Auteurs : Blahima Konaté1, 2 Abdramane Berthé2, 3, Hermann Badolo2, Hermann Bazié2, Isidore Traoré2, Awa Mien2, Hervé Hien1,2
Affiliations :
1 = Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut de recherche en science de la santé (CNRST/IRSS), Burkina Faso
2 = Centre MURAZ, Burkina Faso/Institut National de Santé Publique, Burkina Faso
3 = Université Daniel Ouézzin Coulibaly, Burkina Faso
4= Institut Supérieur des Sciences de la Santé /Université Nazi Boni, Burkina Faso
Introduction
La pandémie de la Covid-19 a exercé une forte pression sur les systèmes de santé des pays africains qui avaient déjà une capacité très limitée en termes d’infrastructures, de ressources humaines, de logistiques, de surveillance. Au Burkina Faso, pour faire face à cette pandémie et renforcer la résilience du système de santé, un plan national de préparation et de riposte à une éventuelle épidémie de Covid-19 ainsi que des directives nationales de prise en charge des cas de Covid-19 ont été élaborés par le ministère de la santé (Ministère de la santé, 2020). Malgré ces efforts, la pandémie a progressé pour s’étendre à l’ensemble du territoire. Or un aspect important de la réponse aux pandémies pour un pays est l’évaluation de la capacité de son système de santé à répondre rapidement à la demande accrue de soins médicaux afin de fournir des informations fiables pour la planification, la mobilisation et l'allocation des ressources. (Institue for Health Metric and Evaluation, 2020), communément appelée la résilience. Cet article de vulgarisation est une contribution pour évaluer cette résilience du système de santé burkinabè face à la Covid-19 trois mois après la confirmation des premiers cas de Covid-19 dans notre pays. Il est tiré de l’article scientifique « Résilience du système de santé burkinabè face à la COVID-19 : perceptions du personnel de santé », publié dans la revue AKIRI, n°9, Janvier 2025, p. 550-561.
1. Matériels et Méthodes
Pour cette évaluation, nous avons mené une revue de la littérature et une étude transversale qualitative dans les deux grandes villes du pays, les plus touchées par la Covid-19 à savoir Bobo-Dioulasso et Ouagadougou. Les entretiens individuels approfondis ont été réalisés avec le personnel de santé choisi de façon raisonné c’est-à-dire en fonction de leur niveau professionnel (médicaux, paramédicaux). Les entretiens ont été enregistré à l’aide de dictaphone numériques, puis transcrit intégralement et nous avons procédé à une analyse de contenu thématique à l’aide du logiciel QDA Miner.
En ce qui concerne les aspects éthiques, le protocole a été soumis et accepté par le comité d’éthique du ministère en charge de la santé, seuls les enquêtés ayant donné leur consentement ont été interrogés, l’anonymat et la confidentialité ont été respectés.
2. Résultats
2.1. Présentation des enquêtés
Au total 60 agents de santé ont été interrogés dont 30 à Bobo-Dioulasso et 30 à Ouagadougou. Selon le niveau professionnel, 50 paramédicaux (infirmiers, sage-femmes ou maïeuticien d’état, attachés de santé, accoucheuses auxiliaires, agents itinérants de santé, hygiénistes) et 10 médicaux (Médecins généralistes et spécialistes). En ce qui concerne la proximité avec les patients Covid-19, 30 agents de santé étaient de première ligne c’est-à-dire affectée exclusivement à la prise en charge des patients Covid-19 et 30 autres s’occupaient des patients ordinaires dans les formations sanitaires.
2.2. De la résilience du système de santé : éléments à prendre en compte
De l’analyse de la littérature scientifique (Ammar et al., 2016 ; Blanchet et al., 2017 ; Oxfam , 2015), nous retenons qu’un système de santé résilient est sa capacité à faire face à un choc comme les épidémies de Covid-19 ou de la dengue qui a sévi dans nos au Burkina Faso, à travers le personnel de santé suffisant quantitativement et qualitativement, possédant le matériel suffisant pour sa protection, ainsi que des infrastructures suffisantes pour prendre en charge les patients sans toutefois perturber le fonctionnement des autres services.
2.3. De l’état de la résilience du système de santé face à la Covid-19 selon le personnel de santé
D’abord en ce qui concerne le personnel de santé, bon nombre d’enquêtés trouvent que beaucoup d’agents de santé surtout qui ne sont pas de première ligne, n’étaient pas formés d’où leur réticence voire panique lorsqu’un patient se présente avec une toux sèche, une fièvre ou un écoulement nasal. Ce qui a été confirmé par la méconnaissance de la définition des cas probables, des cas contacts, des suspects ainsi que des critères d’exposition par plusieurs agents de santé interrogés. Aussi, plusieurs enquêtés ont souligné l’insuffisance du personnel de santé afféctés à la prise en charge des patients Covid-19 dans les différents hôpitaux. Ce qui s’est traduit par une charge de travail élevée, une incapacité de disponibilité du personnel de santé pour les permanences. Selon nos informateurs, certains agents prenaient la garde de 7heures à 17 heures.
Quant aux infrastructures, seulement trois hôpitaux universitaires étaient chargés de prendre en charge les patients Covid-19 (deux à Ouagadougou et un à Bobo-Dioulasso). Ce qui est largement insuffisant au regard du nombre de patients sur l’ensemble du territoire. Aussi, il a été évoqué l’insuffisance de lits d’hospitalisation, de réanimation ains de salle d’isolement dans ces hôpitaux.
En plus des infrastructures, le matériel de protection et autres intrants jouent un rôle très important dans la prise en charge des patients Covid-19 à cause du caractère infectieux de cette maladie. De l’avis des enquêtés, l’insuffisance de ce matériel de protection individuel et autres intrants dans les hôpitaux de prise en charge des patients Covid-19 empêchait le personnel de santé de se protéger convenablement. Il s’agit entre autres des tabliers, des bavettes, des bottes des casaques etc. Ce matériel était jugé non seulement insuffisant, mais aussi inadapté. C’est par exemple le cas de certains masques FPP2 qui sont trop légers, des kazakhs transparents ou qui font très chauds. En plus du matériel de protection, il a été souligné l’insuffisance des réactifs entrainant des ruptures avec pour conséquence le retard dans le rendu des résultats, les ruptures de solutions hydro alcooliques qui sont pourtant nécessaires surtout dans les laboratoires, l’insuffisance/manque de manomètre, de l'oxygène, des respirateurs. Il a été constaté que cette insuffisance surtout de matériel de protection est plus accentuée dans les formations sanitaires périphériques.
2.4. Que peut-on dire de la capacité de notre système de santé à lutter efficacement contre la Covid-19 selon le personnel de santé ?
A cette question, les points de vue des agents de santé interrogés sont divergents. Pour quelques-uns d’entre eux, notre système de santé est capable de lutter efficacement contre la Covid-19 parce que selon eux, le nombre de malades guéris augmentent, le nombre de cas confirmés et de décès diminuent. Par contre, pour la majorité, notre système de santé ne peut pas efficacement lutter contre la pandémie de COVID-19 à cause de l’insuffisance de matériel de protection individuelle dans les formations sanitaires, d’inadaptation ou de l’insuffisance de certains équipements de prise en charge, d’infrastructures d’isolement, d’électricité, des ressources humaines formés sur la Covid-19.
Conclusion
Cette évaluation de la résilience du système de santé face à la pandémie de la Covid-19 montre qu’au regard des différentes insuffisances notées ça et là, le système de santé burkinabè ne pouvait pas lutter efficacement contre la pandémie de la Covid-19 apparue, il y a environ 3 mois. Par conséquent des recommandations ont été faites aux autorités sanitaires pour doter les agents de santé en matériel de protection individuel, les former en quantité suffisante à la prise en charge des patients Covid-19, équiper conséquemment les infrastructures sanitaires. Nous pensons que la prise en compte de ces recommandations a contribué à lutter efficacement contre la Covid-19 au Burkina Faso. Et comme perspective, la mise en œuvre de ce type d’évaluation est nécessaire en cas d’épidémie au Burkina Faso.
Références bibliographiques
AMMAR Walid, Kdouh Ola, HAMMOUD Rawan, HAMADEH Randa, HARB Hilda, AMMAR Zeina, ATUN Rifat, CHRISTIANI David & Zalloua A. Pierre, 2016, « Health system resilience : Lebanon and the Syrian refugee crisis», Journal of Global Health, Vol 6, N°2, p.1-9.
BLANCHET Karl, NAM L. Sara, RAMALINGAM Ben, POZO-MARTIN Fransisco, 2017, « Governance and Capacity to Manage Resilience of Health Systems : Towards a New Conceptual Framework », International Journal of Health Policy and Management, Vol 6, N° 8, p.431‑435.
INSTITUE FOR HEALTH METRIC AND EVALUATION, 2020, « Forecasting COVID-19 impact on hospital bed-days, ICU-days, ventilator-days and deaths by US state in the next 4 months », Infectious Diseases, https://doi.org/10.1101/2020.03.27.20043752
KONATE Blahima, BERTHE Abdramane , BADOLO Hermann, BAZIE Hermann, TRAORE,Isidore, MIEN Awa, HIEN Hervé, 2025, « Résilience du système de santé burkinabè face à la COVID-19 : perceptions du personnel de santé », Revue Akiri, N°9, p. 550-561.
MINISTERE DE LA SANTE, 2020b, Plan de préparation et de riposte à une éventuelle épidémie de Covid-19 au Burkina Faso, Ouagadougou, Burkina Faso.
OXFAM, 2015, Mettre en place des systèmes de santé résilients et tirer les enseignements de la crise liée à Ebola. Bulletin d'information d'Oxfam
