Document de vulgarisation : Dynamique structurale de trois espèces ligneuses alimentaires dans la région nord-soudanienne du Burkina Faso

Submitted by RedacteurenChef on Sat 20/01/2024 - 06:12
Dynamique structurale de trois espèces ligneuses alimentaires dans la région nord-soudanienne du Burkina Faso

banniere

  1. Introduction 

 Durant ces dernières décennies, les zones semi-arides ont été marquées par une dégradation accélérée des conditions environnementales, rendant fragile l’équilibre des écosystèmes naturels. Cette dégradation est due aux défrichements anarchiques des forêts pour l’agriculture, aux feux de brousse et surpâturage, aux excès de prélèvement des organes comestibles des végétaux, à la croissance démographique, à l’utilisation intensive des ressources naturelles, à l’expansion de l’activité minière et la variabilité climatique (SANOU et al., 2022). A cela s’ajoute le vieillissement des peuplements en raison de l’insuffisance de la régénération naturelle et de la concurrence des autres espèces envahissantes moins exigeantes face à des conditions écologiques du milieu de plus en plus défavorables (NAGALO, 2022). Ces facteurs énumérés ont des répercussions directes sur l’occupation du sol et sur la dynamique des communautés végétales. Ainsi, les processus naturels de succession des végétations sont alors perturbés par les activités anthropiques dégradantes susmentionnées. Ainsi, de nombreuses espèces végétales sont ainsi détruites chaque année malgré leurs importances perçues dans la vie des populations locales. Dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso, Bombax Costatum Pellegr. & Vuill, Parkia.biglobosa (Jacq.) Benth et Saba Senegalensis (A.D) Pichon, parmi tant d’autres espèces ligneuses font parties des espèces conservées lors des défrichements en raison de leur valeur socioéconomique (DIAWARA et al., 2022). En effet, les calices de B. Costatum (kapokier à fleur rouges) sont vendus en zones rurales et urbaines du Burkina Faso et génèrent des revenus monétaires. B. costatum fait partie des espèces préférées des populations et est menacé à cause d’une surexploitation de ses différents organes et des modes de prélèvement. La consommation des calices prive les adultes de leur potentiel semencier. Son intérêt pour les populations locales et ces menaces font de B. costatum une espèce à conserver en priorité. P. biglobosa, communément appelé le néré, occupe également une place importante au regard des valeurs que les populations locales lui confèrent. Il entre dans l’alimentation de plus de 20 millions de personnes réparties sur 20 pays africains, favorisant ainsi la réduction des déséquilibres nutritionnels. Les usages médicinal et alimentaire de S. senegalensis sont connus et exploités par les populations locales comme moyens de subsistance et sources de revenus. A ce titre, ces trois espèces ligneuses fournissent de nombreux produits utilisés sur le plan alimentaire et médicinal par les populations locales et méritent qu’une attention particulière leur soit accordée pour comprendre leur tendance démographique dans les formations naturelles eu égard des pressions anthropogéniques que subissent les espèces à grande valeur socioéconomique. D’où l’intérêt de ce présent document de vulgarisation qui est élaboré à l’endroit des aménagistes des forêts, des projets et programmes de conservation de la biodiversité. Il interpelle toutes les volontés sur la nécessité de la conservation de ces espèces dans les champs, les jachères et les forêts.

2. Matériel et Méthodes 

Description du site d’étude

L’étude s’est déroulée dans la région du Centre-Ouest et plus précisément dans les villages de Saria et de Villy-Godin (province du Boulkiemdé) à Réo et Kyon (province du Sanguié) (Figure 1). Ces villages appartiennent au climat nord-soudanien caractérisé par deux saisons : une saison pluvieuse allant de mai à octobre et une saison sèche de novembre à avril. De la mini-station météo de l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA) basé à Saria, la hauteur moyenne annuelle d’eau recueillie durant ces 20 dernières années est de 832 ± 118 mm. Le nombre de jours de pluie en moyenne est de 64 ± 9. Les températures varient entre 20 °C et 34°C en janvier et de 32°C à 40°C en Avril. La température moyenne annuelle est de 28°C. Les sols sont de type ferrugineux tropicaux lessivés, pauvres en phosphore, en bases échangeables et en matières organiques. Ils ne sont pas favorables à l’infiltration des eaux de surface dont l’évaporation est accélérée par une forte chaleur. Leur valeur agricole est moyenne et dépend en partie de la protection des sols ferrugineux. La végétation est caractérisée par des savanes arbustives et arborées à graminées annuelles. Les principales espèces ligneuses rencontrées sont Parkia biglobosa (Jacq.) R. Br. ex G. Don, Vitellaria paradoxa C.F. Gaertn, Adansonia digitata L., Tamarindus indica L., Lannea microcarpa Engl.&Krause, Saba senegalensis (A.DC.) Pichon et le tapis graminéen est constitué de Andropogon gayanus Kunth, Cuperus rotundus. L’agriculture, l’élevage, l’exploitation des ressources forestières, le commerce et l’artisanat sont les principales activités menées par les populations des deux provinces.

figure 1

Figure 1: Localisation des sites d’étude

Echantillonnage et collecte des données

L’étude s’est déroulée dans les trois types d’utilisation des terres (forêts, champs et jachères) dans quatre villages (Saria, Villy-Godin, Réo et Kyon). Afin d’apprécier l’état des peuplements des trois espèces alimentaires (B costatum, P biglobosa et S senegalensis), nous avons installé 180 placeaux d’inventaire floristique de 50 m×50 m dans les types d’utilisation des terres (forêt, champs et jachère) sur la base de la présence d’au moins un individu adulte des trois espèces étudiées. Dans chaque placeau, toutes les espèces ligneuses rencontrées ont été recensées. Les paramètres mesurés sont la hauteur des individus, la circonférence à 1,30 m du sol et la circonférence à 20 cm du sol en raison de la variabilité du type de port (déformation des troncs des plantes due à la pression anthropique) (SANOU et al., 2022). Les mesures de circonférence se sont faites à l’aide d’un ruban métrique et pour la hauteur à l’aide d’une perche. Dans chaque placette d’échantillonnage, les données relatives aux caractéristiques du milieu ont été notées. Le potentiel de régénération a été évalué dans des placettes de (5 × 5) m2 délimitées à l’intérieur de chaque placette d’échantillonnage de 2500 m2 de la strate adulte. Il a été considéré comme faisant partie de la régénération, tous les individus dont le diamètre à 1,30 m du sol était inférieur à 5 cm (SANOU et al., 2022). 

Analyse des données

Richesse et diversité des espèces : 

Pour mieux examiner la relation entre la diversité et le type d’utilisation des terres nous avons calculé plusieurs indices de diversité tels que : 

-l’indice de Margalef sur la richesse spécifique DMg=(S-1)/lnN Où N = nombre total d’individus recensés; S = nombre total des espèces dans la population (richesse spécifique) ; 

-l’indice de Shannon-Wiener, h Avec Pi = abondance relative des ième espèces dans une parcelle. H’ est minimal (= 0) si tous les individus du peuplement appartiennent à une seule et même espèce, H’ est également minimal si, dans un peuplement chaque espèce est représentée par un seul individu, excepté une espèce qui est représentée par tous les autres individus du peuplement. L’indice est maximal quand tous les individus sont répartis d’une façon égale sur toutes les espèces. L’indice de diversité de Shannon-Wiener permet de quantifier l’hétérogénéité de la diversité spécifique d’un milieu.

-l’indice équitabilité de Shannon J’= H’/lnS où H’ est l’indice de Shannon et S la richesse spécifique.-la réciproque de Simpson1/l =Sni (ni – 1)/ Ni (Ni – 1) avec ni le nombre d’individus de l’espèce i dans le type d’utilisation considéré et Ni le nombre total d’individus dans type d’utilisation considéré.

Pour évaluer la diversité B (similarité entre des parcelles de végétation différentes) l’indice de Jaccard est calculé. Il varie potentiellement de 0 à 1 et une valeur proche de 1 montre une très grande similarité entre les parcelles, et donc une faible B-diversité.

Tendance démographique des trois espèces étudiées :

En ce qui concerne l’état de la régénération naturelle, il s’agit ici de prendre en compte la densité des individus jeunes de chacune des trois espèces étudiées rencontrées dans les placettes d’échantillonnage. La détermination de la tendance démographique des trois espèces étudiées a été faite sur la base de la structure en classe de diamètre. Ainsi, les plants sur l’ensemble des sites et ce, selon les types d’utilisation des terres ont été regroupés en 6 classes de diamètre d’amplitude 5 cm.

3. Résultats 

Composition floristique

Dans l’ensemble des sites d’étude, nous avions inventorié, 1588 individus ligneux constitués en 31 espèces réparties dans 13 familles et 25 genres (Tableau 1). En termes de densité, Kyon présente la valeur élevée (40,67±66,88) suivi de Saria (39,85±24,57), Réo (34,13±78,41) et de Villy-Godin (28,74±38,13). Il ressort cependant que c’est Saria qui regorge de la meilleure diversité spécifique avec 24 espèces et Villy- Godin présente la plus faible diversité avec 18 espèces. D’un point de vue générale, il n’y a pas de différence statistique entre les sites en ce qui concerne la densité, le nombre de familles, d’espèces et de genre, de diamètre (P>0,05). Il n’y a eu de différence significative qu’au niveau de la surface terrière, où la valeur la plus élevée a été obtenue à Kyon (P<0,05). 

Tableau 1 : Résumé de la composition des espèces et caractéristiques structurales des arbres de Dbh≥ 5 cm pour chaque site

tableau 1

L’indice de valeur d’importance est un paramètre important qui indique l’importance écologique des espèces dans un écosystème donné. Les espèces à IVI élevées sont considérées comme plus dominantes que celles dont les IVI sont faibles et impriment leur physionomie à l’ensemble du paysage. Des quatre sites d’étude, Villy-Godin a la plus grande valeur avec 255,53 suivis de Réo avec 253,19, de Saria avec 249,82 et celui de Kyon avec 244,58. Vitellaria paradoxa, Bombax costatum, Parkia biglobosa, Lannea microcarpa et Azadirachta indica sont les espèces les plus importantes dans les quatre sites de l’étude. Vitellaria paradoxa occupe le premier rang avec une valeur d’indice d’importance égale à 98,42 (Tableau 2). 

Tableau 2 : Les cinq espèces les plus importantes en fonction de leur IVI dans chaque site

tableau 2.1

tableau 2.2

Note : DoR: dominance relative ; DR: densité relative, FR: fréquence relative

Pour les Sapotaceae, Saria présente la densité la plus élevée avec 75 pieds/ha et la plus faible est observée au niveau de Kyon avec 26 pieds/ha. Pour les Fabaceae-Mimosoideae, c’est Kyon qui présente la meilleure densité avec 51 pieds/ha et la plus faible est relevée à Villy-Godin avec 32 individus/ha. La famille des Anacardiaceae quant à elle a une meilleure densité à Réo avec 28 individus/ha, tandis que la plus faible densité est observée à Villy-Godin avec 21 individus à l’hectare. La représentation des familles communes à l’intérieur des sites révèle la dominance des Sapotaceae, Fabaceae-Mimosoideae, Combretaceae, Malvaceae et les Anacardiaceae (Tableau 3). 

Tableau 3 : Les cinq importantes familles dans chaque niveau de perturbation selon leur densité et leur valeur d’importance de famille.

tableau 3.1

tableau 3.2

Mesures de la diversité

Les valeurs d’indice de diversité Shannon-Weiver sont faibles dans les différents sites d’étude. Les valeurs étaient respectivement H’= 0,89 ; 0,65 ; 0,84 et 0,87 à Saria, Villy-Godin, Réo et Kyon (Tableau 4). L’indice de Shannon sur la régularité est également faible dans les quatre sites. Selon l’indice de diversité de Margalef, Villy-Godin (DMg =5,05) est le moins diversifié par rapport aux autres sites. La réciproque de l’indice de Simpson (1/ʎ), indique que Réo est le plus diversifié. Les valeurs de l’indice de similarité de Jaccard varient de 47% à 87%. Les valeurs obtenues de l’indice de Jaccard, montrent que la flore des quatre sites appartienne à une même communauté végétale, car tend vers 1. Cependant cette similarité est plus prononcée entre la flore de Kyon et Réo (0,87), Villy-Godin et Saria (0,68), ensuite Kyon et Saria (0,51), Réo et Saria (0,49) et qu’entre Kyon et Réo (0,47) (Tableau 5). 

Tableau 4 : Mesures de la diversité des arbres dont le Dbh≥ 5 cm dans les quatre sites

tableau 4

Tableau 5 : Similarité de la composition des espèces (Individus dont le dbh≥ 5cm) entre les différents sites

tableau 5

Structure de la strate adulte B. costatum et de P. biglobosa selon le type d’utilisation des terres

Les pieds pré-comptables de B. costatum et de P. biglobosa recensés dans champs et les jachères sont regroupés en six classes de diamètres d’amplitude 5cm (Figure 2). 

La distribution de la strate adulte des deux espèces dans les quatre sites donne un regroupement de la majeure partie des individus dans la classe de diamètres supérieurs à 30cm (D ≥ 30cm) correspondant à une structure en « J » dans les champs et en jachère. On note également que pour B. costatum seulement à Saria enregistre des individus dans les jachères par contre P. biglobosa quant à elle enregistre des pieds en champ comme en jachère dans les quatre sites (Saria, Villy-Godin, Réo et Kyon). On note que P. biglobosa présente plus d’individus dans les jachères que dans les champs surtout à Kyon. 

Densité des individus juvéniles dans les champs et jachères par site

Les densités des juvéniles selon les deux types d’utilisation des terres sont consignées dans le Les densités nulles dans les sites témoignent de l’absence de ces espèces juvéniles dans certains types d’utilisation des terres. Parmi les trois espèces S. senegalensis compte les plus fortes densités avec 19±1 (Villy-Godin en champs) et 14±3 (Saria en jachères) suivi de B. costatum avec 4±1 (Kyon en champ) et 2±0 (Saria en jachère). Les champs enregistrent les plus fortes densités. On note la quasi absence de pieds juvéniles de P. biglobosa dans les quatre sites et dans les types d’utilisation de tertre (Tableau 6).

Tableau 6 : Densité des individus jeunes des trois espèces étudiées dans les quatre sites

tableau 6

figure 1.2

figure 1.2

Figure 2 : Distribution en classes des diamètres de Bombax costatum et de Parkia biglobosa dans les champs et les jachères dans les sites d’étude

4. Conclusion 

Cette activité avait pour objectif global de déterminer la structure des populations de trois espèces agroforestières à grande valeur socioéconomique B. costatum, P. biglobosa et S. senegalensis menacées de disparition dans trois types d’utilisation des terres. Leur importance socio-économique les rend vulnérables et constituent de même une source de menace. La faible densité de juvéniles de B. costatum, P. biglobosa et S. senegalensis confirme cette tendance. Les structures horizontales sont instables dans les trois types d’utilisation des terres (champ, forêt et jachère) avec une prédominance de sujets vieillissants. Cette situation confirme les difficultés de régénération de ces trois espèces dans les différents types d’utilisation des terres où la compensation des mortalités adultes est fortement compromise par la réduction des possibilités de repousse de jeunes individus. Au regard de cette périlleuse situation de ces espèces, il serait raisonnable d’appliquer les bonnes pratiques de gestion sylvicole dans les formations naturelles, notamment le reboisement quantitatif et qualitatif, la régénération naturelle assistée (RNA), la plantation et la protection d’espèces d’arbres ciblées, l’exploration d’autres voies de multiplication des espèces (drageonnage, marcottage, bouturage, greffage) à enseigner aux producteurs. Par ailleurs, une sensibilisation continue sur l’importance de la préservation des ressources végétales et des formations en technique de coupe, de cueillette auprès des populations locales pourrait grandement contribuer au maintien des espèces dans nos savanes.

SANOU Lassina1*; THIOMBIANO Daniabla Natacha Edwige1, DIAWARA Sata1,2, NAGALO Barnard3, KOALA Jonas1

1Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA)/Laboratoire de l'environnement et des écosystèmes forestiers, agroforestiers et aquatiques (Labo ECOFAA), Ouagadougou, Burkina Faso

2Université Joseph Ki-Zerbo, Unité de Formation et de Recherche en Sciences de la Vie et de la Terre(UFR/SVT)./Laboratoire de Biologie et Ecologie  végétales (LaBEv), Ouagadougou, Burkina Faso

3Ecole Nationale des Eaux et Forêts , Bobo Dioulasso , Burkina Faso 

*Auteur correspondant : SANOU Lassina ; email : lassina.sanoulassina@gmail.com

5. Références bibliographiques 

DIAWARA S., SANOU L., KABRE B., SAVADOGO P., OUEDRAOGO A. (2022). Utilizations, vulnerability and conservation practices of Saba senegalensis (A.DC.) Pichon (Apocynaceae), a high value local species in Burkina Faso. Ethnobotany Research and Applications, 24 :1-19. 

NAGALO, B., 2022. Dynamique structurale de trois agroforestières et perceptions paysannes sur leur importance dans la région du centre-ouest du Burkina Faso. Mémoire d’Inspecteur des Eaux et Forêts, Ecole Nationale des Eaux et Forêts de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso. 68p.

SANOU L., OUATTARA B., KOALA J., HIEN M. et THIOMBIANO A., 2022. Composition, diversity and structure of woody vegetation along a disturbance gradient in the forest corridor of the Boucle du Mouhoun, Burkina Faso. Plant Ecology and Diversity, 1-13. Doi.10.1080/17550874.2022.2039315