Auteur : Salifou SANGARÉ
Institution de rattache : Centre national de la Recherche scientifique et technologique (CNRST) du Burkina Faso
Adresse électronique : slifsangare@yahoo.fr
Résumé : Le relatif échec des anciens cadres du dialogue social au Sénégal et au Burkina Faso a amené les mandants tripartites de ces pays à créer de nouvelles institutions du dialogue social appelées Hauts Conseils du dialogue social (HCDS). Ces institutions élargissent le champ de la pratique qui n’est plus réduit ni aux négociations collectives, ni à la gestion des conflits dans le monde du travail. La présente contribution est une comparaison de l’activité des deux institutions.
Mots-clefs : dialogue social, bipartisme, tripartisme, partenaires sociaux
Abstract: The relative failure of previous social dialogue frameworks in Senegal and Burkina Faso led the tripartite constituents of these countries to create new social dialogue institutions called Hauts Conseils du dialogue social (HCDS). These institutions broaden the scope of practice, which is no longer confined to collective bargaining or conflict management in the world of work. This contribution compares the activities of the two institutions.
Keywords: social dialogue, bipartism, tripartism, social partners
Introduction
Dans son rapport de 2018 sur la ratification universelle de la convention n°144 sur les consultations tripartites qui encadre les relations professionnelles de travail dans le monde et qui a servi de base aux travaux lors du centenaire de l’Organisation international du Travail (OIT), en 2019, le Bureau international du Travail (BIT) (organe exécutif de l’OIT), note que « Sur les cent quatre-vingt et sept (187) Etats membres de l’OIT, cent soixante et un (161) soient, quatre-vingt et un pour cent (85%) ont des institutions de dialogue social, sans compter les mécanismes de dialogue social centrés sur des sujets spécifiques » (BIT, 2017, p.18). Ce constat atteste d’une généralisation du dialogue social comme mécanisme et mode de régulation du monde du travail.
En Afrique de l’Ouest, à l’exception de la Guinée Bissau, tous les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont créé de nouvelles institutions de dialogue social[2]. Ces institutions, dont les noms varient d’un pays à l’autre, ont en commun le souci de réformer les pratiques en la matière par l’internalisation des normes de l’Organisation international du Travail (OIT).
Initialement, le dialogue social renvoyait à l’accompagnement des politiques publiques par les partenaires sociaux c’est-à-dire les organisations patronales et syndicales dans l’élaboration des normes sociales en matière de travail à travers quatre processus distincts définis par l’Union européenne (UE) : la consultation, la négociation, les actions conjointes et la concertation tripartite (Dufresne et Gobin, 2016). Par la suite, L’usage de l’expression s’est étendu aux États d’Europe et aux organisations internationales dont l’Organisation international du Travail (OIT). En adoptant la notion, l’OIT étend son champ d’activité qui englobe désormais tous les éléments de relations collectives du travail et renvoie à « tout dispositif institutionnalisé entre les partenaires sociaux à l’échelle de tout système politique et de tout niveau au sein de ce système » (Gobin, 2007, p.32.). De cette approche découlent les caractéristiques du dialogue social : celui-ci est circonscrit au monde du travail et ses acteurs sont les représentants des organisations des travailleurs, celles des employeurs ou patronat et/ou les gouvernements encore appelés mandants tripartites. Il s’ensuit que le dialogue social ne traite ni des problématiques partisanes qui relèvent du dialogue politique, ni d’autres questions publiques en vigueur dans certains pays africains concernant le dialogue civil (OIT, 2013, p.15.).
En définissant le dialogue social comme, « tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échanges d’informations entre les représentants des gouvernements, ceux des employeurs et des travailleurs selon les modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun », l’UEMOA (2009, 2), reprend à son compte l’approche proposée par l’OIT. La création du HCDS- Sénégal et celui du Burkina Faso s’est faite sur la base de cette approche pour conformer les pratiques nationales aux normes internationales. Mais en quoi consiste cette réforme dont sont porteurs ces HCDS ? En quoi le dialogue social pratiqué par ces nouvelles structures diffère-t-elle de celui des anciennes structures consacrées à cette pratique ? Le présent article se veut une réponse à ces différentes questions. Il se structure autour de deux parties. La première partie analyse la création des HCDS comme une action impulsée par les organisations internationales (I). La deuxième analyse la reconstruction du sens de cette pratique (II).
- La réforme du dialogue social au Burkina Faso et au Sénégal : une initiative des Organisations internationales
La réforme du dialogue social à l’œuvre dans les HCDS du Sénégal et du Burkina Faso a été impulsée par les organismes internationaux (1) que les acteurs nationaux se sont appropriés (2).
1. Les facteurs de la réforme
Les facteurs de la réforme procèdent de l’échec des cadres traditionnels du dialogue social (1.1.) et renvoient aux instruments utilisés par les acteurs pour conduire la réforme (1.2.) et conformer la pratique en cours dans ces États aux normes internationales.
1.1. L’échec des cadres traditionnels du dialogue social
Jusqu’à la création des HCDS du Burkina Faso, la participation des partenaires sociaux aux grandes orientations du monde du travail était exclusivement organisée dans des cadres consacrés par les Codes du Travail des deux pays et dont la source remonte à l’époque coloniale avec le Code du Travail d’Outre-Mer (CTOM) de 1952. Les législations nationales des deux pays ainsi que les différents textes règlementaires en la matière consolident cet encadrement juridique qui permet à plusieurs structures ou instances de contribuer à des degrés divers au dialogue social. L’on dénombre dans les deux pays, une quinzaine de structures, à la fois, tripartites et bipartites qui sont logées au sein des Ministères de la Fonction publique respectifs et traitant de matières similaires relatives au monde du travail (Sangaré 2023, p.144).
Le dialogue social est aussi et surtout pratiqué au Sénégal et au Burkina Faso dans les rencontres gouvernements-syndicats, gouvernements-organisations d’employeurs et dans les rencontres organisations d’employeurs et les organisations syndicales. Ces rencontres sont des instances où les acteurs examinent les doléances des organisations syndicales, formulent des propositions et des recommandations pour l’amélioration du climat social dans les entreprises ainsi que dans les administrations publiques. Quant aux rencontres organisations patronales et organisations syndicales, elles consistent en des négociations sur les salaires et les conditions de travail dans le secteur privé, l’environnement des affaires et la préservation des emplois, la protection sociale, la formation professionnelle.
On s’accorde à dire que ces anciennes structures et instances du dialogue social ont permis d’obtenir des résultats mitigés en matière de travail tant pour les gouvernements que pour les partenaires sociaux. Mais, il est aussi établi que ces anciennes structures ont failli à leurs missions respectives pour plusieurs raisons. En premier lieu, outre leur pléthore qui entraine un pantouflage des acteurs, le dialogue social reste assujetti aux administrations publiques notamment les ministères de la fonction publique via les Inspections du Travail. En second lieu, la non-permanence, l’irrégularité et la breveté des rencontres des gouvernements de ces deux pays et leurs partenaires sociaux respectifs ne permettent pas des rencontres complètes. Ces rencontres bipartites se succèdent sans épuiser les points inscrits à leurs différents ordres du jour parce que les discussions d’une année commencent par les points inscrits à l’ordre du jour de l’année précédente qui n’ont pas été traités. Il en résulte un enlisement des discussions qui instaure un climat de suspicion généralisée entre les acteurs. Et les acteurs se retrouvent avec un dialogue social fragmenté, incomplet, fragile, car, les accords obtenus lors de ces rencontres sont des accords-calmants qui soulagent la douleur mais ne soignent pas les crises qui persistent et minent le monde du travail. Pour toutes ces raisons, les institutions internationales ont décidé d’aider les Etats pour réformer leurs structures du dialogue social.
- Les instruments et les mécanismes de la réforme
Pour prévenir les crises socioéconomiques qui naitraient de la dévaluation du Franc CFA intervenue en janvier 1994 dans les pays de l’UEMOA et qui plus sont, des Etats sous ajustements structurels, l’OIT, par le truchement du BIT, entreprit de promouvoir dans ces pays, à partir de 1996, le dialogue social en tant que la synthèse des axes fondamentaux de son action : les normes de travail, le partenariat actif, la concertation sociale et la protection sociale conformément à « l’Agenda du Travail Décent » de l’OIT (OIT, 2013, p.1). Pour opérationnaliser ces axes de son action, le BIT entreprit de mettre en place dans ces pays trois programmes aux missions différentes mais complémentaires destinés à promouvoir la participation des différents acteurs du monde du travail : le Programme de Dialogue social en Afrique Francophone (PRODIAF), le Programme d’Appui à la Mise en Œuvre de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (PAMODEC) et le Domaine de première importance (ACI7). De façon générale, ces programmes- projets visaient à appuyer le développement du dialogue social par l’instauration un partenariat actif entre les acteurs du monde du travail en tant que moyen d’améliorer les conditions de vie et de travail et des travailleurs, de stimuler le développement économique et social et de contribuer à la justice sociale.
La création des HCDS du Sénégal et du Burkina Faso est aussi redevable de l’action de l’UEMOA qui internalise l’Agenda du Travail Décent de l’OIT en adoptant l’Acte additionnel n°02/2009/CCE/UEMOA du 17 Mars 2009 portant création et organisation du Conseil du Travail et du Dialogue social, les États de l’UEMOA. En 2014, elle crée le Conseil du Travail et du dialogue social (CTDS) dont la mission est d’assurer, aux termes de son l’article 2, « la participation des partenaires sociaux et de la société civile à la réalisation des objectifs de l’Union » (UEMOA, 2009, p.4). Dans un contexte de crises sociales dans les différents États, l’UEMOA engage et finance des études et des formations sur les causes de la persistance des conflits sociaux dans ces pays. Les résultats de ces études ont alimenté la concertation sociale des acteurs du monde du travail de Ouagadougou le 06 décembre 2013 pour une réforme du dialogue social par la création d’institutions tripartites nationales.
Mais, dans les deux pays, les processus constitutifs des HCDS ont suivi des trajectoires différentes. Au Sénégal, il est le résultat d'un processus en plusieurs étapes. En effet, en novembre 2002, avec l’appui du BIT, le gouvernement sénégalais, en accord avec ses partenaires sociaux, adopte la « Charte nationale du dialogue social » (CNDS) pour résoudre les différends entre les acteurs du monde du travail et trouver des solutions durables à la crise sociale que vit le pays. Forts des résultats de leur mission à la CNDS, les mandants tripartites en sont arrivés à l’idée qu’il faille relever le CNDS au rang de HCDS qui est présenté comme la consolidation de la démocratie sociale en impliquant tous les acteurs les acteurs.
Au Burkina Faso, les activités du projet BIT-PRODIAF ont permis la réorganisation du mouvement syndical qui restait fortement marqué dans ses modes d’actions par des divergences idéologiques. Cette réorganisation a permis la mise en place de l’Unité d’action syndicale (UAS). L’UAS obtint du gouvernement burkinabè l’institutionnalisation de la rencontre annuelle gouvernement- syndicat et la création en avril 2003 d’un Comité technique chargé du suivi de ces rencontres. De cette expérience, l’UAS, aidée, sur ce point, par le Conseil national du patronat burkinabè (CNPB), revendique et obtient en mai 2015 avec le gouvernement de Transition, la création d’une structure nationale du dialogue social à l’instar de ce qui existe au Sénégal. C’est dire que les acteurs nationaux des deux pays ont compris que le dialogue social est porteur d’importants et multiples enjeux qui justifient qu’ils se réapproprient la pratique.
2. La réappropriation de la pratique par les acteurs nationaux
La réappropriation du dialogue par acteurs nationaux se traduit par la création d’institutions différentes des anciens cadres du dialogue social tant dans leur structuration (2.1.) que dans les activités qu’elles mènent (2.2.).
2.1. Le renforcement du statut des membres
Les deux institutions présentent une organisation quasi identique à quelques nuances près. En effet, l’on retrouve de part et d’autre des deux structures trente (30) membres titulaires appelés « Conseillers » provenant des mêmes milieux socioprofessionnels et repartis ainsi qu’il suit :
- 10 représentants du gouvernement ;
- 10 représentants du patronat ;
- 10 représentants des syndicats.
Cette composition repose sur le principe d’égalité et de participation inclusive des différents acteurs du monde du travail qui sous-tend le tripartisme dans le dialogue social tel qu’édicté par l’OIT. En outre, les deux institutions sont présidées par des personnalités nationales indépendantes c’est-à-dire n’appartenant pas aux trois composantes. Pour maintenir cette égalité entre les mandants tripartites, les Présidents des deux institutions sont assistés également de trois vices- présidents issus respectivement des trois composantes.
Alors que le HCDS-Burkina est subdivisé en trois (3) Commissions spécialisées composées de trois conseillers issus de chaque composante, le HCDS-Sénégal est structurée autour de six (06) Commissions tripartites spécialisées. Mais en dépit de ces nuances, les deux institutions réforment la pratique du dialogue social à travers leurs activités.
2.2. La réforme par les activités
Les textes qui créent les HCDS du Burkina et du Sénégal leur assignent la mission principale de promotion d’une culture du dialogue social et émettre des avis-conseils ssur les politiques économiques et sociales en lien avec le monde du travail. La déclinaison de cette mission se traduit d’une part, par l’intensification des activités traditionnelles de médiation dans la résolution des crises, et d’autre part, par la conduite d’action de prévention et de médiation des conflits; toutes choses que les anciennes structures ne faisaient pas (Sangaré 2023, pp.151 et 152). L’image d’Epinal du « sapeur-pompier » intervenant lors qu’il y a péril en la demeure, qui colle aux anciennes structures du dialogue social, ne correspond donc pas aux pratiques des HCDS sénégalais et burkinabè.
La promotion d’une culture du dialogue social est aussi centrée sur la formation des mandants tripartites et des citoyens sur les thématiques structurant le dialogue social aux fins qu’ils s’approprient les termes et les enjeux de cette notion et de sa pratique par la maîtrise des déterminants des conflits sociaux (HCDS-Sénégal, 2016, pp.45-46 ; HCDS-Burkina, 2021). A ces formations s’ajoutent des études que ces institutions mènent et qui portent sur les thématiques centrées sur le monde du travail. Pour ce faire, les HCDS ont souvent recours à des expertises extérieures. Leurs productions constituent des sources d’informations et des aides à la décision publique transmises aux gouvernements et aux partenaires sociaux afin qu’ils « fondent en raison leurs décisions et pratiquer un dialogue social efficace en discutant d’égal à égal » (Landier, 2015, p.143.). Elles permettent surtout d’appréhender le sens de celui-ci.
- La reconstruction du sens du dialogue social
La reconstruction du dialogue social s’est faite sur la base d’une idéologie (1) à laquelle les acteurs adhèrent. Mais dans la pratique, les gouvernements des deux pays ne sont pas toujours enclins à aller dans ce sens. Elles limitent les HCDS dans leurs actions (2).
1. Les fondements théoriques du dialogue social
Le dialogue social repose sur l’option de la concertation dans le traitement et le règlement des questions du monde du travail (1). Dans cette optique, l’intérêt général apparait comme une Co-construction de la part des différents acteurs (2).
1.1. La primauté de la concertation
Les épures sénégalaise et burkinabè du dialogue social montent que celui-ci accorde la primauté à la concertation entre les acteurs des différentes composantes du monde du travail au détriment de l’affrontement. En effet, qu’il s’agisse des médiations dans les crises ou des avis que les deux institutions donnent sur les politiques économiques et sociales relatives au monde du travail, les HCDS procèdent par la discussion, les échanges et la négociation pour aboutir à des solutions concertées, à des délibérations consensuelles par l’ajustement des intérêts en jeu et souvent contradictoires au départ. La concertation conduit au consensus entendu comme avis de non-objection, accord explicite entre des parties prenantes à une décision.
En distinguant le dialogue social des autres formes d’échanges et de débats en vue de l’action, Hubert Landier (2015, pp.12 et sq.) soutient qu’il « il vise à substituer la recherche de solutions concertées, négociées, aux pratiques fondées sur les rapports de force ». Ainsi, le dialogue social consiste-t-il être à l’écoute, prendre en considération ce que dit l’autre, l’associer aux projets d’avenir. Pratiquer le dialogue social, c’est accepter l’altérité en refusant l’autoritarisme dominant des gouvernements et des employeurs et les rapports de force qui sous-tendent la rhétorique des syndicats. Dans cette perspective, le dialogue social vise l’efficacité, qu’elle soit celle de l’entreprise ou de l’administration publique, dans la mesure où elle suscite « une dynamique de rapprochement des différents points de vue des acteurs qui peuvent être divergents et par à laquelle chacun contribue et de laquelle chacun trouve sa juste rétribution » (Landier, 2015, p.30). En un mot, le dialogue social vise l’intérêt général.
1.2. La quête de l’intérêt général
Les actions des HCDS contribuent à la détermination de l’intérêt général par la convergence des intérêts. En effet, au nom du principe de participation qui requiert une forte implication des travailleurs et du patronat aux processus de décisions relatives à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques, le dialogue social permet de réduire les incompréhensions et les tensions sociales en permettant de dégager un consensus autour des recommandations et des orientations du monde du travail. L’intérêt général, compris comme, « le bien d’une pluralité de personnes, poursuivi par des moyens mis en commun » (Landier, 2015, p.27), est au cœur de la pratique du dialogue social. En effet, compte tenu de leurs composantes, les HCDS ne prennent position ni pour le gouvernement ni pour le patronat ni pour les travailleurs. Leur rôle consiste à faciliter les discussions entre les différentes parties afin de trouver un compromis, de parvenir à une solution concertée au problème posé. De la sorte, les HCDS contribuent d’une part, à jeter les bases solides d’un climat social apaisé pouvant assurer la création de richesses et d’autre part, de susciter une culture du dialogue social pouvant garantir une redistribution équitable de ces richesses.
Il est remarquable que le dialogue social ait pris une trajectoire spécifique dans les deux pays à la faveur d’évènements politiques majeurs : la double alternance au sommet de l’Etat au Sénégal et l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso. La forte implication des organisations de la société civile notamment les syndicats dans ces évènements leur a conféré une légitimité à se prononcer sur les grandes décisions qui orientent la vie de leurs nations respectives. En définitive, avec les HCDS, l’on s’éloigne des rencontres entre gouvernements et partenaires sociaux pour discuter exclusivement d’augmentation de salaires, de revendications portant sur les conditions de travail ou de levée de mot d’ordre de grève. Toutefois, les gouvernements sénégalais et burkinabè n’entendent pas toujours associer les partenaires sociaux à la gouvernance, à la mise en œuvre de leurs actions, à leur gouvernance. Ils mettent en avant leur double fonction d’employeurs et de puissance publique qui les dispense de se comporter comme un acteur du secteur privé ou de se plier aux désidératas de ces organisations. Cette posture des gouvernements limite considérablement la pratique du dialogue social dans ces deux pays.
2. Les limites de l’action des HCDS
Les limites du dialogue social sont d’ordre pratique et théorique (2.1). Dans ces conditions, le dialogue social, pour être efficace, requiert un engagement politique des différents acteurs (2.2).
2.1. Des cadres de concertation sans pouvoir de décision
Les HCDS sénégalais et burkinabè sont limités dans leurs actions parce qu’ils n’ont pas le pouvoir de décider de l’application de leurs propositions de sortie de crise ni des résolutions issues de leurs différentes délibérations. La décision devant mettre en œuvre les délibérations des HCDS relève des gouvernements qui estiment être comptables devant les populations de l’affection et de la gestion des ressources et rechignent souvent à prendre certaines décisions exécutoires. Les exemples de situations dans lesquelles les gouvernements n’appliquent pas les résolutions et recommandations des HCDS sont légion. Certains conseillers de ces institutions déplorent que les gouvernements ne les consultent que lorsque le front social s’embrase et qu’il faille « calmer les esprits » (Palm, 2019, pp.4-7). Mais dès que l’orage est passé, ils font vite de nous oublier les HCDS et en viennent même à bloquer leurs activités. Ce constat pose la problématique de la place et de l’utilité des institutions du dialogue social dans ces deux pays.
Si on ne peut pas soutenir que les HCDS Burkina Faso et du Sénégal évoluent dans « l’illusion d’un monde devenu consensuel » (Landier, 2015, pp.18 et sq.) en raison de leur relative jeunesse rendant difficile une évaluation sommative de leurs actions, il n’en demeure pas moins que cet état de fait révèle certaines limites des dispositifs participatif et délibératif à l’œuvre dans le dialogue social. Pour autant que le dialogue social tarde à produire les effets escomptés, peut-on déduire, en déplaçant l’idée de Jean-Paul Jacquier (2000) son contexte, que le Burkina Faso et le Sénégal sont « des pays qui n’aiment pas négocier » ? Si non, comment sortir de ces difficultés ?
2.2. L’engagement des acteurs : condition de réussite du dialogue social
Les critiques faites au dialogue social révèlent des faiblesses imputables aux acteurs notamment les partenaires sociaux (Landier, 2015 ; Jobert, 2009). Elles ne remettent pas fondamentalement en cause la pratique comme modalité de l’action collective car, « aucune action ne s’épuise dans ses effets observables » (Savadogo, 2001, p.231). C’est dire que l’efficacité du dialogue qui atteste de sa réussite est tributaire de l’engagement de ses acteurs. Pour les acteurs du dialogue social, cet engagement consiste en un parti pris en faveur de cette pratique, à se convaincre que les institutions peuvent leur offrir un cadre et les moyens de leur épanouissement. Tel est le sens du propos d’Annette Jobert (2008, p.137) selon lequel, « l’avenir du dialogue social et de la démocratie sociale dépend cependant moins des règles qui l’encadrent que de la détermination des acteurs à lui donner vie et consistance ». L’engagement des acteurs du monde du travail, notamment les syndicats à pratiquer le dialogue social dans leurs relations professionnelles de travail, est une prise de position pour la cause publique et le respect de cette position. C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre les propos de Vincent Descombes (1979, p.17) qui, évoquant le cas de la France, note avec pertinence que, « la prise de position politique est et reste l’épreuve décisive. C’est celle qui doit révéler le sens d’une pensée »
Conclusion
Il existe deux modes de règlement des différends dans le monde du travail : la voie du contentieux et celle de la concertation, de la négociation, de l’arrangement. Le second est celui du dialogue social. Le dialogue social est donc un instrument de régulation sociale. Le tripartisme à l’œuvre dans les HCDS du Burkina Faso et du Sénégal en font des institutions-conseil aussi bien des gouvernements que de leurs partenaires sociaux. On peut voir dans leurs actions, à la fois, un enjeu de gouvernance politique sociale et un impératif de développement économique et social.
Indications bibliographiques
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DESCOMBES Vincent, 1979, Le même et l’autre, Paris, Minuit.
DUFRESNE Anne et GOBIN Corinne, 2016, « Le dialogue social européen ou la déconstruction du droit social et la transformation des relations professionnelles », In LAPOINTE Paul-André (dir.), 2016, Dialogue social, relations du travail et syndicalisme, Perspectives historiques et internationales, Québec, Presses de l’université Laval, pp.23-63.
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HCDS-Burkina, 2021, « Trois années de tripartisme », Rapport général ; https://www.hcds.gov.bf
JACQUIER Jean-Paul, 2000, « Un pays qui n’aime pas négociation ? », In THUDEROZ Christian, GIRAUD- ANNIE Heraud (sous dir.), La négociation sociale, Paris, CNRS Éditions, coll. « Sociologie », pp.199-207.
JOBERT Annette, (sous dir.), 2009, Les nouveaux cadres du dialogue social : Europe et territoires, Bruxelles, P.I.E., Peter Lang
LANDIER Hubert, 2015, Le dialogue social. Une urgence pour l’entreprise, Paris, L’Harmattan
OIT, 2013, Le dialogue social tripartite au niveau national : Guide de l’OIT pour une meilleure gouvernance, Genève,ISBN : 978-92-2-227996-8 (Print)/ 978-92-2 227997-5 (Web PDF)/ 978-92-2-227998-2 (CD-ROM)
PALM Domba Jean-Marc, 2019, « Notre rôle est de calmer les esprits », in Le Sidwaya, quotidien d’informations générales du Burkina Faso, n°8942 du 19 au 21 juillet 2019, pp.4-7.
SANGARÉ Salifou, 2023, « La réforme du dialogue social en Afrique de l’Ouest francophone : analyse comparée des HCDS du Burkina Faso et du Sénégal », In Revue Africaine des Sciences Sociales et Politiques, N°04/ 2023 /, pp.136-167.
SAVADOGO Mahamadé, 2001, Philosophie et existence, Paris, L’Harmattan, 2001.
UEMOA, 2009, Acte additionnel n°02/2009/CCEG/UEMOA/ du 17 mars 2009 portant création et fonctionnement du Conseil du Travail et du dialogue social (CTDS) de l’UEMOA
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[1]SANGARÉ Salifou, 2023, « La réforme du dialogue social en Afrique de l’Ouest francophone : analyse comparée des HCDS du Burkina Faso et du Sénégal », In Revue Africaine des Sciences Sociales et Politiques, N°04/ 2023 /, pp.136-167.
[2]Il s’agit des institutions suivantes : le Pacte national de solidarité pour la croissance et le développement (PNSCD) du Mali, la Charte sociale du dialogue social au Sénégal devenu le Haut conseil du dialogue social (HCDS), le Conseil national du travail (CNT) de la Côte d’Ivoire devenu le Conseil national du dialogue social de le Côte d’Ivoire (CNDS), la Commission nationale de dialogue social (CNDS) du Niger, le Conseil national de dialogue social (CNDS) au Togo, le Haut conseil du dialogue social du Burkina Faso(HCDS ), le Conseil National du Dialogue Social (CNDS) du Bénin