Vieillir et se soigner : l'expérience des personnes âgées en consultation externe

Submitted by RedacteurenChef on Tue 09/09/2025 - 22:50

BERTHE-SANOU Lalla1, SANOU Maïmouna1, BERTHE Abdramane1,2, BADINI-KINDA Fatoumata3, DRABO Koiné Maxime4

Institut National de Santé Publique (INSP)/Centre Muraz, Burkina Faso

2Université de Dédougou, Burkina Faso

3Université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso

4Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), Burkina Faso

Auteur correspondant : SANOU Maïmouna, smmarieh@yahoo.fr

Ce document de vulgarisation est extrait de l’article scientifique « Satisfaction des personnes âgées en consultation externe au Centre Hospitalier Universitaire Sourô Sanou au Burkina Faso », publié dans la revue Science et Technique, Sciences de la Santé, 2022, 45(1), 83-103, ISSN : 1011- 6028. Il porte sur la satisfaction exrpimée par des pattiens âgés en consultation externe au centre hospitalier universitaire Souro Sanou de Bobo-Dioulasso. L’étude revèle que plus de 80 % des personnes âgées se disent satisfaites des soins, mais expriment en même temps de nombreuses critiques. Si la compétence et l’accueil des soignants sont salués, les longues attentes, le coût élevé des examens et des médicaments, ainsi que des infrastructures mal adaptées aux corps vieillissants, restent des sources d’insatisfaction. Ainsi derrière les chiffres positifs, la satisfaction traduit souvent une résignation face au manque d’alternatives et un profond respect pour les soignants. Ces résultats rappellent que la qualité des soins ne peut se réduire aux statistiques. Elle doit prendre en compte la dignité, les conditions de vie et les attentes culturelles des personne âgées.

Introduction

Dans le paysage complexe de la santé publique mondiale, la question du vieillissement de la population et de l'accès aux soins qui lui est associé prend une importance croissante. En Afrique, et plus particulièrement en Afrique subsaharienne, les personnes âgées constituent une population reconnue comme particulièrement vulnérable et prioritaire dans de nombreux pays (A. Berthé et al., 2013a). Dans la réalité quotidienne, de nombreuses personnes âgées burkinabè voient leurs besoins de base non satisfaits. Elles manquent généralement d’une alimentation suffisante ou équilibrée, de revenus stables pour payer les soins, et souvent d’un accès régulier aux services médicaux (A. Berthé et al., 2013b). Cette précarité s’accompagne par l’apparition de maladies chroniques – hypertension, diabète, affections respiratoires, etc. – qui s’additionnent au fil du temps. Pour ces pathologies, un suivi médical régulier est indispensable : les personnes âgées multiplient ainsi les consultations, les examens, les rendez-vous et séjours prolongés à l’hôpital. Dans ce contexte, la satisfaction des patients âgés à l’égard de leurs soins devient un indicateur-essentiel. Elle ne reflète pas seulement une opinion : c’est un révélateur de la qualité du service rendu. Un senior qui se sent bien accueilli et soigné aura davantage tendance à respecter ses rendez-vous, à suivre les conseils médicaux et à rester dans le système de soins. Inversement, l’insatisfaction peut conduire à l’abandon des traitements et à l’aggravation de l’état de santé. Autrement dit, la satisfaction de ces patients est un facteur essentiel pour les maintenir dans le système de santé et, in fine, préserver leur qualité de vie.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude menée au Centre Hospitalier Universitaire Souro Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso. Il s’agissait d’évaluer la satisfaction des personnes âgées recevant des soins biomédicaux en consultation externe. Le CHUSS est l’un des principaux hôpitaux de référence du Burkina, desservant une grande population urbaine. L’enquête a montré 80% des personnes âgées interrogées se disaient satisfaites des soins reçus, notamment de la compétence et de la courtoisie du personnel (L. Berthe et al., 2022). Mais derrière ces chiffres encourageants, des critiques persistent : longs délais pour obtenir un rendez-vous, temps d’attente difficilement supportable, l’équité du traitement et coûts élevés des examens ou médicaments. Cet article propose donc d’aller au-delà des chiffres pour comprendre ce que « satisfaction » signifie réellement pour les aînés burkinabè. Car entre gratitude, résignation et attentes non comblées, leur expérience des soins reflète autant des réussites que des défis encore à relever.

1. Méthodologie

Pour mieux comprendre ce que vivent les personnes âgées lorsqu’elles se rendent en consultation, une enquête a été réalisée au Centre Hospitalier Universitaire Sourô Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso. Au total, 300 personnes âgées de 60 ans et plus ont été interrogées, uniquement dans le cadre des consultations externes. L’outil principal était un questionnaire inspiré d’un modèle international mais adapté à la réalité des personnes âgées au Burkina Faso. Ce questionnaire a permis d’explorer plusieurs aspects de la satisfaction : la qualité de l’accueil, la compétence des soignants, la rapidité des prestations, l’accessibilité financière, mais aussi le confort et l’équité dans le traitement des patients. Les données ont été collectées avec des tablettes numériques. Les personnes âgées ont été interrogées directement à leur sortie de consultations ou dans les 48 heures qui suivaient. Ce délai court avait pour but de recueillir les impressions « à chaud », encore proches de l’expérience vécue. En plus des questions fermées, des questions ouvertes ont été ajoutées pour donner la parole aux personnes âgées, afin qu’elles puissent exprimer librement leurs difficultés et leurs suggestions d’amélioration. Les résultats de satisfaction ont été calculés grâce à une grille d’analyse prenant en compte plusieurs aspects de l’expérience des patients. Toute la démarche s’est faite dans le respect des règles éthiques, avec le consentement des participants et la garantie de leur anonymat.

2. Résultats

2.1. Le paradoxe de la satisfaction déclarée

L’étude menée au CHUSS de Bobo-Dioulasso révèle un paradoxe surprenant. Globalement, plus de 80 % des personnes âgées interrogées affirment être « très satisfaites » « des soins reçus. À première vue, ce chiffre donne l’image d’un système performant et accueillant. Pourtant, lorsque l’on s’intéresse aux paroles et aux silences des patients, on découvre une réalité plus nuancée : la satisfaction exprimée traduit souvent une forme de résignation ou d’adaptation à des conditions difficiles. Un patient âgé rencontrée dans le cadre de l’étude explique par exemple : « Hum, la manière dont les choses se passent ici n’est pas ce qu’on aurait souhaité mais comme on retrouve la santé au bout du compte ça va, on ne peut pas se plaindre, même si tu te plains tu vas aller où ? » Ce témoignage illustre bien l’ambivalence : d’un côté, la reconnaissance d’avoir retrouvé la santé ; de l’autre, une résignation face à l’absence d’alternatives.

2.2. La perception culturelle de la maladie et du soignant

Plusieurs éléments socio-culturels expliquent cette apparente contradiction. Dans de nombreuses familles, les maladies liées à l’âge sont considérées comme « normales ». Vieillir, c’est tomber malade, perdre ses forces, dépendre des autres. Cette vision peut limiter les attentes vis-à-vis des services de santé et réduire l’expression des plaintes.

Par ailleurs, le soignant bénéficie d’un prestige particulier. Dans l’imaginaire social burkinabè, il est perçu comme celui qui « maîtrise la science de la santé » et qui détient, selon certains patients, un « pouvoir divin » capable de retarder la mort. Cette représentation nourrit une confiance profonde et limite les critiques ouvertes. Le respect, voire la dépendance vis-à-vis des soignants, contribue ainsi à expliquer pourquoi de nombreuses personnes âgées déclarent être satisfaites, même lorsque les conditions de soins ne répondent pas entièrement à leurs attentes.

2.3. Quand “satisfaisant” signifie “acceptable”

Un autre facteur important est l’absence d’alternatives. Pour beaucoup de patients, le CHUSS reste la seule option, malgré ses limites. La satisfaction devient alors une façon de dire que « ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que rien ». Cette logique d’acceptation montre que les chiffres de satisfaction doivent être lus avec prudence. Ils ne reflètent pas toujours un contentement profond, mais plutôt une accommodation à la réalité des services disponibles.

2.4. Les dimensions de la satisfaction

Pour comprendre comment les personnes âgées perçoivent la qualité des soins reçus en consultation externe six dimensions ont été examinées : la courtoisie et le confort, la compétence des agents, la rapidité des prestations, l’accessibilité financière et la réponse aux attentes des patients. Au-delà des chiffres, ces dimensions révèlent les nuances d’une expérience marquée à la fois par la satisfaction et par de réelles frustrations.

Courtoisie et confort

L’accueil et l’orientation des patients sont globalement jugés positifs. Beaucoup saluent la gentillesse des agents d’accueil et la qualité des informations reçues. L’organisation du service d’accueil, désormais confiée à des infirmiers formés à l’empathie, joue un rôle positif. Pourtant, derrière cette appréciation se cachent des difficultés liées au corps vieillissant : bancs sans dossier, promiscuité, insuffisance ou inaccessibilité des toilettes. Pour une personne âgée souffrant d’incontinence ou de mobilité réduite, ces conditions transforment l’attente en véritable épreuve, source de fatigue et d’atteinte à la dignité.

Compétence des agents

C’est la dimension la mieux évaluée. Plus de 90 % des patients estiment que les soignants sont compétents, respectueux et attentifs. Les patients valorisent la qualité des gestes, l’écoute, le respect de l’intimité et la confidentialité. Cette confiance profonde s’explique par la manière dont le personnel de santé est perçu : détenteur d’un savoir presque sacré, capable de « freiner la mort ». Même lorsque des critiques existent, elles sont souvent minimisées devant la reconnaissance de l’expertise médicale. Cette confiance constitue un pilier de la relation thérapeutique et un facteur clé de satisfaction. Toutefois, la disponibilité limitée des médecins est un sujet de frustration. Beaucoup de patients regrettent de ne pas pouvoir passer suffisamment de temps avec eux

Rapidité des prestations

Le temps d’attente est l’une des principales sources de plainte. Obtenir un rendez-vous peut prendre plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Une fois au centre, les personnes âgées doivent souvent patienter de longues heures pour une consultation qui, paradoxalement, s’avère rapide et expéditive. Pour un corps fragile, cette attente est plus qu’un désagrément : c’est une épreuve qui accentue la fatigue et l’angoisse. Le manque de spécialistes, leur disponibilité limitée et les absences répétées expliquent en partie cette lenteur structurelle.

Accessibilité financière

C’est la dimension la plus critique. Si les consultations sont jugées abordables, le coût des examens et des médicaments reste insupportable pour une grande partie des patients. Beaucoup évoquent les sacrifices financiers nécessaires pour accéder aux soins. Cela crée une situation paradoxale : le droit à la santé existe dans les textes, mais dans les faits, il devient un luxe réservé à ceux qui en ont les moyens. Les patients expriment le souhait d’avoir accès à des médicaments moins chers et à une prise en charge plus complète.

Réponses aux attentes des patients

Enfin, l’étude montre que les personnes âgées apprécient l’écoute et les explications des médecins. Comprendre sa maladie et recevoir des réponses claires sont des aspects essentiels qui renforcent la confiance. Toutefois, ces éléments positifs ne compensent pas toujours la lenteur du service et le coût élevé des examens.

2.5. Une satisfaction relative : entre gratitude et résignation

La satisfaction déclarée par les personnes âgées reflète une réalité complexe. Elle traduit à la fois une reconnaissance sincère envers les soignants et une résignation face aux limites du système. Dire « je suis satisfait » signifie souvent « c’est acceptable dans ces conditions », plutôt qu’un enthousiasme réel. Cette étude rappelle que, derrière les chiffres, se cachent des vécus marqués par l’ambivalence, le respect, la tolérance, mais aussi la fatigue et la précarité (M. Sanou et al., 2020). Elle met en lumière l’importance de considérer les dimensions sociales et culturelles de la satisfaction pour mieux comprendre l’expérience des aînés burkinabè face au système de santé.

Conclusion

L’étude menée au CHUSS de Bobo-Dioulasso montre que, malgré un niveau global de satisfaction élevé, les personnes âgées vivent une expérience de soins pleine de paradoxes. Elles expriment souvent leur reconnaissance envers les soignants et leur résignation face à l’absence d’alternatives, mais derrière cette satisfaction apparente se cachent de réelles difficultés : attente interminable, coûts élevés des examens et des médicaments, infrastructures peu adaptées aux corps vieillissants. Ces insatisfactions ne relèvent pas seulement de petits désagréments ; elles traduisent des limites structurelles profondes dans l’organisation du système de santé. Si la compétence des agents et la qualité de l’accueil sont largement reconnues, l’accessibilité financière et la rapidité des prestations restent des défis majeurs. En réalité, évaluer la satisfaction des aînés revient à interroger la place que notre société accorde à ses personnes âgées. Les considérer comme de simples bénéficiaires passifs ne suffit pas. Il faut repenser les services de santé en tenant compte de leurs besoins spécifiques, de leur dignité et de leur rôle social. En somme, améliorer la qualité des soins pour les aînés ne se limite pas à mieux organiser les files d’attente ou réduire les coûts : c’est un projet de société. C’est reconnaître nos anciens comme des acteurs à part entière, porteurs de mémoire et de sagesse, et leur offrir un système de santé qui les accompagne avec respect, attention et humanité.

Références bibliographies

Berthé Abdramane, Berthé-Sanou, Lalla, Konaté, Blahima, Hien, Hervé, Tou, Fatoumata, Drabo, Maxime, Badini-Kinda, Fatoumata, et Macq, Jean, 2013a, Les personnes âgées en Afrique subsaharienne: une population vulnérable, trop souvent négligée dans les politiques publiques. Santé Publique, 25(3), 367-371. 

Berthé Abdramane, Berthé-Sanou, Lalla, Konaté, Blahima, Hien, Hervé, Tou, Fatoumata, Somda, Serge, Bamba, Issiaka, Drabo, Maxime, Badini-Kinda, Fatoumata, et Macq, Jean, (2013b), Les besoins non couverts des personnes âgées en incapacités fonctionnelles à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). Revue d'Épidémiologie et de Santé Publique, 61(6), 531-537. Retrieved from doi:10.1016/j.respe.2013.07.682 

Berthe Lalla, Sanou, Maïmonata, Berthe, Abdramane, Badini, Fatoumata, et Drabo, Maxime Koiné, 2022, Satisfaction des personnes âgées en consultation externe au Centre Hospitalier Universitaire Sourô Sanou au Burkina Faso. Science et Technique, Sciences de la Santé, 45(1), 83-103. 

Sanou Maïmouna, Berthé-Sanou, Lalla, Berthé, Abdramane, Konaté, Blahima, Sanou, Korotimi, Drabo, Maxime, et Badini-Kinda, Fatoumata 2020, Euthanasie des personnes âgées à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) : représentations sociales et pratiques. In Sophie Pennec et Michel  Oris (Eds.), La vieillesse entre le médical et le social. Enjeux de santé, de dépendance et d’accompagnement de la fin de vie (pp. 15-29). Paris: AIDELF.