Résumé
La pratique de l’élevage occupe une frange non négligeable de la population au Burkina Faso. En effet, dans le secteur, hormis les bergers peulhs considérés comme les dépositaires de la pratique de l’élevage, on y retrouve de plus en plus d’autres catégories de la société qui s’adonnent à la pratique. Cependant, la pratique de l’élevage requière un certain nombre de savoirs qui ne sont pas à la portée de tous. Cette réflexion vise à analyser les savoirs endogènes en voie de disparition dans la pratique de l’élevage. L’objectif étant de pouvoir permettre à la jeune génération de bénéficier de ces savoirs et de les pérenniser.
Introduction
Au Burkina Faso, l’élevage représente environ 10 % à 20 % du PIB, et est le deuxième grand contributeur à la valeur ajoutée agricole après le coton (FAO, 2019), cité par B. Bâ (2021). L’aliment et le pâturage des animaux demeurent une préoccupation majeure surtout dans le contexte de changement climatique. Avant chaque transhumance, les Garsoo, qui sont « les maîtres des savoirs pastoraux », font une mission de reconnaissance sur la trajectoire supposée de ladite transhumance pour inspecter de la disponibilité et de l’accessibilité des ressources pastorales (pâture et eau) et des risques probables (types de maladies animales, présence ou non de bandits, etc.). D’autres savoirs endogènes sont aussi utilisés pour renforcer l’exploitation des ressources naturelles. La compréhension des savoirs locaux ou connaissances endogènes permet de prendre des décisions éclairées qui facilitent leur adaptation aux aléas de leur milieu. (B. Bâ, 2021). Les savoirs locaux se transmettent également à travers les expériences personnelles acquises par le jeu de l'accumulation des essais et des erreurs. Les pasteurs peulhs sont réputés, parmi les éleveurs, comme les meilleurs connaisseurs de la nature et comme ceux qui y vivent de la façon la plus proche. L’apport des pasteurs à la nature s’inscrit dans un usage mobile et temporaire de ressources naturelles. Ainsi, à propos des pasteurs, M. Benoit (1988 :109) a valorisé leur comportement responsable envers la nature. La présente étude vise à analyser les savoirs endogènes que détiennent les éleveurs peulhs dans l’exploitation des fourrages, les points d’eau dans le cadre de l’alimentation et du pâturage des animaux dans la commune de Nouhao.
1. Méthode et terrain
Nouhao fait partie de la région du Centre-Est du Burkina Faso. Elle possède un aménagement de vallée qui couvre une superficie de 200 000 hectares dont 95 000 hectares destinés à l’élevage et 105 000 hectares à l’agriculture. Au total, l’échantillon d’étude est composé de 198 éleveurs de 4 centres d’appui. Le groupe cible est composé essentiellement des pasteurs peulhs. Pour l’analyse des données, nous avons appliqué la méthode d’analyse de contenu de R. Quivy et L. V Campenhoudt (1995).
2. Résultats et discussion
Deux principaux déterminants (eau et fourrages) poussent les éleveurs à la pratique de la transhumance. Ils détiennent des savoirs locaux qui permettent d’exploiter qualitativement et quantitativement ces ressources pastorales. Pour cela, les éleveurs peulhs ont subdivisé l’année en cinq saisons. La durée de la mobilité dans la zone pastorale de la Nouhao varie de 3 à 6 mois en fonction des périodes calendaires des Peulhs, des lieux de transit et de chaque famille (IMA-OUOBA et FAYAMA, 2024). La mobilité avec le bétail est d’abord un acte individuel. C’est l’éleveur qui décide de partir exploiter d’autres pâturages. Cependant, du fait que ce soit plusieurs éleveurs qui se déplacent avec leur bétail, cela en fait un phénomène de masse. Deux principaux déterminants poussent les éleveurs à la pratique de la transhumance. Il s’agit de l’eau et le fourrage.
Le type de point d'eau utilisé par les éleveurs change au fil du temps. Ces changements sont liés soit à la disponibilité, soit à l'aspect que présente la ressource eau pour le bétail. Les éleveurs font la distinction entre l'eau des cours d'eau dans les bas-fonds, l'eau du barrage et l'eau des puits. Ils sont donc sensibles à la qualité de l'eau et à l'aspect qu'elle présente (IMA-OUOBA et FAYAMA, 2024), Cela joue énormément dans leur décision s’agissant du point d'eau qu'ils doivent utiliser pour abreuver leurs animaux selon les périodes. Ils utilisent des indicateurs simples pour se faire une idée de la qualité de l'eau. Il s'agit d'une part des indicateurs directs sur la ressource comme l'aspect et l'odeur de l'eau et d'autre part des indicateurs indirects sur l'animal. « Lorsque l'eau est de mauvaise qualité les animaux qui s'y abreuvent ont un pelage terne avec des poils hérissés », disent-ils.
Durant la saison pluvieuse (Nduungu) et la période de récolte (Yaamde), les éleveurs préfèrent abreuver leurs animaux dans les points d'eau de surface. Ils considèrent que « c'est une eau qui ruisselle après les pluies et de ce fait contient moins de parasites ». C'est pendant la saison sèche froide (Dabuunde) que les problèmes commencent avec le début de tarissement des eaux de surface. Elles deviennent boueuses et dans certains cas elles pourrissent en raison de la décomposition des feuilles qui y sont tombées. A ce moment, les animaux sont préférentiellement abreuvés aux forages et aux puisards car c'est la meilleure eau à cette période. Ces mêmes sources d’eau et certains barrages seront également utilisés au cours des saisons sèches chaudes (Ceedu) et des pluies précoces (Gataaje). (IMA-OUOBA et FAYAMA, 2024),
On note une utilisation saisonnée des ressources en fonction des différents types de pâturage et selon le calendrier pastoral. Elle vise à valoriser les complémentarités spatio-temporelles de l'écologie des parcours (états de la végétation) dont les éleveurs ont une certaine maîtrise. En plus des connaissances qu'ils ont des pâturages et de leur valeur selon les périodes, les éleveurs disposent des indicateurs indirects qui leurs permettent d'évaluer les pâturages fréquentés par les troupeaux. Ces indicateurs portent sur l'animal : « nous observons le flanc droit de l'animal. Lorsqu'il est creux le soir de retour du pâturage, c'est que le troupeau a fait un mauvais parcours dans la journée. Nous repartons avec le troupeau pour la pâture de nuit afin de combler le déficit alimentaire », disent-ils (IMA-OUOBA et FAYAMA, 2024), Deux autres indicateurs consistent à apprécier les poils et le flanc de l’animal.
Les pratiques de conduite du troupeau au pâturage tiennent compte des connaissances qu'ont les bergers. Ces pratiques sont basées sur un découpage du temps en cinq périodes et de l’espace adaptés à la zone pastorale. On constate que l’année qui rassemble ces cinq saisons de durées quelques peu imprécises, n’a pas elle-même une longueur rigoureusement fixe : elle peut s’allonger légèrement ou s’amenuiser en fonction du climat de l’année, (A. Bergeret, 2002). Les savoirs locaux mobilisent des connaissances très poussées, des éleveurs expérimentés et qui savent interpréter les signes annonciateurs du temps climatique sont qualifiés « d’experts » en prévision du temps (Op. Cit, 2002 :224). Les éleveurs sont très sensibles à la qualité de l’eau d’abreuvement pour le bétail. Cette sensibilité des éleveurs à la qualité de l'eau a été aussi mentionnée par S. Petit (2000) et O. Sy (2010). Ce savoir-faire pastoral combine aussi les interrelations entre les éleveurs de la zone pastorale et les agriculteurs de la zone agricole à travers l’exploitation des champs de ces derniers par la vaine pâture post-récolte.
Conclusion
Il ressort de l'étude que les éleveurs ont une bonne connaissance des pâturages et de leur évolution. Cette maîtrise du contexte spatio-temporel dans lequel ils se trouvent se manifeste à travers le découpage de l'année en périodes caractérisées par des variables prenant en compte l'évolution de l'état de la ressource alimentaire et hydrique. Il s’agit d’un temps cyclique, d’un continuum qui se déroule chaque année, rythmé par la saison des pluies dont la qualité et les caractéristiques déterminent largement le "bien" ou le "mal" vivre durant l’année en cours. L’appropriation de ces savoirs locaux contribuent énormément à réduire le déficit fourrager et peuvent sous-tendre une réponse durable aux effets adverses du climat. Il devient opportun dès lors de rehausser le niveau de connaissances endogènes des jeunes bergers à travers leur formation. Il faut également capitaliser ces connaissances endogènes en fulfuldé et en d’autres langues locales. Il est important de faire recours aux « mawdo duroobé » en fulfuldé ou « vieux bergers » qui possèdent l’habileté à surmonter les difficultés ou désaccords entre éleveurs et agriculteurs.

Dr Sidonie Aristide IMA-OUOBA, Chargé de Recherche CAMES en Anthropologie Sociale et Culturelle

Dr Tionyélé Fayama, Maître de recherche CAMES en sociologie-anthropologie
Références bibliographiques
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Sidonie Aristide IMA-OUOBA et Tionyélé FAYAMA (2024), Conduire les troupeaux au pâturage : savoirs locaux et pratiques des éleveurs peulhs de la Nouhao au Burkina Faso, La Revue Africaine des Sciences Sociales « Pensées genre. Penser autrement » Vol. IV, N° 2, pp :124-144
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