« Nous avons le devoir de les préserver pour nos enfants »

Submitted by Webmaster Info on Mon 23/05/2022 - 13:52
Espèces de plantes locales
Dr Souleymane Ganaba

Dr Souleymane Ganaba

À l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles, Département Environnement et Forêt, il y a un chercheur qui se démarque par son amour prononcé pour les espèces de plantes locales. Il se consacre à l’étude et à la sauvegarde de ces espèces. Le 17 mars 2022, nous avons rencontré Dr Souleymane Ganaba dans sa ferme de huit (8) hectares (située dans la commune rurale de Komki-Ipala) dédiée à la culture, à l’étude et à la promotion des espèces de plantes locales.
D’où vous vient cet amour développé pour les espèces de plantes ?

Lorsque je préparais ma thèse d’État, j’ai eu des problèmes psychiques. Et j’avais besoin d’un endroit pour me reposer, me ressourcer, nettoyer mon disque dur (Rires). J’ai visité plusieurs espaces, mais sans gain de cause. Heureusement, à la faveur d’une consultation à l’extérieur, j’ai pu réunir des fonds pour acheter ce domaine. Et tous les week-ends, je venais me cacher ici pour me reposer et me ressourcer.

Avec les connaissances scientifiques dont je dispose, j’ai pensé à préserver les plantes locales qui sont ici. Car ce sont elles qui m’ont soigné. Ce sont elles qui ont restauré mon psychisme. Je me suis dit que ce domaine peut aider d’autres personnes et servir à la préservation d’espèces locales que même nos enfants ne connaissent pas.
Nous avons le devoir de les préserver pour nos enfants. Nous devons leur apprendre à les reconnaître, à les protéger. Nous devons aussi leur apprendre les multiples vertus, les différentes utilisations et les inconvénients de ces espèces locales.

Qu’est-ce qu’on peut trouver de nouveau dans ce domaine de huit (8) hectares ?

Ici, on trouve de nombreuses espèces locales. J’ai publié plusieurs articles scientifiques dans lesquels j’ai mis en reliefs certaines espèces de plantes locales et leurs vertus. On retrouve par exemple Ximenia americana (Prunier jaune ou plante demoiselle ou Léinga en mooré). Cette plante a plusieurs vertus dans ses feuilles, ses fruits. Elle permet de soigner plusieurs maladies, dont celles de la prostate. L’huile extraite de la graine est utilisée en cosmétique.
On a également une plante qu’on appelle Cissus quadrangularis L. ou Vitis quadrangularis (L.). Elle a des vertus contre les mauvais sorts lorsqu’elle se trouve dans une famille. On citera aussi Maytenus senegalensis pour ses vertus aphrodisiaques.
Nous avons beaucoup de plantes. Nous avons aussi une pépinière que nous préparons, afin de produire ces plantes à mettre à la disposition des gens. Mon souhait est que les gens puissent avoir ces plantes dans leurs maisons pour mieux valoriser nos espèces locales.

Vous avez trouvé de nombreuses espèces sur place. Que faites-vous pour les produire et les mettre à la disposition des populations ?

La plupart des espèces, que nous avons ici, étaient déjà là à mon arrivée. On les a protégées et elles se sont développées. Elles produisent des semences avec lesquelles nous préparons la pépinière.
Mais, lors des différents déplacements, si nous rencontrons des plantes que nous n’avons pas ici, on les recueille et on les plante pour enrichir la biodiversité.

Comment parvenez-vous à reproduire certaines espèces quand on sait qu’elles s’adaptent difficilement ?

Effectivement, il y a des espèces dont la germination disparaît au bout d’un moment. Au niveau de la littérature scientifique, nous les identifions pour pouvoir entreprendre la reproduction. C’est le cas de : Vitellaria paradoxa (Karité) ; Parkia biglobosa (Néré) ; etc.

Il y a aussi d’autres espèces dont on ne maîtrise pas encore la reproduction. Là, nous réalisons des tests pour voir dans quelles conditions nous pouvons avoir des plants. C’est le cas par exemple du Borassus flabellifer (Rônier) que nous avons acheté dans une rue de Ouagadougou. Nous avons demandé aux commerçantes de nous fournir les semis non-bouillies. Nous avons alors entrepris de les planter et je vois que ça pousse. Ce sont donc des essais que nous faisons dans le but de reproduire ces plantes pour les mettre à la disposition des populations.

Comment se comporte Ximenia americana (Prunier jaune ou plante demoiselle ou Léinga en mooré) en pépinière ?

Cette plante a un joli fruit, jaune, acide. J’en ai pris pour la famille. Après consommation, j’ai récupéré les graines que j’ai fait germé. Heureusement, ça a poussé. J’ai donc une centaine de pieds qui sont à la disposition de ceux qui en veulent. C’est une plante qui n’occupe pas beaucoup d’espace et qui convient aux petites parcelles.

Quelle est sa vitesse de croissance en pépinière ?

Les pieds que nous avons ici ont moins d’un an. Ils ont entre trente (30) et quarante (40) centimètres. À ce stade, ils peuvent déjà être plantés. Avec les soins adéquats, ils peuvent se développer normalement.

Avez-vous envisagé le greffage de ces espèces ?

Avec le raisinier, par exemple, nous avons trouvé un pied dont les fruits ont des propriétés organoleptiques spéciales que nous greffons et mettons à la disposition des populations.

En parcourant le domaine, on s’est rendu compte qu’il y avait des variétés qui ont des morphologies intéressantes (feuilles, fruits). Nous avons identifié des pieds qui nous semblent très intéressants. Il serait donc nécessaire de faire des analyses biochimiques pour voir s’il y a des différences entre les propriétés des fruits et des huiles. À partir de cela, on pourra avoir des pieds-mère qui nous donneront des greffons pour réaliser des greffes avec d’autres pieds.
Il nous faut donc réaliser une sorte de sélection des variétés à reproduire en pépinière par greffage. Ainsi, on peut proposer de belles couleurs de fruits, du bon goût, etc.

Quelles sont vos perspectives pour produire et promouvoir ces espèces locales ?

Déjà, nous avons des difficultés pour protéger correctement la ferme. Dans la pépinière, les plantes sont directement exposées au soleil. Tout cela est lié à la limite des moyens financiers. Avec des partenaires et des moyens financiers, on peut créer un cadre plus adéquat pour la production en pépinière.

Quelles sont vos perspectives pour la promotion du karité ?

Pour le karité, je crois qu’au niveau de la recherche, il y a beaucoup de travaux qui ont été menés. De 2015 à 2018, nous avons conduit, avec l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), une étude, financé par l’Ambassade du Danemark. Nous avons travaillé sur les techniques d’amélioration de la production de karité. Nous avons aussi travaillé sur la gouvernance des pieds. Malheureusement, le projet n’a duré que trois (3) ans. Certes, il y a d’autres travaux qui ont été menés, mais nous nous sommes rendus compte qu’il y a une maladie émergente qui a fait son apparition sur les feuilles. Ce sont certainement des attaques de champignons. Il y a une thèse en cours sur le sujet. Au niveau du karité, il serait bon de parvenir à maîtriser les différentes maladies et les insectes ravageurs.
Aussi, il faut qu’on arrive à proposer aux gens de la bonne qualité de fruits ou du beurre de karité. Ce sont ces travaux de recherche qui doivent être faits.

A-t-on une idée du nombre d’espèces locales qu’il y a dans la ferme ?

Cela fait six (6) ans maintenant que nous avons entrepris ce projet. Dès la première année, nous avons fait un inventaire pour réaliser l’état des lieux. Nous avons  soixante-trois (63) espèces ligneuses locales.
Il aurait été bon que nous faisions un nouvel inventaire, surtout avec les aménagements qui sont faits. Mais nous ne savons pas si nous aurons la capacité de le faire. Nous sommes à la recherche d’accompagnements matériels et financières.

Au départ, nous avions voulu construire une site d’écotourisme pour permettre à ceux qui ont besoin de se détendre de le faire. Mais sans les moyens adéquats, nous n’avons pas encore pu le faire. Peut-être qu’avec un partenariat, on pourra le faire.

Nous sommes décidés à sauvegarder cette forêt. Nous ne voulons pas couper un seul pied ici. Nous voulons que la forêt reste intacte. Nous occupons une zone de conservation au niveau du village. Nous voulons respecter cette biodiversité. Nous voulons développer des emplois verts pour les populations locales et les éventuels touristes qui viendront se ressourcer.

Le domaine est-il fréquenté par les étudiants pour leurs recherches ?

La maladie qui attaque les feuilles de karité a été identifiée ici. Le problème a été posé au niveau national. Nous avons réalisé un inventaire ici, à Léo, dans les Hauts-Bassins. Sur la base des recherches, il y a donc une thèse qui sera présenté bientôt.

Des étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo ont effectué, l’année dernière, une visite. Ils ont produit leurs rapports et ils sont en train de revenir. Ce sont des visites que nous offrons dans le cadre universitaire.

Quelles sont vos difficultés majeures ?

La première difficulté majeure, c’est la sécurité de la ferme. Elle est actuellement protégée par des fils de fer barbelé. Mais ce n’est pas suffisant. Les animaux continuent à pénétrer ici et détruisent des plantes.
Au niveau de la main d’œuvre, nous avons aussi des difficultés. Il y a toujours des renouvellements. Il y a des va-et-vient incessants de personnels. Cela n’est pas efficient, car il faut toujours former de nouvelles personnes.
Enfin, nous avons des soucis financiers. Depuis six ans, nous investissons, mais rien nous revient. Il n’y a pas de retour sur investissement. C’est seulement l’amour de la nature qui nous guide et nous maintient encore.

Jean-Yves Nébié
Légendes

  1. Dr Souleymane Ganaba est chercheur à l'Institut de l'Environnement et de Recherches Agricoles (Département Environnement et Forêt
  2. Le chercheur montre aux visiteurs des maladies du karité
  3. La tache noire (sur la feuille de karité) est provoquée par un champignon (qui fera l'objet d'une thèse bientôt)
  4. Fruit de Ximenia americana
  5. La visite de la pépinière pleine d'espèces locales
  6. Rônier en pépinière
  7. Le scientifique récolte du piment dans son jardin potager intégré à la ferme

 

Encadré

Des usages et vertus de Ximenia americana

Usage alimentaire de la plante

Le fruit est riche en eau (76,98 à 80,35), matières sèches (19,65 à 23,02) protéines (0,64) matières grasses (1,52), glucides (16 à 17,3), cendres totaux (4,86), calcium (7), phosphore (61, Fer (0,38), potassium 2,7), sodium (0,2), magnésium (0,07), zinc 0,02), nitrates (0,14), ammonium (0,1), soufre (0,06), cuivre (0,0006) en grammes pour 100 parties selon Parkouda et al (2007). Les fruits mûrs en début de saison des pluies se mangent crus et peuvent se conserver au frais pendant quelques jours. Toutefois, ils sont fréquemment infestés dans la nature par des larves d’insectes de diptères (Anastrepha alveata Stone) selon Araujo et al., (2019). Le noyau du fruit contient une noisette comestible également, dont le goût est celui de l’arachide. Le fruit fait l’objet de commerce au Soudan et en Ethiopie (Eyog Matig et al., 2006) Le prunier jaune se distingue par la diversité des opinions sur le goût et qualité des fruits. En effet, certains trouvent les fruits comestibles malgré leur acidité tandis que d’autres les jugent indigestes et, à la limite, toxiques. L’huile extraite des graines est comestible. La production fruitière varie de 200,37 ± 32,65 à 1027,20 ± 267,72 fruits/arbre selon la taille de l’arbre. Les arbres avec un plus grand volume de couronne ont produit plus de fruits avec un poids total plus élevé que ceux avec une couronne plus petite. Les meilleurs modèles de prévision de la production de fruits de Ximenia americana incluaient le volume de la couronne et la zone climatique selon Lompo et al. (2018). En Asie, les jeunes feuilles sont cuisinées comme légume. Cependant, les feuilles du ximenia contiennent de la cyanide et doivent être très bien cuites et consommées en petite quantité (Gastronomiac, 2020). Usage cosmétique de l’huile de la graine La graine est constituée de 50% de poids en coque et 50% de poids en amande. L’acide oléique a une plus grande teneur dans l’huile de Ximenia americana (82,50%). C’est pourquoi cette huile est recommandée pour une utilisation nutritionnelle selon Nitièma-Yefanova et al. (2012). Cette huile est riche en acides gras insaturés qui vont permettre de protéger la peau, de l’hydrater et d’avoir une action anti-inflammatoire. C’est pourquoi elle entre dans la confection de crème pour le change bébé Abricot Ximenia, par le laboratoire français Cattier, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques bio. La finalité de cette Crème pour le change bébé Abricot Ximenia est de contribuer à donner protection, action anti-rougeurs et résolution en améliorant l’épiderme sensible de bébé au niveau des fesses. En Angola, l’huile de graines est utilisée par les populations locales, pour prévenir les coups de soleil, pour lisser et hydrater la peau, pour lui donner une couleur et une élasticité agréables, pour prévenir les vergetures chez la femme enceinte, et aussi comme conditionneur capillaire. Les études de viscosité de l’huile locale ont indiqué qu’à température normale de la peau, l’huile peut se répandre sur la peau sous forme de film mince. À des concentrations allant jusqu’à 10 µg/ml, cette huile n’est pas toxique pour les kératinocytes humains, ce qui suggère la sécurité de cette huile (Satoto et al., 2020). Elle est aussi utilisée en application directe comme un revitalisant pour les cheveux. En application directe par massage, l’huile est utilisée pour prévenir les varices, apaiser les douleurs articulaires et musculaires et soulager les douleurs abdominales selon Urso et al. (2012). Les Himbas de Namibie la mélange à de l’ocre rouge pour s’enduire et entretenir la peau contre le soleil (reportage télé). Cette huile est un facteur de lutte très efficace contre le vieillissement prématuré, les peaux sèches et déshydratées. Ce gommage pour le corps exfolie la peau sans l’agresser pour la laisser lisse, douce, soyeuse et éclatante. C’est pourquoi en Afrique, l’arbre de ximenia est aussi appelé “L’arbre de la vie” en vertu de son huile réputée pour adoucir la peau.

Usage médicinal de la plante

Ximenia americana possède plusieurs propriétés pharmacologiques. Cette une plante bien connue à travers la savane de l’Afrique tropicale sèche pour ses vertus médicinales. Toutes les parties de cette plante sont utilisées. Les écorces de tronc et les racines interviennent dans 34,72% des recettes des traitements traditionnels des ulcères gastriques au Mali selon Keita (2004). Les extraits méthanoliques et aqueux des écorces, de feuilles, de racines et de tronc ont montré une meilleure activité antimicrobienne et antifongique par rapport aux souches isolées cliniquement (Bacillus subtilis, Stophyllococccus aureus, Esherichia coli) et antifongique avec les souches standard (Candida albicans) selon Omer et Elnima, (2003). Les activités anti-diarrhéique, anti-inflammatoire, anti lépreuse, antisyphilitique, calmante, fébrifuge, hémostatique, vermifuge et vulnéraire ont été reportées par (Kerharo et Adams, 1974 ; Malgras, 1992 ; Traoré, 2000). Certaines de ces activités pourraient s’expliquer par la présence des polysaccharides, de l’acide mucilagineux, des pectines et des composés polyphénoliques (Bruneton, 1993). Des comprimés issus des écorces de la plante sont utilisés au Brésil dans le traitement oral des infections fongiques de Candida albicans selon Almeida et al., (2019). La pommade de Ximenia americana issue d’extrait hydro alcoolique de branches de Ximenia americana favorise l’accélération de la cicatrisation des plaies chez le rat (Castro Souza et al., 2019). La plante est également utilisée dans le traitement des désordres neuropsychiatriques dans la région des Hauts Bassins au Burkina Faso selon Kinda et al. (2017). Par ailleurs, l’étude de la cytotoxicité a indiqué un comportement antiproliférative notable de cette plante sur les cellules cancéreuses de la prostate (Kabran et al., 2017).  En effet, nos essais sur la propriété calmante de la décoction au miel des feuilles sur la dilation de la prostate chez les personnes âgées réduisent les levées nocturnes de mixtion. Par ailleurs, le screening phytochimique de l’extrait aqueux d’écorces de tige de Ximenia americana a révélé la présence de flavonoïdes et de saponines qui pourraient être à l’origine des propriétés antiinflammatoires de cet extrait. L’étude toxicologique de l’extrait aqueux d’écorces de tige a permis de déterminer le potentiel toxique à court terme (toxicité aiguë ou dose létale par poids corporel) la DL50 = 219 mg/kg P.C. (Kabran, 2014). Alors, cette plante est moyennement toxique (Soro et al., 2015). Les effets bénéfiques de l’acide ximénique issue de Ximenia americana sur certaines maladies telles que le diabète, la maladie d’Alzheimer, le cancer et le vieillissement de peau sont relatés par Koenen et al. (2004). Les extraits de feuilles de Ximenia americana possèdent un important pouvoir antioxydant comparativement à celui de la vitamine C (Kabran, 2014). En effet, un antioxydant est toute substance présente à une concentration inférieure à celle du substrat oxydable, qui est capable de retarder ou de prévenir l’oxydation de ce substrat. Ce sont également des composés puissants qui peuvent neutraliser les radicaux libres impliqués dans la dégradation cellulaire, et nous aident ainsi à garder une vie active et saine (Vansant, 2004).

Usage ornemental de la plante

Ximenia americana mérite d’être introduit dans les concessions afin de protéger la plante et bénéficier des bienfaits olfactifs du parfum de ses fleurs et des autres vertus. En effet, en Tanzanie, Ximenia americana est planté en haies vives autour des habitations et est parfois utilisé comme plante mellifère (Ruffo et al., 2002). La plante se reproduit facilement en pépinière. La graine mure et fraiche semée peut germer entre une et deux semaines dans un pot sans aucun traitement. Un plant de prunier jaune peut être produit entre 4 et 6 mois en pépinière (ABIOGet, 2020). Par ailleurs, des essais d’induction du drageonnage par simple blessure et par sectionnement complet des racines traçantes d’arbres adultes ont montré que le mode d’induction artificielle par sectionnement complet est plus efficace (86,67 %) que l’induction par blessure (60 %). Dans les deux types d’induction, les racines exposées à l’air libre ont présenté un taux de réussite plus élevé que les racines recouvertes de terre (Fawa et al., 2017).


Dr Souleymane Ganaba