Les indices intralinguistiques de l’influence du songhay-zarma surla langue koromfe d’Arbinda au Burkina Faso

Submitted by RedacteurenChef on Sat 13/12/2025 - 09:15
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Inoussa GUIRÉ

INSS/CNRST

03 BP : 7047 Ouagadougou 03 ;
+22676593791 ; 
inoussaguire@gmail.com

 Résumé

Ce travail de vulgarisation fait suite à un autre consacré aux indices extralinguistiques de l’influence lexicale du songhay sur le koromfe d’Arbinda.  Issu d’une production scientifique (Guiré, 2025a) dont la communication a été présentée à Bamako le 16 février 2024 au colloque international des langues et culture songhay Ir-Ganda, ce présent article traite particulièrement des indices intralinguistiques de l’influence lexicale du songhay sur le koromfe d’Arbinda. Un corpus composé d’unités lexicales a été collecté à partir des travaux existant, testées auprès des locuteurs pour s’assurer de la bonne phonie et des domaines concernés puis analysées selon les procédées d’adaptation des emprunts. Il ressort que des emprunts de mots songhay ont été réalisés dans les domaines de la numération, de la parenté, de l’habillement, des éléments liés à la prière ou plus généralement à l’adoration. Ces unités lexicales ont été adaptées aux dispositions phonotactiques du koromfe avec une intégration morphophonologique et grammaticale.

Introduction

En rappel, l’historique du peuplement d’Arbinda laisse entrevoir une communauté linguistique aux origines cosmopolites issue principalement du songhay-zarma et du koromfe. A cela s’ajoute une habitude langagière du koromfe dominé par un vocabulaire toponymique en songhay dont certains locuteurs portent des patronymes non homogènes.  Toutes les collines entourant la ville d’Arbinda, de même que certains lieux et noms de famille portent la marque de l’influence du songhay. Aussi, les expressions d’usage comme les salutations n’en sont pas exemptées. La présence de ces signes extérieurs à la langue koromfe nous amène à rechercher à l’intérieur de cette langue, par-delà le sentiment linguistique des locuteurs, les preuves de l’influence lexicale du zɔfɛ (zarma) sur le koromfe sous forme d’adaptation linguistique. Qu’en pensent les locuteurs du koromfe dans cette zone ? Quelles sont les indices linguistiques de l’adaptation des unités lexicales du songhay dans la langue koromfe d’Arbinda ?  

Pour répondre à ces questions, un corpus d’unités lexicales suspectées d’appartenir au songhay-zarma a été constitué à partir de travaux existants, puis testé auprès des locuteurs avant d’être analysés au plan linguistique. Les détails sur l’identité des locuteurs impliqués pour la collecte et le test, de même que la méthode d’analyse peuvent être consultés sur (GUIRE, 2025a) dont est tiré cet article de vulgarisation.

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L’emprunt comme indice linguistique 

L’emprunt est souvent source d’enrichissement de la langue. Mais « si le noyau central de la langue (la phonologie et la grammaire) qui résiste généralement au temps et à l’influence des langues voisines et étrangères, commence à ouvrir ses entrailles à l’emprunt, il faut craindre le début d’un délabrement de la langue maternelle » (TEME, 2020, p.85). Il n’y a pas de doute que la forte connotation de cette langue sur la toponymie dans la zone d’Aribinda n’est pas anodine. Ce qui nous amène tout naturellement à rechercher si au niveau de la langue koromfe, les termes supposés emprunts que nous avons identifiés le sont effectivement. 

Le pré-test

Nous commençons l’analyse des mots du koromfe d’Aribinda supposés être empruntés au songhay par un pré-test. Le sentiment d’appartenance de ces mots au zarma a été vérifié auprès de nos informateurs locuteurs du koromfe à partir de la question suivante :

 A wɔɩnɩ      bu     heŋ,  a    koromfe lɑ           wɑlɑ,    a     zɔfɛ  lɑ     ?

Det\parole pl.\unités/ ces     \det\koromfe     \insistance \ou bien\det./ zarma/est-ce que ? 

« Les mots suivants, sont-ils de la langue koromfe ou bien du zarma ? » 

Cela a consisté à soumettre une liste de mots aux locuteurs du songhay pour voir s’ils les reconnaissent comme faisant partie de leur langue. Les réponses sur ce sentiment linguistique du locuteur, quand bien même elles relèveraient du psychologique et de l’abstrait, nous ont permis de nous conforter malgré la diversité des avis. Il y en a qui savent que ce sont des emprunts, qui savent également que c’est du zarma et retiennent le sens à l’origine. D’autres par contre ne comprennent pas à la fois les deux langues, mais mentionnent que c’est du zarma et disent ignorer le sens à l’origine. Une dernière catégorie de Koromba ne reconnait même plus que ce sont des mots étrangers au koromfe.

Le tableau suivant reprend, après validation par les locuteurs songhay zarma et vérification dans le dictionnaire songhay de Bernard et White-Kaba (1994), les mots supposés emprunts en koromfe, leur phonie et leur sens dans la langue d’origine.

Tableau : test de perception et de vérification de la phonie

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En se référant à ce tableau, on constate des mots du domaine de la parenté (kaga, hawei, woimey, woissɔɔgɔ), de l’habillement (koay, taafɛ, mutun, pettu, kunta), des éléments liés à adoration ou à la prière (sikka, muraadu, korte, jiŋgaarʊ, ceu)  à la numération (zangfɔ, musu) pour ne citer que ceux-la.

Il importe maintenant d’analyser le mode d’intégration de ces mots en koromfe. 

L’adaptation des lexies empruntées au songhay

L’adaptation d’un emprunt dans une langue peut se mesurer à son intégration, notamment à « sa capacité à s’intégrer, sur les plans sémantique, phonétique, orthographique et grammatical (possibilité d’une prononciation française, d’accentuation, d’accord en genre et en nombre, de dérivation, etc. »  (Loubier, 2011, p. 47). Nous allons donc voir si les emprunts admettent l’accord de classe en koromfe, et si les dispositions phonotactiques sont respectées.  

a. Les dispositions phonotactiques

Commençons par signaler que si le songhay zarma est une langue à tons, en koromfe d’Aribinda, tout comme dans celui de Mengao, le ton n’est pas pertinent. Il n’y a donc pas de contrainte à emprunter des lexies dans la mesure où à l’arrivée, le ton ne sera pas pris en compte au moment de l’intégration. Il se pourrait qu’à l’origine, le koromfe dans son ensemble soit une langue à tons. Mais la modalité énonciative marquée par un ton pertinent dans une langue peut subir des modifications au point de disparaitre. « Cette modalité, suivant la tendance bien connue à l’érosion phonologique des morphèmes grammaticaux, peut progressivement se réduire à un simple phonème, puis à un ton flottant jusqu’à disparaître totalement » (DELPLANQUE, 2009, p. 28). Dans un article sur les cas suspects de variations tonales en koromfe (GUIRE 2018b), il a été prouvé qu’à l’état actuel, le koromfe d’Aribinda n’a pas d’unités lexicales permettant de parler de tons pertinents.

 Après le ton, il convient de noter une autre particularité du koromfe, le fait que cette langue porte un actualisateur nominal qui est [ɑ]. Cet actualisateur précède nécessairement chaque substantif au singulier ou au pluriel qu’il permet d’identifier, mais il ne correspond pas nécessairement au défini. « il est essentiel de distinguer ce marqueur invariable des pronoms démonstratifs qui, eux, en principe, sont postposés au nom et s’accordent avec lui en genre et nombre. Les langues gur se différencient selon l’existence ou l’absence d’un tel actualisateur nominal » (Delplanque, 2009, p. 17). Le koromfe fait partie donc des langues gur où il est présent. L’ensemble des emprunts recensés, lorsqu’ils sont des substantifs ou assument la fonction d’objet, admettent cet actualisateur nominal. 

Exemples :

ɑ kɑgɑ « un aïeul »

ɑ tɑɑfɛ « une couverture »

ɑ mutunfi « des pantalons »

b. L’intégration grammaticale

L’ensemble de emprunts issus du songhay admettent des suffixes de classes lorsqu’ils passent du singulier au pluriel. Le tableau suivant en donne quelques exemples.

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c. L’intégration morphophonologique

[álbɔ́rɔ̀] signifie « homme (mâle) » par opposition dans cette langue à [wajbɔ́rɔ] « femme (être humain de sexe féminin) » (Bernard et White-Kaba, 1994). Alboro « homme » en songhay devient en koromfe bɔrɔ au singulier et bɛ̃na au pluriel. On est passé de [alboro] à [a bɔrɔ]. L’article à l’initiale du mot en songhay s’est détaché du mot en koromfe pour assumer la fonction de déterminant conformément à la phonotactique du koromfe.  Il faut rappeler que les voyelles de chaque unité lexicale sont toutes soit lâches, soit tendues. Les lexies empruntées au songhay obéissent à cette règle. Toutefois, pour les mots composés de deux ou de plus de deux bases lexicales, chaque base est autonome pour le choix du trait ATR (Arronded tong root).

Le mot bɔrɔ est bien intégré en koromfe d’Aribinda dans la mesure où il admet la dérivation et la composition. Au niveau de la dérivation, les mots suivants sont obtenus ; bɛnfɛ « courage », bɛniy « verge », bara « mari », bεn-hãmnεn « courageux », bɛtɛ « mâle ». Pour la composition, on obtient bɑrcɛ̃ « rivalité », bɛl-kõorẽ « vieillard », pes-bɛtɛ « bouc », wõr-bɛtɛ « coq », bɔrɔ sɩtɔ « un homme impuissant (sexuellement) ».

Les expressions d’usages

Ayant fréquenté les deux centres où sont parlées les deux variantes du koromfe, ṅous partons de la comparaison entre les termes utilisés pour les salutations d’usage employés à Mengao et de ceux employés à Aribinda pour constater que ceux employés à Aribinda semblent identiques aux habitudes linguistiques des salutations en songhay-zarma. En effet, dans le parler koromfe de Mengao, les koromba se saluent en ces termes :

Na  hoyfa  kibaru       « bonjour »

                                         /votre/dormir/nouvelle

Réponse :                          a bãani lɛ                     « rien que la paix »

/det/paix/seulement

 A Aribinda par contre, pour les mêmes salutations du matin, on a les formules suivantes exprimées par le locuteur et l’interlocuteur.

  na      hore         a baani ?  « Bonjour ».                                         /vous/ dormir acc./ en paix

Réponse :                          kalaa    baani  da                  « rien que la paix ».

/rien que/paix

En consultant le dictionnaire zarma de (Yves Bernard, 1994), nous notons la signification en songhay des termes suivants :

hor baani        « bonjour »

kala      « prép. jusqu’à, sauf, si ce n’est » 

baani sabay    « rien que la paix »

bàaní               « santé, paix, tranquillité »

On remarque donc que les salutations à Aribinda sont essentiellement en songhay-zarma. Celles de Mengao aussi ne sont pas exemptes d’éléments linguistiques étrangers au koromfe, dans la mesure où le mot baani y est employé. C’est donc dire que le koromfe dans son ensemble est affecté par des unités lexicales d’origine songhay même s’il faut encore déterminer le sens de l’emprunt.

La disponibilité des emprunts dans le stock lexical des koromba

Les mots que nous avons recensés sont quasiment utilisés par tous les locuteurs koromba d’Aribinda que nous avons rencontrés. Si certains koromba affirment qu’ils reconnaissent l’origine songhay de ces mots, il faut noter que c’est parce qu’ils côtoient quotidiennement les zarma et là beaucoup comprennent cette langue. A Mengao, les locuteurs songhay sont rares. On note néanmoins la présence de lexies songhay dans cette variante. Cela mérite des recherches plus approfondies sur l’histoire de ces deux langues quand on sait que [bɔrɔ] « être de sexe masculin », [hawei] « tante », [lo:ndi] « moelle », [armɛ] « soeur » , [kɑgɑ]  « aïeul »  sont des lexies songhay présentes dans les deux variantes koromfe.

Conclusion

Nous retenons donc qu’au plan intralinguistique, beaucoup de faits montrent à suffisance que le koromfe d’Aribinda est fortement influencé par le zarma. Nous avons entre autres signes, l’existence de beaucoup d’emprunts du songhay-zarma intégrés au koromfe dans le domaine de la parenté, de l’habillement, des éléments liés à adoration ou à la prière, à la numération. Cette intégration s’est faite en accord avec la phonotactique du koromfe. L’actualisateur qui précède tout substantif en koromfe aussi bien en singulier qu’au pluriel trouve également son emploi pour ces lexies empruntées. Ces adaptations phonologique, morphologique et grammaticale ont été réalisées alors qu’on sait que le songhay est une langue à tons alors que le koromfe dans son ensemble ne l’est pas. Les similitudes des expressions d’usage entre ces deux langues pourraient inciter à pousser la recherche pour voir si nous ne sommes pas en présence d’une mutation linguistique plus importante que ce qui transparait.

Bibliographie

GUIRE Inoussa, (2025a), L’influence lexicale du songhay-zarma sur la langue koromfe d’Arbinda au burkina faso, Langue et culture Songhay, Recherches Africaines, UYOB, N°38, mars, L’Harmattan Mali, ISSN : 1817-424, pp.73-99