Entre précarité et discrimination : Dans le vécu des noirs blancs

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Albinos

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’albinisme est une maladie rare, non transmissible et héréditaire qui existe dans le monde entier, indépendamment de l’appartenance ethnique ou du genre. Dans presque tous les cas d’albinisme, les deux parents doivent être porteurs du gène pour le transmettre, même s’ils ne sont pas eux-mêmes atteints d’albinisme. Il est dû à une absence de pigmentation (mélanine) sur les cheveux, la peau et les yeux (albinisme oculo-cutané). Il n’existe aucun remède à l’heure actuelle. Sa prévalence varie dans le monde. En Europe et en Amérique du Nord, 1 personne sur 20 000 souffre de cette maladie. Les estimations de l’OMS oscillent entre 1 cas sur 5 000 et 1 cas sur 15 000 en Afrique subsaharienne, où il est répandu. Mais dans quelles conditions vivent-elles ces personnes atteintes d’albinisme au Burkina Faso ? Du 27 au 28 janvier 2021, nous avons rencontré des albinos de la ville de Ouagadougou. Ils nous confient leurs difficultés (précarité sociale, préjugés et discrimination, précarité sanitaire, etc.).

Le quotidien d’un albinos n’est pas un fleuve tranquille. A cause de leur anomalie, les personnes atteintes d’albinisme sont fragiles à plusieurs titres. Ils ont une santé très délicate : une hypersensibilité à la lumière vive et aux ultraviolets, des troubles de la vision (myopie, hypermétropie, photosensibilité et photophobe). En plus de cela, ils doivent faire face aux préjugés, aux discriminations, au rejet de la famille, etc.

« Ma mère a été rejetée parce qu’elle a accouché un albinos »

Les différents témoignages sur l’enfance des albinos est sidérante. C’est le cas de cette anecdote de Adama Guéné. Cet infirmier est âgé de 27 ans. « Ma mère a été rejetée parce qu’elle accouché un albinos. Pour les membres de la famille, c’était un scandale. Ils se sont beaucoup interrogés. Comment peut-elle accoucher d’un albinos alors qu’elle est noire et son mari aussi ? Sa fidélité a été remise en cause. Après moi, mes parents ont encore eu un autre albinos. Les autres femmes de la maison l’évitaient car elles se disaient qu’en se frottant à elle ou à moi, elles pouvaient avoir des enfants comme moi. Je ne supportais pas le soleil, donc cela empêchait ma mère de participer très activement à la recherche des revenus pour la famille. Elle en a souffert car j’ai eu des brûlures à cause du soleil. Dans notre maison, il y avait plus de dix femmes et elles avaient l’habitude de manger ensemble. A cause de mes plaies, ma mère mangeait seule à l’écart parce que les autres femmes ne supportaient pas de me voir », explique-t-il, en faisant parfois des pauses pour digérer ce passé difficile.

Gustave Konaté, étudiant en première année de communication, a été complètement rejeté par son père. « Nous sommes six enfants et je suis le seul albinos dans la famille. Je n’ai pas connu mon père. Il a quitté ma mère parce que je suis né albinos. Il ne me considère pas comme son enfant car il est noir et ma mère aussi. Jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas de ses nouvelles. Je ne l’ai jamais rencontré. Je vis avec cette situation, même si cela n’est facile. J’en garde des séquelles profondes, mais c’est cela aussi la vie », raconte-t-il d’une voix entrecoupée par l’émotion.

Le regard et les moqueries des autres enfants

Adama Guéné a été scolarisé un peu tard, car ses parents estimaient qu’un albinos n’était pas intelligent. « Ils ont été obligés de me scolariser parce que je m’intéressais à l’école. Quand j’ai commencé à suivre les grands frères jusque devant les salles de classe, ils ont dû s’y résoudre. Les premiers pas ont été difficiles car les autres enfants refusaient de s’asseoir avec moi. C’était frustrant. Des parents sont même venus menacer les enseignants parce qu’ils demandaient aux élèves de me côtoyer. A la récréation, le regard des autres me gênait. Des centaines d’enfants m’encerclaient pour me regarder. Même quand j’étais en classe, certains élèves qui n’avaient pas cours venaient à la fenêtre pour me regarder comme une bête de foire. Il y a eu des moments où j’ai failli abandonner à cause de ces problèmes et de ma faible vision. Je ne voyais pas bien au tableau et j’étais obligé d’être toujours devant, proche du tableau, pour mieux lire, malgré les plaintes des autres élèves », indique-t-il.

Des victimes d’agressions

Comme beaucoup d’albinos, la vie n’a pas été facile pour Line Banty. Aujourd’hui, c’est une présentatrice vedette à la télévision 3TV, perçant l’écran avec ces belles tenues colorées et son large et généreux sourire. Cette jeune femme âgée de 28 ans confie avoir échappé à des tentatives d’enlèvement quand elle était plus jeune. En Afrique, les albinos subissent des attaques, des enlèvements et des meurtres pour des rites sacrificiels en raison des croyances mystiques. « Ces croyances sont fausses. Nous sommes des êtres normaux. On est juste né avec cette anomalie. Donc cessez de nous attaquer. J’ai failli être enlevée deux fois », frisonne-t-elle encore en évoquant ce souvenir.

Une intégration professionnelle difficile…

Au regard de son albinisme, Adama Guéné éprouve certaines difficultés pour l’exercice de sa profession d’infirmier. « Le milieu sanitaire est fréquenté par des gens qui viennent déjà malades. Souvent, ils sont étonnés de me voir exercer ce métier. Il y en a qui ont peur de moi mais je suis obligé de les approcher. Il y en a qui refusent même que je les touche. Mais j’ai toujours eu une approche de dialogue et je m’en suis toujours bien tiré. Pour moi, il faut que je prouve que l’albinos n’est pas médiocre », confie-t-il.

Comme Adama Guéné, Lyne Banty a dû faire face aux préjugés pour s’imposer. « Il y a quelques années, l’on me disait que ce domaine (les médias) n’est pas fait pour les « gens comme toi », c’est-à-dire une fille albinos, évasive, grosse, nulle, sans éloquence, etc. Mais depuis cinq ans, je suis dans ce domaine des médias. Cinq ans c’est beaucoup pour moi quand je vois d’où je viens. Aujourd’hui je suis fière de montrer que des gens comme moi peuvent exceller et gouverner même le monde », dit-elle, arborant sont habituelle sourire charmant.

Quelle vie conjugale pour les albinos ?

La marginalisation est récurrente chez les albinos. Elle est autant présente quand il s’agit de trouver un partenaire et de fonder une famille. Maïmouna Déné est la présidente de l’Association des femmes albinos du Burkina (AFAB). Cette dynamique femme albinos a 42 ans. Elle est mariée, mère de quatre enfants (non albinos). Elle conte ses difficultés. « En tant que jeune fille albinos, je n’avais pas beaucoup d’amis. J’étais presque seule. Je me méfiais de ceux qui venaient vers moi. J’ai eu des relations qui n’ont pas abouti à cause de mon albinisme. L’entourage de mes partenaires refusait ma présence. Certaines familles m’ont dit que je n’étais pas une femme avec qui on peut fonder une famille. Ils ont même dit que lorsqu’on a des relations avec une fille albinos, la vie est écourtée. Donc ça n’a pas été facile. Mais quand j’ai rencontré mon mari, il n’y a pas eu vraiment de problèmes. Il m’a toute suite acceptée et il a même quitté certains amis qui ont tenté de l’en dissuader. Aujourd’hui, on a plus de vingt ans de mariage », affirme-t-elle.
Quant à Alassane Wendkouni Barry, il a 38 ans. Il est archiviste au ministère de l’Environnement. Il est marié, père d’une fille de trois ans. Sa rencontre avec son épouse n’a pas été assez difficile. « On fréquentait le même groupe d’amis et nous avons familiarisé jusqu’à ce qu’elle me voit comme les autres. Je n’ai pas eu de problèmes. Nous vivons ensemble depuis quatre ans. Ma fille quand elle voit un albinos, elle dit à sa maman que c’est son papa, jusqu’à ce qu’elle voit que ce n’est pas moi. Donc il n’y a vraiment pas de problèmes à ce niveau », fait-il savoir.

Une déficience visuelle accrue

Gustave Konaté, Maïmouna Déné, Alassane Wendkouni Barry, Line Banty et Adama Guéné ont des troubles de vision. Ils sont myopes. Pour lire un message sur leurs téléphones, ils sont obligés de rapprocher l’appareil très près des yeux. Cette déficience visuelle a eu des impacts sur leurs rendements scolaires. Ils sont en plus photosensibles à la lumière.

Le soleil : le pire ennemi des personnes atteintes d’albinisme

En raison de la déficience de mélanine, les albinos sont très sensibles au soleil et aux ultraviolets. Pour sortir, ils sont tous dans l’obligation de porter des vêtements épais, à manches longues et porter des lunettes de soleil. Ils risquent même des brûlures et le cancer de la peau en s’exposant au soleil.

Raphael Dabou a 26 ans. Il vit à Nouna (Boucle du Mouhoun). Il souffre du cancer de la peau. Cultivateur, il s’est exposé longuement et sur une longue période au soleil. « Nous étions quatre albinos dans la famille. Mon grand frère est décédé du cancer de la peau il y a un an. J’ai souffert quand j’étais plus jeune. Je me battais avec mes camarades qui se moquaient de moi. Ils disaient que si je les mordais, ils allaient en mourir. Donc je me défendais en me battant. J’ai quitté l’école pour aider mon père au champ. Ensuite, j’ai eu des boutons qui se sont avérés être des symptômes d’un cancer de la peau. Il est localisé au niveau des paupières et ça grossit. Mon frère est décédé du cancer et ça m’a vraiment touché. C’est vraiment difficile à vivre », narre-t-il.

Pour se protéger, tous les albinos doivent éviter de s’exposer aux rayons du soleil. Maïmouna Déné invite les albinos à se couvrir avec des vêtements épais aux manches longues et des lunettes de soleil. Du reste, il existe des crèmes de soleil pour la peau des albinos mais le coût peu accessible empêche les malades de se les procurer. C’est donc un cri de cœur que lancent les albinos à l’endroit des décideurs politiques afin qu’une politique de santé adaptée à la santé des albinos soit adoptée et mise en œuvre pour faciliter l’accès aux soins. Pour mieux faire entendre leurs voix, les albinos ont créé l’Association des femmes albinos (AFAB).

Les actions de l’AFAB

L’Association des femmes albinos (AFAB) est une association à but non lucratif, créée depuis 2018. Elle œuvre à réduire les stigmatisations et les préjugées sur les personnes atteintes d’albinisme. A travers les formations, les sensibilisations, les activités culturelles, l’association vise à raffermir les liens entre les albinos et leurs communautés. Elle intervient aussi dans l’assistance des personnes albinos dans le domaine de la santé et de l’éducation, avec le soutien de personnes de bonne volonté. Plusieurs activités ont été menées : la semaine de l’albinos, des formations en saponification, le défilé pendant le 11 décembre 2020, des conférences sur l’albinos (conditions de vie, entreprenariat),  

Jean-Yves Nébié