l’hôpital du jour de Banfora).

Le constat est le même au niveau des associations qui travaillent avec les personnes vivant avec le VIH. Les entretiens avec les membres des associations de lutte contre le VIH et le sida et de soutien aux PVVIH révèlent que ce sont les femmes les plus nombreuses. Cette informatrice nous révèle que « nous avons les femmes, les hommes et les enfants, l’adhésion dans l’association est volontaire, les femmes sont les plus nombreuses. Les PVVIH qui viennent vers nous, il y a plus de 80% de femmes » (O.A, responsable d’une association de lutte contre le VIH et le sida, Banfora).

In fine, les résultats montrent une féminisation croissante du VIH et du sida au cours de ces cinq dernières années. Mais qu’est ce qui explique cette féminisation du VIH et du sida ?

Des facteurs explicatifs de la féminisation de l’épidémie du VIH 

Les données collectées auprès des enquêtées à l’aide du questionnaire montrent  que plusieurs raisons sont à l’origine de la féminisation du VIH et du sida. Ce sont entre autres : 

  • Facteurs sociaux
  • le vagabondage sexuel ou l’infidélité ; 
  • le manque de sincérité des hommes qui dissimulent souvent leur état sérologique ;
  • Facteurs culturels tels que 
  • la polygamie, le lévirat ;
  • l’ignorance des femmes liée à leur faible niveau d’instruction et donc leur méconnaissance sur les méthodes de prévention et les voies de transmission ;
  • Facteurs économiques
  • la précarité économique et financière des femmes due au manque d’activités génératrices de revenus ;

Ces facteurs évoqués par les femmes enquêtées reviennent aussi bien au niveau des cliniciens que chez les membres des associations de lutte contre le VIH et le sida et de soutien aux PVVIH. Parlant des facteurs de féminisation du VIH et du sida, un agent de santé nous confie que « la femme n’a pas de décision à prendre ni son mot à placer dans un débat. Elle subit aussi le lévirat » (T.C, agent de santé, 10 ans d’ancienneté, hôpital du jour de Banfora). Toujours dans la même lancée, une responsable d’association de lutte contre le VIH et le sida affirme que « dans notre société une femme reste avec un homme, mais un homme reste avec plusieurs femmes ce sont des facteurs favorisants qui font que la femme est plus touchée » (D.O, responsable d’une association de lutte contre le VIH et le sida à Banfora). Il ressort ainsi que sur le plan culturel, la femme est exposée à un haut risque de contamination à travers les pratiques de la polygamie, du lévirat et du sororat. Ces pratiques sont pourtant socialement légitimes et acceptées de tous.

Du point de vue économique, les informateurs comme les femmes enquêtées soulignent la précarité économique et financière des femmes qui les conduit souvent à s’adonner au multi partenariat sexuel qui les expose pourtant à la contamination du VIH et du sida. Les propos de cette informatrice illustrent bien cet état de fait : « « Les femmes sont démunies, elles n’ont pas les moyens, et lorsque on est dans cet état, on se donne facilement, j’interviens dans le milieu TS, lorsqu’on interroge les prostituées dans les sites d’orpaillage, elles disent que c’est pour subvenir à leur besoin et celle de la famille » (S.V, responsable d’association de soutien aux PVVIH et aux travailleuses de sexe à Banfora). A cela, un agent de santé ajoute que « Souvent, si elle est dans une situation précaire, qui ne dépend pas d’elle, les hommes peuvent abuser d’elle. Au niveau des sites d’orpaillage par exemple, on séduit les femmes affamées avec des propositions sans capote ou avec capote et le coût diffère » (D.O, agent de santé, 7 ans d’ancienneté, hôpital du jour de Banfora).

Mais en dehors de ces facteurs socio culturels et économiques qui expliquent la féminisation du VIH et du sida, il y a aussi le fait que biologiquement la femme est plus exposée que l’homme de par la forme de son appareil génital. Même si cette raison ne ressort pas au niveau des femmes enquêtées, les agents de santé et les membres des associations le relèvent. S’agissant du facteur biologique, un agent de santé souligne que « biologiquement, on dit que la forme du sexe de la femme l’expose par rapport à l’homme, c’est la femme qui reçoit et les germes peuvent durer dans son sexe, tandis que l’homme rejette » ((S.D, agent de santé, 17 ans d’ancienneté, l’hôpital du jour de Banfora). Une responsable d’association de lutte contre le VIH et le sida ajoute ceci : « l’appareil génital de la femme est plus large et plus profond, ces facteurs exposent le plus souvent les femmes, car elles peuvent héberger les germes durant un temps donné » (O.A, responsable d’une association de lutte contre le VIH et le sida, Banfora).

Conclusion

Les résultats des enquêtes révèlent la persistance de la féminisation de l’épidémie du VIH dans la ville de Banfora. Les facteurs explicatifs, selon nos enquêtés sont à la fois de l’ordre du social, du culturel, de l’économique, du biologique.  Au regard de ces résultats qui ont été longtemps soulignés par la littérature scientifique sur cette thématique, nous pouvons retenir que cette persistance de la féminisation de l’épidémie du VIH s’explique par les rapports de genre marqués par ce que Bourdieu appelait « la domination masculine ». Par conséquent, le changement de ces rapports de genre est nécessaire pour réduire l’épidémie du VIH chez les femmes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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DABILOUGOU, A., KONATE B, ZERBO R, 2024, « Facteurs explicatifs de la persistance de la féminisation du VIH et le sida », in REVUE AKIRI, Revue des Sciences Humaines et Sociales, Lettres, Langues et Civilisations, n°8, pp.590-606

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