Regard sur la coordination des politiques budgétaire et monétaire dans l’UEMOA

Submitted by RedacteurenChef on Tue 21/10/2025 - 10:30

 

HEMA  Kala Brigitte1

1Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut des Sciences des Sociétés/Département socio économie et Anthropologie de Développement, Ouagadougou/Burkina Faso

Auteur correspondant : HEMA  Kala Brigitte, brigidak1@yahoo.fr

Résumé

Cet article analyse les effets de la coordination des politiques monétaire et budgétaire sur l’endettement public dans les pays de l’UEMOA. La méthode a consisté à construire des indicateurs de politique monétaire (ICM) et de politique budgétaire (ICB) pour vérifier si la coordination des politiques monétaire et budgétaire est un facteur déterminant du niveau de la dette publique sur la période 1990 à 2019. Les résultats révèlent trois régimes de coordination de politiques économiques qui contribuent à stabiliser le niveau de la dette à long terme et un régime de coordination qui permet d’atténuer la dette à court terme. La coordination des politiques dans la gestion de la dette publique pourrait donc permettre d’influencer négativement le niveau de la dette afin améliorer le solde budgétaire.

Introduction

La récurrence des crises depuis la fin de la décennie 2000-2010 a remis au cœur de débats la politique budgétaire, en tant qu’instrument de stabilisation macroéconomique. Si le FMI reconnait ce rôle, il soulève aussi le fait que son usage démesuré peut être associé à la hausse de la dette publique dans de nombreuses économies. Dans les pays à faible revenu, le niveau de dette publique a atteint 67 % du PIB (268 milliards de dollars) en 2018 selon les statistiques 2021 de la banque mondiale. Dans la recherche de solutions face aux crises, la politique monétaire a montré ses limites d’où la nécessité de recourir à une combinaison de solutions pour affronter ces crises. Le terme consacré à une telle association de solutions à travers les instruments est appelé le Policy-mix. Dans le cas des organisations promouvant l’intégration régionale, les dispositions politiques imposent des normes à observer pour une meilleure intégration des économies dans le but de faciliter les échanges commerciaux et s’unir pour affronter les défis mondiaux. Le cas de la zone euro qui a connu une crise de la dette publique a permis de comprendre que seules les règles strictes, le principe de séparation entre les politiques dans un espace hétérogène ne suffisent pas à créer les conditions souhaitées dans la marche vers une intégration économique, d’où la nécessité de coordonner les interventions des autorités monétaire et budgétaire. 

L’UEMOA est engagée dans un processus d’intégration des économies de l’Afrique de l’Ouest depuis 1994. Les dispositions qui régissent cet espace économique en construction sont fortement inspirées de celles de la zone euro qui connait un long processus d’intégration par rapport à l’UEMOA. Des travaux ont montré que les règles budgétaires visant à assurer la discipline budgétaire, empêcherait le bon fonctionnement de certains mécanismes. Tandis que d’autres montrent que seul le respect des règles imposées en présence de fortes divergences comme c’est le cas des pays qui forment l’UEMOA, certains côtiers et d’autres sahéliens, peut créer la dynamique souhaitée pour tous les membres. En plus, la zone est composée de pays à revenu intermédiaires et à revenus faibles. Ces divergences dans les structures de production suggèrent une coordination des interventions en termes de politiques.

Le processus d’intégration de l’UEMOA en cours a connu des étapes clées, telles que l’adoption du pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité (PCSCS), l’harmonisation des politiques fiscales depuis 1998, la suppression du financement des déficits publics par la banque centrale en 2003. Toutefois des économies de la zone sont fortement vulnérables aux perturbations internes et externes, ce qui rend difficile le respect des critères du pacte et compromet ainsi l’atteinte de certains objectifs. Par exemple, les maints reports des horizons de convergence (2002, 2005, 2008, 2013 et 2019) montrent la difficulté des Etats à appliquer les critères ou illustrent leur inadaptation aux différents contextes économiques de l’Union. Ce qui a suscité des critiques portant sur lesdits critères de convergence et même leur relecture. En outre, la littérature montre que lorsque les autorités en charge des politiques économiques agissent séparément (le principe de séparation) alors que les cibles et les instruments sont intégrés,  la conséquence est un accroissement de déficits budgétaires et des taux bancaires trop élevés qui compromettent la promotion de la croissance économique à long terme. 

Par exemple, les modalités de financement de l’autorité budgétaire influencent également la conduite de la politique monétaire. En ce sens que la gestion de la dette publique peut affecter la crédibilité de la politique. Aussi, lorsqu’une dette est émise en monnaies étrangères, elle peut entraver la politique de la banque centrale puisque son niveau varie selon l’évolution des conditions financières et de la politique monétaire internationale (exemple d’une dette libellée en dollar). Une variation des taux d’intérêt aux États-Unis ou dans la zone euro peut amener la BCEAO à augmenter ou baisser les taux d’intérêt bancaires. Un niveau élevé ou incontrôlé de dette publique peut donner lieu à un arbitrage quelque peu délicat pour la banque centrale, soit qu’elle cherche à limiter la baisse de la valeur de sa monnaie par rapport à une autre et les sorties de capitaux en relevant les taux d’intérêt, soit qu’elle veut contenir les coûts de financement. 

Ce présent document vise à partager les résultats d’une analyse des effets de la coordination des politiques monétaire et budgétaire dans l’UEMOA sur le niveau de la dette publique en considérant un indicateur de coordination de ces politiques.

La coordination des politiques économiques dans l’Union monétaire

L’idée de la coordination des politiques économiques émane du constat que les politiques budgétaire et monétaire influencent les variables macroéconomiques, bien que les instruments et les objectifs diffèrent. Dans le cadre des unions monétaires, la question de la coordination est tributaire des signes des retombées, des externalités provenant des pratiques budgétaires. Elles déterminent la nature du Policy mix à mettre en œuvre (Bartolomeo et alii., 2005). Elle a de ce fait élargi la recherche sur les interactions entre les politiques économiques. 

L’un des articles majeurs sur l’interaction des politiques monétaire et budgétaire est celui de Sargent et Neil (1981) intitulé, Some Unpleasant Monetarist Arithmetic. Ces auteurs ont défini l’interaction comme un jeu stratégique entre les autorités monétaire et budgétaire. Ils avancent l’idée selon laquelle la capacité de contrôle de l’inflation d’une autorité monétaire dépend en partie de la manière dont les politiques budgétaire et monétaire sont coordonnées. 

Il y a une controverse autour de la coordination des politiques monétaire et budgétaire entre les partisans et les réfractaires de la coordination chaque côté ayant ses arguments. Si les partisans de la coordination s’appuient sur l’existence des effets externes (positifs ou négatifs) des politiques entre elles ou menées dans un Etats sur les autres Etats, leurs opposants, avancent des gains insignifiants associés à la coordination des politiques et serait donc inutile de l’envisager. Ils suggèrent que la coordination soit limitée à l’engagement et au respect des règles de coopération. Jensen (1996) a trouvé que dans une zone monétaire où la coopération est régie par des règles, la coordination budgétaire est avantageuse. Toutefois, le manque de crédibilité de la politique monétaire rend la coordination contre-productive (Levine et Pearlman, 1992 ; Jensen,1996). Le respect des règles par tous les membres de l’union conduit à des avantages importants de la coordination. Dans le cas contraire, elle serait contre-productive (Beetsma et Bovenberg, 1998 ; Beetsma et al., 2001). À la faveur des crises économiques, il est nécessaire de renforcer les mécanismes de coordination et les instruments de suivi dans les unions économiques et monétaires.

Méthodologie

Cette étude porte sur un panel de 7 pays de l’UEMOA sur la période 1990 à 2019.  Un modèle autorégressif à retard échelonné a permis de mener les analyses. Un indicateur a été construit pour traduire ce que nous appelons la coordination de politique économiques. Il est composé de deux instruments. Pour la politique budgétaire, le solde budgétaire primaire a été considéré et pour la politique monétaire, nous avons recouru à l’indice des conditions monétaires.  Les données proviennent de la base de données de la BCEAO. Plusieurs tests préliminaires ont été menés avant de passer aux estimations par la méthode de la moyenne de groupe agrégée ou le Pooled Mean Group (PMG)

Résultats

Nous interprétons les résultats sous l’hypothèse que toutes choses étant égales par ailleurs.

L’analyse est faite dans le long et le court terme. Nous considérons quatre régimes de coordination : (i) la BCEAO augmente ses taux tandis que l’autorité budgétaire mène une relance en augmentant soit ses dépenses publiques ou réduit la pression fiscale, (ii) elles décident que pendant la BCEAO mène une politique de relance c’est-à-dire qu’elle procède à une baisse des taux d’intérêt l’UEMOA en ce temps mène une politique restrictive, elle procède soit à une hausse des impôts ou réduit les dépenses publiques, (iii) elles décident de mener conjointement des politiques restrictives, (iv) l’autorité monétaire (BCEAO) et l’UEMOA décident de mener des politiques de relance.

Dans le régime 1 lorsque les autorités monétaire et budgétaire agissent selon le principe de séparation, elles n’affectent pas de manière significative le niveau de la dette alors que, la variable de coordination des politiques réduit significativement l’encours de la dette à long terme. Selon une autre étude, il apparait que ce régime de Policy mix est le mieux adapté pour stabiliser les perturbations d’origine externe dans les pays de l’UEMOA. 

Dans le régime 2, lorsque les autorités agissent séparément, seule une politique qui réduit les taux d’intérêt, affecte négativement la dette publique dans le long terme. En revanche, la coordination entre les deux autorités induit une baisse significative de la dette. L’effet bénéfique est constaté à long terme. Il peut être la conséquence d’une amélioration du solde budgétaire due à une politique monétaire qui favorise l’investissement, combinée à une baisse des dépenses publiques permet de promouvoir la croissance à long terme.

Le Régime 3 est qualifié de régime de stabilisateur de la dette selon certains auteurs. Dans ce régime, la seule intervention de l’autorité budgétaire accroit le niveau de la dette publique. La variable de coordination réduit significativement le niveau de l’encours de la dette à long terme. Dans la littérature attache à ce régime des gains de coordination sont extrêmement élevés.

Dans le 4ème régime, la coordination des politiques réduit le niveau de la dette à court terme. Ce résultat peut être expliqué par une baisse de la pression fiscale. Cette baisse, combinée à une baisse du taux d’intérêt réel, permet d’améliorer le solde budgétaire et par conséquent à affecter négativement le niveau de la dette. Toutefois, à long terme (régime), cette action coordonnée impacte positivement la dette. L’effet d’éviction par la hausse des taux d’intérêt en est l’explication, à la suite de la hausse des dépenses publiques. Ce qui a tendance à décourager l’investissement privé et donc compromettre l’effet d’expansion de la politique monétaire.

Conclusion 

Les résultats de cette étude montrent que la coordination des politiques est un facteur déterminant de la dette. Ce travail a permis d’identifier les combinaisons possibles de politiques qui atténuent ou réduisent le niveau de la dette. Ainsi trois régimes de coordination de politiques économiques contribuent à stabiliser le niveau de la dette à long terme et un régime de coordination permet d’atténuer la dette à court terme. Ces résultats suggèrent de dépasser le principe de séparation entre les politiques monétaire et budgétaire, et de privilégier le principe de coordination. Toutefois, une coordination bénéfique nécessite un cadre institutionnel stable, des procédures de décision souples et flexibles pour permettre des renégociations lorsque les circonstances changent, au niveau décentralisé, le partage d’informations entre les autorités et enfin de s’accorder sur le choix et le calendrier des actions coordonnées pour éviter que certains pays restent à la traine ou ne respectent pas les dispositions tout en bénéficiant des retombées de la discipline des autres dans les accords. La mise en œuvre de la coordination dépend avant tout de la volonté politique des gouvernements. Il est préconisé qu’une autorité soit entièrement investie de la question de la dette dans l’union, à laquelle des objectifs spécifiques seront assignés.

NB : Ce document est tiré de l’article: 

Kala Brigitte HEMA (2023) « Chapitre 23 : Effets de la coordination des politiques budgétaire et monétaire sur la dette publique dans la zone UEMOA» Editions ERMA, 2023, Tours, pp 257-266.

Bibliographie

Banque Mondiale. (2021). Global waves of debt: Causes and consequences. Washington: World Bank Group.

Beetsma, R., Debrun, X., & Klaassen, F. (2001). « Is fiscal policy coordination in EMU desirable? » International Monetary Fund, WP/01/178, 45p.

Diarra, S. (2016). « Analyse retrospective du respect des nouveaux critères de convergence de l'UEMOA ». De Boeck Supérieur | Revue d'économie du développement, 24(1), 79 à 98. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2016-1-page-79.htm

Houngbedji, H. S. (2017). « Evidence Empirique Du Policy Mix Optimal Dans Un Contexte D’asymétrie Des Chocs Au Sein Des Pays Del’uemoa ». Journal of Economics and Development Studies, 5(3), 115-130. doi:10.15640/jeds.v5n3a13

Jensen, H. (1996). « The advantage of international fiscal cooperation under alternative monetary regimes ». European Journal of Political Economy, 12, 485-504.

Levine, P. L., & Pearlman, J. (1992). « Fiscal and Monetary Policy Under EMU: Credible Inflation Targets or Unpleasant Monetary Arithmetic? » CEPR Discussion Papers 701, C.E.P.R. Discussion Papers. 

Nordhaus, W. D. (1994). « Policy games: coordination and indépendance in monetary and fiscal policies ». Brookings Papers on Economic activity, 2, 139-216.

Sargent, T. J., & Neil, W. (1981). « Some Unpleasant Monetarist Arithmetic ». Quarterly Review, 5(3), 1-18.

Šehović, D. (2014). « Coordination of Monetary and Fiscal Policy in the European Monetary Union ». Management, 73, 69-83.

Zorica, R. G. (2012). « Coordination between the monetary and public debt management policies in Croatia »Financial theory and practice, 36(2), 109-138 . doi:doi: 10.3326/fintp.36.2.1