Abdoulaye Diallo : Qui est ce « sauveur » de Basseyam ?

Surtitre
« sauveur » de Basseyam
photos
Image
Abdoulaye

Depuis sept (07) ans, Abdoulaye Diallo, dit Tiip la yolsé, fait parler de lui grâce à ses dons de guérison. On dit de lui qu’il a le pouvoir de faire marcher les paralytiques, de chasser les mauvais esprits, de désenvouter les sorciers, de rendre riche, de guérir les troubles mentaux, etc. On lui prête de grands miracles. A Basseyam, village de Komsilga (22.7 km de Ouagadougou), où il réside, des légions de malades affluent de tout le Burkina Faso. Pas de tisanes, ni de racines ou d’écorces ou de feuilles médicinales. Aucune médication particulière, mais ses patients affirment qu’ils sont guéris grâce à son intercession. Qui est cet homme ? D’où tire-t-il ses pouvoirs ? Comment s’opèrent ses soins ? Immersion dans l’univers de ce « sauveur ». Une folle histoire !

Assis à même le sol ou sur des pagnes préalablement étalés, des hommes et des femmes, une centaine de personnes, attendent sous les quelques arbres de l’aire de guérison. Cet espace, qui s’étend sur plusieurs hectares, comporte un hameau de huttes poussiéreuses, un petit marché et un site de soins.

Sur les quatre ou cinq heures d’attente, la chaleur de l’atmosphère n’entame pas la patience des pauvres souffreteux et leurs accompagnants. Tous attentent l’arrivée du « maître », Abdoulaye Diallo, affectueusement appelé Tiip la yolsé (celui qui soigne et guérit en mooré). Les « miraculeux » exploits de l’homme écument toutes les lèvres. « Il est capable de faire marcher les paralytiques, de chasser les esprits de la folie, de libérer les patients atteints de sorcellerie, de faire fuir les germes de la pauvreté, etc. », argue un homme, la quarantaine révolue. A cette affirmation, une jeune femme ajoute : « Il est capable de sonder le fort intérieur de tout le monde. Sans cauris ni divination, il voit dans le passé de chacun et sait ce que l’on pense ». Ces anecdotes sont-elles vraies ? Difficile de le dire. Mais ces récits aliment le mythe du guérisseur. En tous cas, ces hommes et femmes, en quête d’une santé qui les fuit depuis des mois voire des années, y croient dur comme fer.
Lève-toi et marche !
10h30. Enfin. Les patients et accompagnants se rassemblent. Après avoir reçu à l’écart les personnes en quête de richesse, le thérapeute fait son apparition, accompagné de ses nombreux lieutenants qui braillent des instructions à l’endroit des personnes à soigner.

Installé sur sa chaise pliable, il scrute, une dizaine de minutes durant, la foule amassée devant lui. Vêtu d’un complet vert olive foncé, chaussé d’une paire de mocassins noires, il respire la jeunesse et la sérénité. On aurait pu s’attendre à un vieil homme. Au lieu de cela, c’est un jeune homme, pas très bavard, le regard franc et inquisiteur, la démarche droite et assurée, qui se cache derrière le mythe.

Soudain, il se lève et se dirige vers une jeune femme, tourmentée au premier abord par un trouble mentale et paralysée des membres inférieurs. Coiffée d’un foulard noir, elle est habillée d’un t-shirt crasseux, d’un pagne tout aussi sale sous lequel elle porte un collant. Sur son séant, elle est soutenue par son accompagnante à qui s’adresse Abdoulaye Diallo. « Qu’est-ce qui vous guide ici ce matin », l’interroge-t-il. En guise de réponse, la parente de la femme explique : « Depuis son accouchement, elle a perdu la raison et l’usage de ses pieds. On est allé à l’hôpital mais ils n’ont trouvé le mal dont elle souffre. C’est pour cette raison que nous sommes venues vous voir ».
Le maitre des lieux apostrophe alors la souffrante. « Lève-toi et marche », lui ordonne-t-il, en vidant le contenu d’un sachet d’eau sur elle. Le public est silencieux. Un des aides de camp, crie : « Sois guérie par la grâce de Dieu ». Sa prière est reprise en chœur par l’assemblée.

C’est un face à face entre le guérisseur et sa patiente. « C’est à toi que je parle. Lève-toi et marche ! », tonne-t-il à nouveau, en interdisant aux badauds de l’aider. Elle ramène son pagne à ses genoux, pose ses mains au sol et tente de se mettre debout. C’est un échec. Le praticien sourit et rassure tout le monde : « Ne vous inquiétez pas, elle va marcher ».  Le visage marqué par la douleur, l’impotente réessaye. Elle campe ses pieds au sol, regarde furtivement derrière elle, fixe un instant son interlocuteur et le supplie : « Sauve-moi ! ». Elle parvient à se lever pendant quelques secondes et retombe lourdement sur son arrière-train. Finalement, elle rassemble ses esprits, avec les encouragements du public, elle plante le pied droit dans le sol, suit ensuite le pied gauche. Elle pousse sur membres, se lève, regarde autour d’elle et se précipite dans les bras de sa parente. L’assistance, ébahie, clame des vœux de définitive guérison. Mais de quoi souffrait cette femme ? Le soignant dévoile le problème. « Il y a quelqu’un qui lui en veut. Il voulait qu’elle et le bébé meurent. Heureusement elle a accouché. Mais elle s’est confrontée au sort qui lui a ôté ses facultés mentales et sa mobilité », expose-t-il. Les jambes encore engourdies, la nouvelle bienheureuse s’éloigne aux bras de sa famille. Pas de poudres, ni de versets psalmodiés, du moins pas rien ne se lit sur ses lèvres. Seul le guérisseur sait ce qu’il a fait pour ce miracle.

Toujours spectateurs, une centaine de malades patientent et désirent s’offrir les soins du thérapeute. Au milieu de cette masse, une jeune se démarque. Portée par sa mère, elle a perdu l’usage de sa jambe droite, sans aucune logique. Après plusieurs semaines de consultations à l’hôpital et chez quelques tradipraticiens, elles se résolvent à venir voir Abdoulaye Diallo. Cette fois, elles ont gain de cause. Tiip la yolsé, comme ils l’appellent tous, invite l’adolescente à se lever et à marcher. A plusieurs reprises, avec la lancinante douleur, elle essaye de tenir sur ses deux jambes. L’homme l’assoit et lui marche sur les jambes, malgré ses pleurs. De nouveau, il lui commande de se lever et de marcher. Avec toutes les peines, elle parvient à se mettre debout et à s’avancer en claudiquant. Le visage de sa génitrice luit de bonheur. Mais qu’est-ce qu’elle avait ? Selon sieur Diallo, la jeune fille aurait marché sur des sacrifices rituels que quelqu’un a abandonné dans la rue. C’est de là qu’est né son mal.

L’origine de ses pouvoirs : une folle histoire

Naturellement, on se demande d’où il tire son don de guérison. L’histoire qui court raconte qu’un jour le thérapeute a perdu la raison. Pendant un moment, personne ne sait combien de temps, il est considéré comme perdu par ses proches. Puis, un jour il revient à lui. Mais quelque chose a changé en lui. Il a désormais le don de guérir les autres.
Quand nous lui posons la question sur la provenance de son don, Abdoulaye Diallo, sans hésitation, rétorque : « C’est un don de Dieu. Je guéris les gens par sa grâce. Je n’ai pas appris cela. Sans son intervention, je ne peux pas me lever et réunir les gens sous le prétexte que je peux les soigner ».

« Saïdou Nagréongo avait prédit ma venue »

Pour renforcer son crédit, Abdoulaye Diallo lâche : « Saïdou Nagréongo avait prédit ma venue. Il a annoncé à mes parents que je viendrai. Il leur a aussi prédit ma mission. C’est mon destin et je l’assume ». Ainsi, comme l’arrivée du Messie, Saïdou Bikienga (le célèbre et renommé guérisseur de Nagréongo) a prophétisé sur Abdoulaye Diallo et son œuvre. Enorme assertion. Difficile de corroborer cette allégation. Mais dans la tête de ses patients, elle fait mouche. Elle renforce son image de sauveur.  

Un monde de fous

11h30. Après une heure passée aux côtés d’Abdoulaye Diallo, direction le hameau des personnes atteintes de maladies psychosociales. A environ sept cent mètres de l’aire de guérison, cernées par les immondices, les sacs plastiques, les chaumières poussiéreuses se dressent. Elles sont recouvertes de sachets, de bâches ou de seccos, inondées par le soleil.
Dans cette insalubre place, est érigé un petit marché qui approvisionne le camp en vivres. Dans ce taudis, une trentaine de sinoques côtoient les autres malades et leurs accompagnants. Sous les arbres, sur des nattes, des malades bien particuliers sont couchés. Enchainés à la taille, aux pieds, ces mabouls s’abritent des rayons chauds du soleil de midi. Selon le jeune Sèta, qui nous sert de guide, ces déséquilibrés sont là depuis un certain temps. « Il y en a qui sont ici depuis plusieurs mois. Ce sont des déments dangereux qui agressaient leurs proches. Pour cette raison, ils sont entravés par ces chaines », indique-t-il. Notre passage éveille l’intérêt de ces âmes en peine. Ils suivent nos mouvements du regard.

Notre accompagnant nous invite à ne pas nous aventurer trop près d’eux. « Tout le monde n’est pas guérit. Il y en a qui viennent d’arriver et qui peuvent être violents », nous prévient-il, tout en faisant la causette à une des vieilles pensionnaires, qui semble avoir recouvert un peu ses esprits. Sur un Vitellaria paradoxa (ou Butyrospermum parkii) ou arbre à karité, de longues chaines sont suspendues. Pour expliquer la présence de ces entraves, Sèta affirme qu’ils ont été accumulés au fil des ans et des nombreux cas graves de folie. « Ceux qui ont été guéris nous laissent leurs liens. Quand il y a un nouveau forcené, il est inutile d’acheter de nouvelles chaines. On se sert de celles-là », énonce-t-il.

Des témoignages de pensionnaires

Il y a six ans, Tahirou Compaoré, vieil homme septuagénaire, tombe gravement malade. Sa santé se dégrade de façon exponentielle. Il ne mange, ne dort plus et s’évanouit sans cesse. Après maintes consultations médicales, de multiples dépenses onéreuses, il est trainé chez Abdoulaye Diallo, où il recouvre peu à peu sa vitalité. « J’ai souffert le martyr. J’ai dépensé des millions pour me soigner dans les hôpitaux du pays. Ils m’ont fait des examens. J’ai même fait des prélèvements qu’ils ont envoyé en France. Rien ne fit. Il y a quatre ans, j’ai entendu parler du guérisseur. Je suis venu et maintenant je peux vous assurer que je vais mieux. Il m’a accueilli et soigné, je n’achète pas de médicaments. Je n’en prends plus d’ailleurs depuis des années », confie-t-il. Aujourd’hui, le vieux reprend visiblement des couleurs.
Lui, il vit à Basseyam depuis trois ans. Également septuagénaire, Séni Congo développe, il y a quatre ans en Côte d’Ivoire, des maux que la médecine moderne ne parvient pas à diagnostiquer. Il recourt alors à la médecine traditionnelle. « J’ai quitté Tanghin Dassouri pour m’installer à Basseyam. Auparavant, j’étais en Côte d’Ivoire lorsque ma maladie s’est révélée. J’avais mal partout, je n’arrivais plus à rester assis. Aujourd’hui, je vais vraiment mieux. Je prie Dieu de le garder plus longtemps parmi nous et fructifie davantage ses actions », formule-t-il.

A Basseyam, les malades de tout ordre, les personnes à la recherche de richesse, les couples en quête d’enfants parsèment le gigantesque espace de soins. Tous espèrent approcher le nouveau « sauveur » et avoir gain de cause. De toutes les contrées du Burkina Faso et de la sous-région, selon certaines indiscrétions, des patients accourent à lui. Sont-ils définitivement délivrés par ses soins ? Tout le monde y croit en tous cas.


Jean-Yves Nébié