Hommage universitaire à Joseph Ki-Zerbo : Célébrer un géant de la pensée africaine

Submitted by RedacteurenChef on Thu 04/12/2025 - 21:30
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À Ouagadougou, le 4 décembre 2025, l’Université Joseph Ki-Zerbo a ouvert sa semaine commémorative par une journée scientifique dédiée à la vie et à l’œuvre du professeur Joseph Ki-Zerbo. Cette rencontre entend revisiter son héritage intellectuel, éclairer l’actualité de son message et nourrir une réflexion collective autour de la pensée africaine contemporaine. Conférences, échanges universitaires et hommage solennel ont marqué ce rendez-vous attendu par la communauté académique.

Le jeudi 4 décembre 2025, la salle des Actes du bâtiment PSUT a accueilli enseignants, étudiants, chercheurs, partenaires et membres de la famille Ki-Zerbo pour honorer celui qui reste l’un des penseurs les plus influents du continent africain. Cette journée scientifique ouvre une semaine de commémoration organisée à l’occasion de l’anniversaire de son rappel à Dieu, survenu le 4 décembre 2006.

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Le président de l’Université Joseph Ki-Zerbo, Pr Jean-François Silas Kobiané, a salué la force et la modernité de la pensée de Ki-Zerbo

Le thème retenu, « Décoloniser la pensée, réinventer l’Afrique : l’actualité du message de Joseph Ki-Zerbo », met en lumière l’urgence de revisiter une œuvre devenue incontournable. L’objectif est clair. Offrir un espace d’échanges et de réflexion à la hauteur de l’héritage d’un homme qui a marqué l’histoire intellectuelle du Burkina Faso et de l’Afrique.

Un repère pour plusieurs générations d’Africains

Dans son mot de bienvenue, le président de l’Université Joseph Ki-Zerbo, Pr Jean-François Silas Kobiané, a rappelé la force et la modernité de la pensée de Ki-Zerbo. Pour lui, l’historien demeure un repère essentiel. Sa rigueur scientifique, son engagement citoyen et son attachement au sens critique constituent encore aujourd’hui une boussole pour les étudiants et pour tous ceux qui œuvrent au progrès humain et social.

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Le Pr Laya Sawadogo a présenté la vie et l’œuvre de celui qu’il considère comme un “quasi père”

Le professeur Ki-Zerbo n’est pas seulement une figure notable du Burkina Faso. Il incarne une tradition intellectuelle africaine qui a choisi d’assumer sa voix, sa mémoire, son histoire. Il a rappelé la nécessité de replacer le savoir au cœur de tout progrès véritable, un savoir enraciné dans les réalités africaines et ouvert sur le monde.

Un destin façonné par l’histoire et par l’Afrique

Né en 1922 à Toma, Joseph Ki-Zerbo effectue ses premières études en Afrique de l’Ouest avant de rejoindre la France, où il devient l’un des premiers Africains agrégés d’histoire. Ce parcours exceptionnel annonce déjà une trajectoire singulière.

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Le Pr Mahamadé Savadogo, conférencier, et le Pr Gabin Korbéogo, modérateur

Face à une historiographie dominée par des récits écrits hors du continent, il choisit de rétablir une parole africaine autonome. Il publie ensuite des œuvres majeures, dont Histoire de l’Afrique noire, un ouvrage longtemps considéré comme une référence dans les milieux universitaires et au-delà.

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Le Présidium lors de l’ouverture de la journée scientifique

Son engagement s’est aussi traduit dans la construction d’institutions africaines capables de produire et d’évaluer leurs propres savoirs. Convaincu que le développement ne peut être importé, il a toujours défendu une pensée endogène, structurée par les besoins, les valeurs et les aspirations des peuples africains.

Décoloniser la pensée, un défi toujours actuel

Au cœur de la pensée de Ki-Zerbo se trouve un constat. L’Afrique peine à se libérer de la domination intellectuelle héritée de la colonisation. Selon lui, le système éducatif a longtemps formaté les esprits à raisonner dans des cadres rigides qui ne correspondent pas aux cultures africaines.

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La salle des Actes du bâtiment PSUT, pleine pour l’hommage à Joseph Ki-Zerbo

Il soulignait également qu’en adoptant sans recul des schémas de réflexion étrangers, les sociétés africaines finissent par voir leur propre réalité à travers les yeux d’autrui, ce qui empêche l’émergence d’une pensée véritablement autonome.

Cette journée scientifique rappelle combien cette réflexion demeure pertinente. À l’heure où les défis sont multiples, l’Afrique a besoin d’un imaginaire renouvelé, capable d’interroger son passé, d’éclairer son présent et de préparer un avenir qui lui ressemble.

Une journée riche en échanges et en enseignements

Les travaux ont débuté par l’allocution d’ouverture du président de l’Université. S’est ensuite tenue la présentation du parcours intellectuel et politique du professeur Ki-Zerbo par Laya Sawadogo, ancien ministre et proche (collaborateur) de l’historien.

Le témoignage de ce dernier a été empreint d’émotion. Il a rappelé la force morale de Ki-Zerbo, son indépendance d’esprit et son engagement constant pour une Afrique fière et maîtresse de ses choix.

Puis la conférence inaugurale, animée par le professeur Mahamadé Savadogo et modérée par le professeur Gabin Korbéogo, a permis d’ouvrir un débat nourri sur l’actualité de la pensée du maître. Enfin, des panels thématiques ont rassemblé enseignants, chercheurs et étudiants dans une démarche critique et ouverte. Une pause artistique est venue ponctuer l’ensemble, rappelant que la culture constitue un pilier majeur de la vision de Ki-Zerbo.

Un héritage vivant dans l’université et dans la société

L’influence de Joseph Ki-Zerbo dépasse aujourd’hui les frontières du Burkina Faso. Son action a permis la naissance de structures essentielles au développement du savoir africain. La création du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), institution qui garantit une évaluation africaine des universitaires africains, demeure l’une de ses contributions les plus décisives.

La décision de renommer l’Université de Ouagadougou en Université Joseph Ki-Zerbo constitue un geste fort qui inscrit son nom dans la mémoire collective et dans l’avenir des jeunes générations.

Une pensée qui continue d’éclairer l’avenir

Alors que les débats contemporains autour de l’identité, de la souveraineté intellectuelle et du développement endogène prennent une place centrale, l’œuvre de Ki-Zerbo apparaît plus pertinente que jamais.

Les étudiants présents ont trouvé dans cette journée un espace d’inspiration, un moment de prise de conscience et une invitation à repenser leurs rapports au savoir, à la société et à l’Afrique.

Lorsque les échanges se sont tus et que les participants ont quitté les lieux, une évidence subsistait. L’œuvre de Joseph Ki-Zerbo ne se contente pas d’être célébrée. Elle continue de travailler la pensée africaine, d’éveiller les consciences et d’interpeller les générations futures. À l’Université qui porte son nom, son esprit demeure vivant. Il rappelle que la pensée est une conquête et que l’Afrique, pour avancer, doit choisir d’être maîtresse de son propre récit.

Abrandi Arthur Liliou