SAWADOGO Honorine Pegdwendé
Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche scientifique et technologique de Ouagadougou — INSS/CNRS
Introduction
Cet article est un document de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2024 suite à nos recherches sur les conséquences de la COVID-19 sur les femmes du secteur informel en milieu urbain.
Dans les villes africaines, les femmes constituent le rouage incontournable du bien-être de leurs familles et la pièce maîtresse de l’avenir de leurs enfants (Adjamagbo et Calvès, 2012). L’investissement des femmes dans le secteur informel est connu en Afrique de l’Ouest. Au Burkina Faso, le secteur informel est défini comme étant « l'ensemble des unités de production de biens et services marchands qui ne sont pas enregistrés et/ou qui ne tiennent pas de comptabilité écrite et formelle officielle (ayant une valeur administrative) » (INSD, 2016, p.10). Aujourd’hui constitué pour plus de la moitié de femmes, le secteur informel est reconnu comme étant le secteur le plus féminisé (Brilleau, Roubaud, et Torelli, 2004 ; Calvès et Kobiané, 2014). De nombreuses femmes ont vu leurs potentialités financières s’accroître progressivement grâce aux activités menées dans ce secteur, amorçant ainsi leur processus d’autonomisation avec assurance malgré les contraintes familiales et sociales (Adjamagbo et Calvès, 2012).
Cependant, la crise sanitaire de 2019 qui a secoué le monde entier n’a pas épargné le secteur informel. En effet, le 09 mars 2020, le Burkina Faso a détecté officiellement ses deux premiers cas de Covid-19 dans la ville de Ouagadougou, devenant le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest à être touché par la pandémie, après le Nigeria, le Sénégal et le Togo (Coulibaly, 2020). Pour rompre la chaîne de transmission du Covid-19, le Gouvernement burkinabè a pris, en plus des mesures-barrières conventionnelles, un certain nombre de dispositions de prévention, dont la fermeture, pour compter du 16 mars, des établissements d’enseignement préscolaire, primaire, post-primaire, secondaire, professionnel et universitaire. Le 20 mars 2020, le Président du Faso d’alors, Rock Marc Christian KABORÉ, a annoncé une série de mesures d’atténuation, incluant l’interdiction de tout regroupement de plus de 50 personnes et l’instauration d’un couvre-feu de 19h00 à 5h00 du matin sur toute l’étendue du territoire pour compter du 21 mars 2020, à l’exception des personnels sous astreintes. Il s’en est suivi la fermeture des aéroports de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso aux vols commerciaux, des frontières terrestres et ferroviaires pour une durée de deux semaines ; la suspension immédiate des opérations d’enrôlement biométrique, de délivrance de cartes nationales d’identité burkinabè ; enfin l’application stricte des mesures d’hygiène dans tous les lieux publics et privés (Coulibaly, 2020). Les mesures restrictives concernant les débits de boissons, les restaurants, les salles de cinéma, de jeux et de spectacles, les marchés et les yaars ont été prises par les autorités compétentes.
Vu l’urgence sanitaire, les pouvoirs publics ont pris des mesures sans tenir compte des besoins spécifiques et des intérêts stratégiques des femmes, surtout celles qui travaillent dans le secteur informel. L’objectif de cette proposition est d’analyser les effets socioéconomiques de ces mesures prises contre la COVID-19 sur les femmes du secteur informel et leur ménage à Ouagadougou.
1. Méthodologie
L’enquête qualitative a été privilégiée car, elle permet de donner la parole aux actrices du secteur informel de la ville de Ouagadougou pour comprendre leurs expériences et leur vécu pendant et après la période de restriction de liberté. Des entrevues individuelles approfondies auprès des actrices ont été menées grâce à un guide d’entretien semi-dirigé dont l’objectif est d’orienter et de rythmer les discussions. Elle a concerné les femmes qui travaillent dans le secteur informel dans divers secteurs d’activités (industrie : agroalimentaire, confection ; commerce : de gros et détail; service : restauration, couture, coiffure, etc.) dans la ville de Ouagadougou. Au total, 28 femmes ont participé aux entrevues : 11 d’entre elles travaillent dans des marchés qui ont été fermés conformément aux mesures-barrières; 7 travaillent dans des marchés qui n’ont pas été fermés; 7 ont des ateliers au bord des voies et 3 font des prestations de service chez des particuliers. Afin de respecter l’anonymat et la confidentialité des informations recueillies, des sigles qui ne renvoient pas au nom des répondantes leur ont été attribués dans l’objectif de protéger leur identité.
2. Résultats
2.1. Microentreprises des femmes du secteur informel face aux mesures barrières contre la COVID-19
Les femmes entrepreneuses ont surmonté tant d’obstacles pour faire prospérer leur entreprise et lutter contre la précarité. Elles sont convaincues que la contribution de tous à la gestion du ménage est impérative :
J’ai une boutique de vêtements dans le marché de nabi-yaar. Ça marche vraiment. C’est mon mari qui m’a aidé à la monter. J’ai embauché deux personnes qui m’aident. Ma nièce et un jeune que mon mari m’a proposé. À la fin de chaque mois, en plus de leur salaire, 10 000 FCFA par employé, je leur donne un paquet de 5 Kilogrammes de riz et de spaghetti pour les motiver. Cela soulageait leur famille. J’avoue que la fermeture de notre marché a causé de nombreux dégâts : on n’a plus de revenus, alors qu’on dépense chaque jour. Ceux qui n’ont vraiment rien ont beaucoup souffert. À la réouverture des marchés, le jeune n’est pas revenu, soi-disant qu’il a trouvé du travail dans une épicerie de la place, car sa mère compte sur lui et il ne pouvait pas attendre. De plus, le marché est devenu lent, car, les gens n’ont plus l’argent. Tout le monde a ressenti cette période et son lot de conséquences négatives sur les revenus [WR, vendeuse de vêtements, marché fermé pendant le confinement].
Une autre femme restauratrice relate :
Mon mari est artisan, sculpteur sur bois. Il fabrique et vend des objets d’ameublement et de décoration, des objets d’art. Depuis les mesures-barrières, les affaires ne marchent plus, car il n’a pas accès à ses principaux clients du fait de la fermeture des frontières et de l’aéroport. Moi mon petit restaurant était carrément fermé du fait de la fermeture du marché dans lequel je travaille [SV, restauratrice, marché fermé pendant le confinement].
Une jeune femme qui travaille avec son époux dans la grillade de poulet souligne :
Mon époux fait des grillades de poulet au bord de la voie, devant un maquis, en journée et dans la soirée. Moi je l’appuie dans la préparation des épices pour assaisonner les plats de poulet. Ça a été très dur, surtout au début des mesures de confinement. Le slogan ‘‘restez chez vous’’ me dérangeait trop, car, notre travail dépend de la mobilité des Ouagalais. Tout le monde avait peur de sortir et personne n’achetait à manger dehors. Nous pouvions faire des jours sans aucun client. Nous avons dû fermer quelque temps. Le plus dur a été la sollicitation incessante de ses employés. Les uns viennent demander un peu d’argent, d’autres des vivres, etc. Nous avons dû réduire notre train de vie : des repas sobres, avec la peur de ne pas pouvoir scolariser nos enfants. Depuis la réouverture des bars et des maquis, ça commence à reprendre doucement. Je pense que c’est surtout dû au fait que les gens ont de moins en moins peur de la maladie [HD, employée].
2.2. Les effets des mesures-barrières contre la COVID-19 sur le climat familial et social
Les femmes étant les principales dispensatrices de soins au sein de leur ménage et de leur communauté, c’est sur elles que retombe le plus souvent le surplus des tâches ménagères lorsqu’un plus grand nombre de personnes restent chez elles pendant la période de restriction de mouvement. La période de suspension des activités commerciales a eu un effet négatif sur le climat familial des ménages de certaines femmes.
Mon grand frère était venu du village et avec la quarantaine il ne pouvait plus repartir et chaque fois à la télévision on ne parlait que de coronavirus et cela m’énervait beaucoup. Déjà sa présence me coûte et je dois également supporter les frais de son voyage retour, tout ça en restant enfermée à la maison. Pas de travail, pas de revenus, pendant que les charges augmentent [SK].
Une autre femme relate les conséquences du désœuvrement sur son ménage :
Y’a rien eu de positif sur le plan social, comme on n’avait plus rien parce qu’on arrive plus à travailler, moindre chose seulement, c’est la bagarre dans le ménage. La pauvreté est plus qu’une maladie et entraine des conflits dans le ménage et cela s’est aggravé au moment du confinement et du couvre-feu [RJ].
Une autre entrepreneuse abonde dans le même sens :
On était à la maison pendant le confinement, mais, et on avait réduit notre consommation au minimum. Mes enfants passaient leur temps à pleurer, car je ne satisfaisais plus à leur caprice vu que je ne savais pas combien de temps allait durer cette période morte. Nous les veuves, nos enfants ont beaucoup souffert. Je n’ai pas pu régler les frais du loyer du mois d’avril, mais mon bailleur m’a compris. Depuis ma naissance je n’ai jamais vu une maladie qui a fait fermer les mosquées et les églises sauf le coronavirus cette année [ KL].
En plus, de la perturbation de l’atmosphère du ménage, la COVID-19 a entraîné une surcharge de tâches domestiques pour certaines femmes.
Le fait de rester à la maison n’est pas de tout repos. Vu que les enfants ne sortaient pas à cause des risques de contagion, leur encadrement était difficile : ça crie, ça pleure, ça salit. Le ménage est fatigant, l’encadrement des enfants est épuisant. Le pire est que la réouverture des marchés n’a pas été accompagnée de la réouverture des écoles. La conciliation garde des enfants et relance des activités est pénible. Quand on était tous à la maison, mon mari me donnait un coup de main. Mais depuis qu’il a rouvert son magasin, il ne s’implique plus dans les tâches domestiques. C’est à moi de me débrouiller [WR].
Une femme qui sert l’eau dans les ménages à l’aide de fût ajoute :
Mes enfants sont un peu grands. Le dernier a 14 ans et il fait la classe de 5ème. Ils restaient tous à l’école à midi, car, on les a abonnés à la cantine. Avant cette histoire de coronavirus et les mesures-barrières, je menais tranquillement mes activités. Je peux livrer 7 fûts d’eau par jour en raison de 2 500 FCFA chacun. Avec la gratuité d’eau, les fontaines publiques sont envahies par tous. Ce qui ralentit le service. Nous les revendeurs on ne peut plus avoir plus deux fûts d’eau par jour. Ce qui fait qu’on revend plus cher, c’est-à-dire 3 500 FCFA chacun. Le pire c’est que les enfants sont désormais à la maison et il faut en prendre soin, il faut leur faire à manger. Le mari aussi est à la maison donc, il faut s’en occuper [AW, vendeuse d’eau, ambulante].
Conclusion
La COVID-19 a vu le fardeau du travail domestique non rémunéré des femmes augmenter de manière significative et une perturbation du climat social s’est également fait ressentir à la suite du confinement mondial. La pandémie a accentué les inégalités préexistantes, exposant les vulnérabilités des systèmes sociaux, politiques et économiques qui, à leur tour, amplifient les effets de la pandémie surtout sur les couches déjà vulnérables. La présente contribution, en plaçant les aspects sociaux de la pandémie au centre de la réflexion, cette étude apporte un complément de connaissances important pouvant éclairer le débat sur la nécessité d’anticiper la réflexion sur la survenu d’éventuelles crises et l’importance d’une approche contextualisée de résolution du problème.
Bibliographie
ADJAMAGBO Agnès et CALVÈS Anne-Emmanuèle, 2012, « L’émancipation féminine sous contrainte ». Revue de sciences sociales au Sud, (2), p. 3-21.
BRILLEAU Alain, ROUBAUD François et TORELLI Constance, 2004, L’emploi, le chômage et les conditions d’activité dans les principales agglomérations de sept Etats membres de l’UEMOA. Principaux résultats de la phase 1 de l’enquête 1-2-3 de 2001- 2002. (No. DT/2004/06).
BRILLEAU Alain, ROUBAUD François et TORELLI Constance, 2004, L’emploi, le chômage et les conditions d’activité dans les principales agglomérations de sept Etats membres de l’UEMOA. Principaux résultats de la phase 1 de l’enquête 1-2-3 de 2001-2002. (No. DT/2004/06).
COULIBALY. Nadoum. (2020). Coronavirus : comment le Burkina Faso a évité le pire. In Jeuneafrique, Consulté le 06 avril 2021 sur https://www.jeuneafrique.com/mag/989064/politique/comment-le-burkina-faso-a-evite-le-pire-face-au-coronavirus/
INSD (Institut National de la Statistique et de la Démographie), (2020). Rapport de situation sur l’évolution de la COVID-19 au Burkina Faso. Consulté le 26 janvier 2021 sur https://burkinafaso.opendataforafrica.org/ojicvrd/burkina-faso-covid-19-rapport-de-situation
Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique intitulé : Effets socio-économiques de la COVID-19 sur les femmes du secteur informel de la ville de Ouagadougou
Auteur: Honorine P. Sawadogo
Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche scientifique et technologique de Ouagadougou — INSS/CNRST
Revue LES LIGNES DE BOUAKÉ-LA-NEUVE, Revue électronique des sciences humaines de l'Université Alassane Ouattara, Janvier 2024 – N°16, pp.136-155, ISSN : 2221-9730