Conditions de vie et intentions de retour des personnes déplacées internes (PDI) de la ville de Ouagadougou

Submitted by RedacteurenChef on Mon 01/12/2025 - 09:45

 

SAWADOGO Honorine Pegdwendé

Sociologue, Chercheur à l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique de Ouagadougou INSS/CNRST

Ouagadougou/Burkina Faso

houedraogosaw@gmail.com

Introduction

Cet article est un document de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2025 suite à nos recherches sur les problématiques du déplacement urbain.

Les populations affectées par les crises et en situation de déplacement sont exposées à des risques multiformes se rapportant entre autres à la perte de leur terre, de leur logement, de l’emploi, la marginalisation, l’insécurité alimentaire et la perte de l’accès aux ressources collectives (M. Cernea, 1998, 1999). D’ailleurs, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR, 2019) estime que les personnes déplacées internes sont sujettes à des changements de conditions de vie qui deviennent plus difficiles. De ce point de vue et dans certaines circonstances, ces personnes sont assistées sur le plan matériel et moral par les acteurs humanitaires, les autorités gouvernementales ou encore les communautés d’accueil (UNHCR, 2019, p.13). L’adoption, le 23 octobre 2009 à Kampala par l’Union africaine (UA) de la Convention sur la protection et l’assistance des personnes déplacées engagent d’ailleurs les Gouvernements et fait d’eux les seuls responsables de la prise en charge des PDI de leur pays.

Pour une gouvernance de l’action humanitaire, le gouvernement burkinabè a organisé l’accueil des PDI dans différentes localités du Pays sauf à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. C’est ainsi qu’en début d’année 2019 le gouvernement burkinabè a fait cette déclaration : « Nous ne pouvons pas faire de site définitif à Ouagadougou parce que la capitale n’a pas les commodités nécessaires pour abriter les déplacés ». Selon le gouvernement burkinabè d’alors, l’avenir des déplacé·e·s installé·e·s dans les périphéries de Ouagadougou se trouverait dans les sites déjà aménagés de Barsalogho, Foubè et Kelbo au Nord et au Sahel, lesquels peuvent « prendre en charge convenablement les déplacé·e·s du fait du matériel humanitaire présent sur les lieux ». Par conséquent, ceux et celles qui ont choisi de rester à Ouagadougou sont dit·e·s en « situation irrégulière » et devront, selon les autorités, se prendre en charge ou être aux bons offices de leurs parents vivant en ville.

L’assistance du gouvernement est prioritairement orientée vers les sites aménagés ou au profit des PDI favorables à la politique de retour ou de réinstallation. Malgré le fait que la capitale du pays ne soit pas un site officiel d’accueil de PDI, on note l’arrivé de personnes déplacées internes dans la ville de Ouagadougou. Il est important de chercher à comprendre les projets de vie des PDI depuis leur arrivée dans cette ville. L’objectif de cet article est de recenser les éventuels projets de retour, de réinstallation ou d’intégration dans la capitale. 

1. Méthodologie

À travers le choix de la ville de Ouagadougou comme espace d’observation, nous cherchons à découvrir les réalités quotidiennes des personnes déplacées internes à travers leurs stratégies de résiliences et leurs perspectives de retour. Une approche qualitative a été adoptée pour comprendre les pratiques sociales des enquêtés, leur mode de vie et leurs projets de retour. 

Pour ce faire, trois types de matériaux ont été combinés, à savoir, l’entretien approfondi semi-directif, l’observation directe, et les sources documentaires. La technique du choix raisonné sur la base de la prédisposition des sujets à participer à l’enquête a guidé la constitution de l’échantillon.  Le travail de terrain a permis d’échanger avec quarante-six (46) personnes : trente-trois (33) PDI dans la ville de Ouagadougou, dont seize (16) femmes, dix (10) hommes, trois (03) filles et quatre (04) garçons ; cinq (5) voisins directs de personnes déplacées internes et huit (8) citadins (un commerçant, un mécanicien, un enseignant, deux représentants d’ONG et trois représentants d’association). Les entretiens réalisés ont été littéralement transcrits et analysés suivant la technique d’analyse de contenu. Les enquêtés sont désignés par des pseudonymes dans le respect du principe de l’anonymat.

2. Résultats

2.1. Projets de retour des personnes déplacées internes 

La plupart des PDI rencontrées ont émis le souhait de retourner dans leur localité d’origine pour plusieurs raisons. Certains soulignent l’inconfort et le difficile accès aux activités économiques en ville. D’autres relèvent la vie précaire qu’ils mènent dans la capitale comparée à leur vie d’agriculteur et d’éleveur dans leur village où ils vivaient dignes.

[BA], une femme déplacée interne, déplore la difficulté de trouver une activité génératrice de revenus en ville

Nous n’avons pas de vie ici et chaque jour nous implorons Dieu pour pouvoir retourner chez nous parce qu’ici nous n’avons pas d’activités, on ne peut pas cultiver parce qu’on n’a pas de champs ici, nous ne connaissons pas quelqu’un ici pour aller demander du travail aussi, vraiment c’est très difficile pour nous et ceux qui nous aide aussi sont fatigués de nous; voilà pourquoi nous voulons retourner chez nous. Nous n’avons pas d’activité qui puisse nous procurer de revenus. Quand vous êtes arrivé, vous avez vu les enfants sous l’arbre, ils n’ont rien à faire ; les jeunes femmes aussi vous les voyez assises non ? Elles n’ont rien à faire et c’est ainsi tous les jours. Nous sommes plus pauvres ici que quand nous étions dans notre village. Nous pensons tous les jours à retourner chez nous, seulement nous ne savons pas quand, parce que nous sommes fatigués et les gens aussi sont fatigués de nous aider. Ici nous souffrons beaucoup mais là-bas nous avons nos champs que nous pouvons cultiver mais ici nous ne cultivons pas et nous voulons manger et tout est cher, même ceux qui nous aide, nous savons qu’ils font des efforts parce que tout est cher ici [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants]. 

[KR], un homme de 57 ans, fait remarquer que dans son village, sa famille dispose de champs pour l’agriculture qui est leur activité principale, alors que dans la ville de Ouagadougou, ils peinent à trouver des activités génératrices de revenus.

Le jour que dieu va décider que la paix va revenir ici au Burkina nous seront les premiers à retourner à Pobé Mengao parce que nous voyons les richesses qui se trouvent là-bas, la terre s’est régénérée parce que ça fait maintenant trois ans que personne ne cultive là-bas. Si nous arrivons à repartir, nous savons qu’un an nous suffit pour avoir à manger ! Je dis bien une seule année nous suffit par exemple cette année si nous étions à Pobé Mengao pour cultiver, nous allons avoir de la nourriture. Regardez vous-même le petit espace que j’ai semé le haricot, ça fait trois fois maintenant que je récolte, mais la terre ici n’est pas aussi fertile que chez nous ! Donc si la paix revient, nous allons retourner chez nous [KR, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Kouroumba, marié polygame, 57 ans, 15 enfants]. 

Les PDI rencontrées souhaitent retourner chez elles, mais la situation sécuritaire dans leurs villages respectifs les retient encore dans la capitale.

2.2. Projets de réinstallation dans d’autres localités ?

Quelques personnes sont disposées à aller s’installer ailleurs à conditions qu’il ait un accompagnement financier et matériel pour leur permettre de travailler et se prendre en charge.

Je pense à la réinstallation vu que mon village n’est pas encore accessible, mais comme je n’ai pas les moyens, je ne peux pas aller m’installer ailleurs, sinon que je connais bien Léo, Sapouy, Bittou et bien d’autres localités ; mais si tu n’as pas les moyens tu ne peux pas aller t’installer ailleurs. Même pour aller cultiver il faut avoir de l’engrais, des produits chimiques pour tuer les mauvaises herbes, prendre des gens pour labourer le champ et tout ça demande des moyens. Si le gouvernement me donne ces moyens je peux aller me réinstaller ailleurs [SH, HDI à Ouagadougou depuis 5 ans, Yarga, marié polygame, 60 ans, 15 enfants]. 

Intéressé par le commerce de bétail et de céréales, [SH] projette sa vie ailleurs que dans la ville de Ouagadougou qui est un centre d’échanges commerciales et non un lieu de résidence pour lui. 

Oui, si j’ai un accompagnement je pourrais me réinstaller ailleurs comme je viens de dire, j’allais partir à Léo où à Bittou parce que je connais déjà ces localités où j’ai déjà séjourné au temps de Sankara. Je veux de l’argent pour aller payer les céréales et les animaux pour venir revendre ici parce que je connais ce travail que je pratique depuis des années [SH, HDI à Ouagadougou depuis 5 ans, Yarga, marié polygame, 60 ans, 15 enfants]. 

Entre rester dans la ville de Ouagadougou et partir ailleurs, certaines PDI souhaitent un retour chez soi. Un retour sécurisé ou une réinstallation dans des zones fertiles propices à l’agriculture.

2.3. Retour sécurisé ou réinstallation dans des zones fertiles 

Aucune personne déplacée rencontrée lors de la collecte de données ne souhaite rester à Ouagadougou. Elles ont hâte de retrouver leur village et reprendre leurs activités de production. Toutefois, elles souhaitent un accompagnement du gouvernement pour un retour sécurisé dans leur localité d’origine.

La sécurité est primordiale dans les perspectives de retour de [BA].

Si nous devons repartir chez nous, il faut que les gens nous aident parce que nous n’avons plus rien. Pour retourner chez nous, il faut d’abord qu’il y ait la sécurité, ensuite il faut que nous ayons le transport pour repartir et avoir de quoi manger pour travailler et attendre les récoltes. Si tu n’as pas de quoi manger pour cultiver, comment tu vas faire ? Donc il nous faut assez de nourriture pour manger et pouvoir cultiver [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants]. 

Abondant dans le même sens, [KR] souligne la nécessité de sécuriser son village pour faciliter leur retour.

Le gouvernement doit d’abord sécuriser notre village, ensuite nous aider avec de la nourriture et des moyens de déplacements pour nous convoyer tous au village ; voilà ce que nous attendons du gouvernement comme accompagnement. L’année de notre retour ils n’ont qu’à nous donner de quoi manger pour travailler et ensuite nous pourrons nous en sortir seul [KR, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Kouroumba, marié polygame, 57 ans, 15 enfants]. 

Ainsi, entre inquiétude, cherté de la vie et sentiment de marginalisation ou de délaissement, les stratégies de résilience socio-économique s’imposent à chacun. L’exercice d’activités économiques par les PDI est une nécessité vitale. Les domiciles, les terres cultivables, le bétail, tous les biens ont été abandonnés dans leur itinéraire de déplacement pour la préservation de leur vie. Tout est ainsi à reprendre à zéro dans la ville de Ouagadougou. Entre retourner chez soi et rester dans une localité où tout est à reconstruire, l’option de retour dans sa zone de départ est clairement exprimée dans le discours des personnes déplacées internes rencontrées.

3. Discussion

L’expérience de quelques années de séjour à Ouagadougou montre que le déplacement des populations des villages vers les villes pour des besoins de sécurité, participe à une forme d’utopie urbaine. Des entrevues, il ressort que les personnes déplacées internes projettent retourner chez elles. Les projets de retour des PDI pourraient être analysés comme le résultat d’un choc et d’une désillusion : la découverte de l’image réelle de la ville comme paradis illusoire et la manifestation de la nostalgie de leur village autrefois perçu comme pauvre mais en réalité riche en dignité et en humanisme. Les témoignages recueillis mettent en exergue leur nostalgie de leur village. Elles y sont attachées et les relations qu’elles entretiennent avec leur localité de départ sont sociales et culturelles. Leurs parents y sont enterrés, elles y sont nées, y ont grandi et y sont mariées, y possèdent un héritage qu’elles doivent pérenniser. Leur besoin profond actuel est de pouvoir jouir de cette harmonie dans leur village natal. 

Toutefois, le retour dans les localités d’où elles ont été expulsées par les terroristes suppose une sécurité, une quiétude retrouvée sur l’ensemble du territoire national et cela incombe en première instance aux pouvoirs publics. Si la plupart des déplacés enquêtés souhaitent retourner dans leur localité d’origine, ce retour reste conditionné par un certain nombre de facteurs. Cela rejoint les résultats de recherche de I. Dembelé et ses collaborateurs qui soulignent que le conflit armé étant la cause fondamentale du déplacement, certaines PDI ont affirmé qu’ils pourront retourner dans leur localité dès que la paix sera rétablie. Pour d’autres déplacés, leur retour va dépendre du recouvrement de leurs terres et leurs biens qu’ils ont perdu pendant le déplacement précipité et forcé (I. Dembélé etA. Koné, 2021). 

Conclusion

La politique de retour et de réinstallation des PDI présente des enjeux majeurs : un retour sécurisé et une installation durable. Pour une réinstallation durable, l’un des défis est d’anticiper sur les conflits fonciers mais aussi d’apporter des réponses durables en matière d’urbanisation à la problématique globale de l'inclusion des PDI dans leurs communautés de vie respectives. En termes de sécurité, le désarmement des groupes terroristes suivi du retour des forces de sécurité nationales seraient un catalyseur pour le retour des PDI. Ensuite, une réhabilitation des logements endommagés, une exonération temporaire de la TVA sur les matériaux de construction serait appréciable dans les localités concernées pour accompagner progressivement le retour et la réinstallation des PDI. En outre, une fois retournées et/ou réinstallées, des actions novatrices et endogènes pourraient accompagner l’autoproduction des personnes retournées pour réduire l’assistanat prolongé. De même, la mise en œuvre de solutions inclusives durables en termes de gestion du foncier, la dynamisation du partenariat et l’amélioration de l’environnement de protection pourraient soutenir les efforts d’inclusion des PDI dans les localités de retour ou de réinstallation. 

Bibliographie

Cernea M. M. (1999). «Déplacement forcé et réinstallation de populations : recherche, politiques d’intervention et planification», in Économie et développement, Paris : Editions Karthala, p. 207-235. 

Cernea, M. M. (1998). «La sociologie des déplacements forces : un module théorique»Autrepart-Bondy Paris- p. 11-28.

Dembele I. et Kone A. (2021). «Conditions de vie et intention de retours des personnes déplacées internes au mali cas du camp de Faladie dans le district de bamako»Revue Droit et Sociétép.35-48.‎

Sawadogo H. P. (2025). «Personnes déplacées internes (PDI) de la ville de Ouagadougou : perspectives de retour et de réinstallation», Revue AKIRI, Revue Scientifique des Sciences humaines et sociales, Lettres, Langues et Civilisations, vol.3, No4, p. 1317-1333, doi : https://dx.doi.org/10.4314/akiri.v3i4.83

UNHCR, (2019). « Profilage des Personnes Déplacées Internes, Région du Sahel, Province du Soum. Du 20 Décembre 2018 au 14 Janvier 2019 », rapport, 24 p.