SAWADOGO Honorine Pegdwendé
Sociologue, Chercheur à l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique de Ouagadougou INSS/CNRST
Ouagadougou/Burkina Faso
Introduction
Cet article est un document de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2025 suite à nos recherches sur les problématiques du déplacement urbain.
Les populations affectées par les crises et en situation de déplacement sont exposées à des risques multiformes se rapportant entre autres à la perte de leur terre, de leur logement, de l’emploi, la marginalisation, l’insécurité alimentaire et la perte de l’accès aux ressources collectives (Cernea, 1998, 1999). D’ailleurs, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR, 2019) estime que les personnes déplacées internes sont sujettes à des changements de conditions de vie qui deviennent plus difficiles. Analysant les conditions de vie des déplacés internes en contexte de conflit, Rodier (2007) trouve que ces derniers sont animés par des tergiversations entre espoir de retour et perspective d’intégration à l’accueil par l’exercice d’activités socioéconomiques résilientes.
la ville de Ouagadougou, a accueilli à la date du 31 mars 2023, 36426 PDI dont : 11682 femmes, 6258 hommes, 7024 enfants de moins de 5 ans, 11462 enfants de plus 5 ans, posant ainsi la question de la gestion des personnes déplacées dans la capitale. Comprendre les conditions de vie des PDI dans la ville de Ouagadougou devient crucial. L’objectif de cet article est de documenter les conditions de vie des PDI dans la ville de Ouagadougou. De façon spécifique, il s’agit de comprendre comment les PDI ont été accueillies dans la ville de Ouagadougou ; dans quelles conditions elles vivent actuellement ; et quelles sont leurs stratégies de survie.
1. Méthodologie
Cette étude, conduite auprès des personnes déplacées internes (PDI) de la ville Ouagadougou, a privilégié l’approche qualitative à travers des entretiens individuels semi-dirigés et d’observation directe sur les lieux d’habitation des PDI. À travers le choix de ce site comme espace d’observation, nous cherchons à découvrir les réalités quotidiennes des personnes déplacées internes et leurs stratégies de résilience depuis leur arrivée dans la ville de Ouagadougou. L’approche étant qualitative, la dynamique de l’enquête a été basée sur le principe de l’hétérogénéité et de la diversité des points de vue. La population d’enquête est constituée de femmes et d’hommes déplacés et de quelques personnes de la communauté d’accueil. La technique du choix raisonné sur la base de la prédisposition des sujets à participer à l’enquête a guidé la constitution de l’échantillon. Grâce au guide d’entretien et à la grille d’observation, le travail de terrain a permis d’échanger avec quarante-neuf (49) personnes : trente-trois (33) PDI dans la ville de Ouagadougou, dont seize (16) femmes, dix (10) hommes, trois (03) filles et quatre (04) garçons ; cinq (5) voisins directs de personnes déplacées internes et huit (11) citadins (trois travailleurs sociaux, un commerçant, un mécanicien, un enseignant, deux représentants d’ONG et trois représentants d’association). L’étude étant axée sur une approche compréhensive, les entretiens réalisés ont été littéralement transcrits ; les données ont été analysées et interprétées suivant la technique de l’analyse de contenu. Les enquêtés sont désignés par des pseudonymes dans le respect du principe de l’anonymat.
2. Résultats
2.1. Conditions de vie des PDI à Ouagadougou
Les PPDI ont bénéficié de ressources matérielles (argent, aliments, etc.) et symboliques (solidarité, actions caritatives, etc.) depuis leur arrivée à Ouagadougou grâce aux voisins, et à d’autres personnes de bonnes volontés. L’expression de la solidarité et de la compassion envers les personnes déplacées se traduit également par l’octroi de logement à certaines personnes qui étaient dans l’extrême dénuement, et par la prise en charge de la scolarisation de certains enfants par des bonnes volontés. Cet élan de solidarité a marqué de nombreuses personnes déplacées internes qui s’en souviennent encore. Comme [KR] qui souligne que « Nous vivons ensemble sans problème avec les voisins, s’ils ont un événement heureux ou malheureux nous partons les assister et eux aussi ils viennent chez nous. Il n’y a aucun problème entre nous ; seulement c’est le manque de travail qui est notre souci » [KR, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Kouroumba, marié polygame, 57 ans, 15 enfants]. [FQ] exprime également sa reconnaissance envers ses bienfaiteurs.
Ouagadougou est mieux que là où nous sommes venus. Même si les gens du gouvernement ne nous aident pas, les gens nous ont bien accueillis et ils s’occupent bien de nous et nous remercions Dieu pour ça parce que c’est difficile d’entretenir un être humain pour qu’il mange, boive et s’habille ; c’est très difficile et voilà pourquoi nous ne pouvons pas finir de remercier les personnes généreuses de Ouagadougou. Quand on arrivait ici on n’avait pas de chaussures ni d’habits et c’est grâce aux bonnes volontés de Ouagadougou que nous avons aujourd’hui des habits et de la nourriture sinon nous n’avons pas de champs ici pour cultiver mais grâce aux bonnes volontés de Ouagadougou nous arrivons à manger. Voilà pourquoi nous les remercions. Nous n’avons aucun problème avec les voisins; tous les matins on se saluent comme une même famille. Nous remercions vraiment tous ceux qui nous aide parce que c’est difficile d’aider les gens et ces derniers aussi ont des familles qu’ils doivent entretenir, donc vous voyez que c’est difficile aussi pour ces gens-là de nous aider et aider aussi leurs familles. Donc voilà pourquoi nous remercions tous ceux qui nous viennent en aide [FQ, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 55 ans, 3 enfants].
C’est ce que relève aussi [BA].
Depuis que nous sommes venus à Ouagadougou, je n’ai pas eu quelqu’un pour me donner du travail mais j’ai reçu de l’aide en argent de 46 000 francs CFA pendant trois mois, de l’église qui est vers le marché de Bassinko. Je ne parle pas des autres, mais de ce que moi j’ai reçu comme aide en argent depuis que je suis venu ici. J’ai reçu aussi de l’aide en nourriture. Nous avons reçu du riz, du maïs, du savon et bien d’autres choses. Nous avons reçu aussi des habits. Les aides viennent de partout et je ne connais pas ceux qui nous apporte ça. Les gens viennent sur notre site ici pour donner mais nous ne les connaissons pas [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants].
De nombreuses personnes déplacées n’exercent pas d’activités économiques ou exercent un emploi précaire avec des conditions salariales dérisoires.
Nous prions Dieu tous les jours pour qu’il y ait la paix. Parce que si nous restons dans ces conditions, c’est vrai que c’est Dieu qui donne longue vie mais c’est difficile de vivre longtemps parce que ça ce n’est pas une vie; nous sommes habitués à travailler la terre et maintenant tu es assis et tu ne peux plus cultiver, un cultivateur ne peux pas s’asseoir regarder l’eau qui tombe et coule en abondance et il ne peut pas profiter ; c’est tout ça qui nous fait mal ; chez nous pendant la saison des pluies certains exploitent 6 à 7 hectares et aujourd’hui tu es là assis dans une petite parcelle de quelqu’un qui peut même du jour au lendemain vous mettre dehors et mettre en valeur sa parcelle parce que c’est pour lui. Même les quelques pieds de maïs que nous avons semés pour les enfants il peut venir détruire ça pour construire. Donc voilà comment notre vie est devenue et nous ne pouvons pas dire que nous sommes contents parce que si tes projets ne se réalisent pas tu ne peux pas être content. C’est vrai que c’est difficile de réaliser tous les projets, mais si sur 10 tu arrives à réaliser 7, tu peux t’estimer heureux parce que tout ne peut pas être parfait dans la vie [KB, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, marié polygame, 59 ans, 7 enfants].
Les PDI ont bénéficié de la solidarité de leurs voisins depuis leur arrivée dans la ville de Ouagadougou. Elles vivent dans des conditions précaires, notamment dans les abris où la densité de population est élevée. Leur principale préoccupation est l’accès aux activités rémunératrices.
2.2. Stratégies de résilience pour la survie en milieu urbain
Il faut noter que les personnes déplacées internes exerçaient des activités dans leur zone de départ. Les principales activités exercées sont entre autre l’agriculture, l’élevage, le petit commerce et les activités d’orpaillage. Une fois en ville, pour résister aux contraintes qu’impose la vie urbaine, les personnes déplacées internes s’engagent dans des activités précaires : faire la lessive ou la vaisselle dans les ménages moyennant de l’argent, pratiquer la culture maraîchère ou la maçonnerie, la mécanique, la fente du bois, etc.
J’étais agriculteur à Pobé Mengao. Depuis que je suis ici je n’ai pas d’activité, je ne fais rien, tous les jours je suis assise comme tu nous voit. Nous n’avons aucune activité depuis que nous sommes venus ici; nous sommes des travailleurs mais nous n’avons pas de terrain ici pour cultiver. S’il y avait le terrain nous allons travailler pour se nourrir au lieu de s’asseoir à ne rien faire et attendre que des gens viennent vous aider. Depuis que nous sommes nés nous ne connaissons pas autres choses que cultiver. Mon mari part en ville chaque jour pour chercher du travail [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants].
Selon les propos de TA, un chargement de tricycle coûte entre 3 000 et 4 000 francs CFA. Si elle arrive à vendre, cela lui permet d’acheter des légumes, mais aussi de faire plaisir à ses enfants.
Actuellement, en dehors du jardinage nous n’avons plus eu d’autres activités à faire, mais s’il y a de l’eau disponible pour faire la salade, en 30 jours tu peux avoir au moins 35 000 FCFA s’il y a le marché. Donc s’il y a ces genres d’activités pour nous, nous allons être vraiment content parce que si tu peux avoir 35 000f par mois tu peux te débrouiller petit à petit mais s’il n’y a pas d’eau! Actuellement c’est la saison des pluies et après la saison des pluies nous allons faire comment? Il y a un forage mais pendant la saison sèche sa puissance ne suffit pas pour faire le jardinage [KR, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Kouroumba, marié polygame, 57 ans, 15 enfants].
Les attaques terroristes poussent les populations à migrer vers les zones urbaines pour y trouver refuge. Toutefois, dès leur arrivée en ville, elles sont confrontées à des problèmes de logement, de sous-emploi, de précarité et d’intégration sociale. Il est clair que les personnes déplacées vivant dans les zones urbaines sont confrontées à des conditions de vie et de travail compromises, à des abris et des services inadéquats et à des réseaux sociaux souvent faibles. Les systèmes urbains, déjà sous pression, et les mécanismes de gouvernance, ne tiennent pas compte des priorités et des perspectives des personnes les plus exposées au risque de déplacement. Cela affaiblit la résilience des personnes déplacées et les structures urbaines sur lesquelles elles s’appuient. Le recours à des structures informelles et à des établissements exposés aux aléas dénote de l’absence de solutions durables, ce qui ne rassurent pas les déplacés internes qui souhaitent retourner dans leur zone d’origine.
Discussion
Le Burkina Faso fait face à des défis multidimensionnels qui touchent également ses centres urbains. L'insécurité croissante et les impacts du changement climatique provoquent un déplacement massif des populations vers ces zones urbaines, perçues comme offrant un meilleur accès aux ressources et à la protection. Cela s’explique par le fait que les sites d’accueil temporaire (SAT) n’offrent pas des solutions adaptées aux attentes des PDI, mais aussi du fait que les villes sont perçues comme pouvant être un refuge à ceux qui ont perdu leurs maisons et leurs moyens de subsistance, et faciliter l’accès à des solutions durables (Gauvin, 2015 ; Jacobs et Paviotti, 2017). Le Rapport mondial sur le déplacement interne, 2019). Cependant, cet afflux massif de personnes déplacées ne se fait pas sans conséquences sur les PDI elles-mêmes qui peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité : difficultés d’accès à l’emploi, au logement, aux services sociaux de base, à la nourriture, etc.. Ces difficultés majeures rencontrées par les PDI ont été relevées dans la sociologie des déplacements forcés, où Cernea (1998) établit une analyse du déplacement forcé fondé sur le risque d’appauvrissement. À la suite des recherches menées sur les questions de déplacement et de réinstallation causés par des projets de développement au compte de la Banque mondiale, le sociologue constate que le fait d’être évacué de force de sa terre et de son habitation entraîne le risque de devenir plus pauvre qu’avant le déplacement, dans la mesure où une partie importante des Personnes déplacées ne reçoit pas d’indemnisation pour les biens perdus ni d’assistance effective pour rétablir leurs moyens de production (Cernea, 1998; 1999; 2003). Les études montrent en outre que l’arrivée des PDI par vague dans les centres urbains imposent à ces espaces une pression croissante sur leurs infrastructures et leurs ressources, exacerbant les tensions et les rivalités pour l'accès aux ressources limitées (Bilak, 2016 ; Satterthwaite, 2017).
Des PDI ont relevé le fait que des problèmes de logements se posent dans les quartiers périphériques de Ouagadougou. Cela rejoint un rapport portant sur les problèmes de logements, de terrains et de propriétés découlant de la crise syrienne au Liban qui rapportait qu’en milieu urbain, près de la moitié des familles migrantes s’étaient installées chez un membre de la parenté immédiate déjà familier avec la région et que les relations familiales furent, dans une large mesure, à l’origine de la structure de cohabitation (Fawas et al., 2014).
Conclusion
La présente étude a mis en exergue les problèmes d’accueil qu’ont connu les PDI à leur arrivée dans la ville de Ouagadougou. Elle a également mis en lumière les conditions précaires dans lesquelles elles vivent depuis leur installation dans la capitale, tout en montrant les stratégies qu’elles inventent au quotidien pour survivre. Il ressort que le déplacement interne peut peser considérablement sur l’économie au niveau individuel, communautaire et même national par ses effets néfastes sur la santé physique des personnes, leur bien-être psychologique et leur environnement, mais également sur leur capacité à se procurer des moyens de subsistance, à accéder à l’éducation, au logement et aux infrastructures de base et à conserver une vie sociale épanouie. Les personnes déplacées sont considérées comme particulièrement vulnérables du fait de décalage entre le mode de vie dans leur milieu d’origine à solidarité mécanique et leur zone d’accueil à solidarité organique.
Les problèmes d’accès au logement, à l’emploi, la difficile intégration sociale que rencontrent les PDI en milieu urbain font de cette catégorie de population des personnes qui ont besoin d'une plus grande attention. Il est de ce fait important d'éviter les généralisations faciles et de prêter attention aux besoins et aux préoccupations particulières de ce groupe de personnes, afin de les aider à rompre avec le cycle de la dépendance à l’aide et de la pauvreté. Il est important que les programmes de relèvement soient plus efficaces en mettant l’accent sur la prévention ou l’anticipation des déplacements, et en intégrant les besoins des personnes et des communautés affectées dans les plans, stratégies et lois de développement local et national. Dans les villes, en particulier, compte tenu de la pression supplémentaire exercée sur les capacités et les ressources locales déjà limitées, les solutions durables exigent que les parties prenantes locales, nationales et internationales intègrent le déplacement interne dans les stratégies et le financement du développement urbain. Les populations affectées ne devraient pas seulement survivre, mais prospérer, s'épanouir et contribuer à l’économie locale. Le déplacement interne est un défi de développement au visage humanitaire et urbain.
Bibliographie
Cernea, M. M. (1998). «La sociologie des déplacements forces : un module théorique». AUTREPART-BONDY PARIS- p. 11-28.
Cernea M. M. (1999). «Déplacement forcé et réinstallation de populations : recherche, politiques d’intervention et planification,» in Économie et développement, Paris : Editions Karthala, pp. 207-235.
Cernea M. M. (2003). « Pour une nouvelle économie de la réinstallation : critique sociologique du principe de compensation », Revue internationale des sciences sociales 2003/1 (n° 175), pp. 3948. DOI 10.3917/riss.175.0039, http://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales2003-1-page-39.htm.
Rodier, C. (2007). Les « déplacés internes » en Serbie, Plein droit (73)2: 43. [En ligne], consultable sur URL :http://dx.doi.org/10.3917/pld.073.0043.
Bilak, A. (2016). L’Afrique face à ses déplacés internes, Politique étrangère Printemps, 1 : 39. [En ligne], consultable sur URL : http://dx.doi.org/10.3917/pe.155.0039
Fawaz, M., Saghiyeh, N., Nammour, K. (2014). Housing, Land and Property Issues in Lebanon: Implications of the Syrian Refugee Crisis. UN Habitat and UNHCR, Lebanon. 98p.
Gauvin, N. (2015). L’analyse de la vulnérabilité d’une population déplacée suite à un désastre naturel : le cas du site planifié Corail à Port-au-Prince. Mémoire de Maîtrise en sciences aménagement. Université de Montréal. Novembre 2015. 157 p.
Jacobs, C., et Paviotti, A. (2017). Distinguer les Personnes Déplacées Internes en milieu urbain: un défi sous-estimé. Van Vollenhoven Institute Law, Governance and Society. Decembre 2017. https://www.universiteitleiden.nl/binaries/content/assets/rechtsgeleerdheid/instituut-voormetajuridica/note-dorientation-1-by-carolien-jacobs-and-antea-paviotti.pdf
Satterthwaite D. (2017). « The impact of urban development on risk in sub-Saharan Africa’s cities with a focus on small and intermediate urban centres », International Journal of Disaster Risk Reduction, vol.26, p.16-23. https://doi.org/10.1016/j.ijdrr.2017.09.025
Sawadogo H. P. (2025). «Conditions de vie des personnes déplacées internes dans la ville de Ouagadougou : contraintes, défis et stratégies d’adaptation», Revue Panafricaine de la Jeunesse (RPJ), Éditions Lumumba, Vol.4, n°2, p. 198-208, https://editionslumumba.com/2025/11/04/revue-panafricaine-de-la-jeunesse-volume-4-n2-mai-aout-2025/