SAWADOGO Honorine Pegdwendé
Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche
scientifique et technologique de Ouagadougou — INSS/CNRST
Introduction
Cet article est un document de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2025 suite à nos recherches sur la problématique de la protection des enfants et des adolescents dans un contexte de crise sécuritaire et humanitaire à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
Dans le processus de socialisation, l’enfant se familiarise avec les images de son groupe socioculturel et exerce sa faculté d’intuition pour découvrir toujours de nouvelles liaisons et pour faire de cette forme de pensée sa logique habituelle. Ce qui laisse apparaître une certaine :
impression de sécurité, de stabilité, de calme certitude que donne souvent l’enfant élevé en milieu traditionnel : son univers est stable, ferme, tout y a une signification et une raison d’être, tout y est à sa place et agit selon sa nature ; le hasard dirait-on, n’existe pas, ni l’inconnu, et l’aventure humaine suit des chemins bien jalonnés (P. Erny, 2020, p.146).
Cependant, l’urbanisation a entraîné l’éclatement des cadres traditionnels, modifiant le contexte matériel et culturels dans lequel vivait l’homme africain. L’univers de significations et de symboles où il vivait s’est progressivement transformé. Cette mutation a une incidence sur la mentalité des parents, leurs méthodes éducatives et la psychologie de l’enfant africain. C’est ce qui fait dire à F. Kinda (1995) qu’une « forte désintégration de la famille » dans le contexte burkinabè, marquée par la dislocation de la cellule de base et la multiplication des tensions et conflits conjugaux poussent les enfants dans la rue, ouvrant ainsi la voie à des conditions de vie difficiles. Avec ces transformations et surtout la dislocation des familles actuelles, le mécanisme communautaire de protection de l’enfant est de plus en plus remis en cause. Ce qui pourrait expliquer le fait que de nombreux enfants sont en situation de placement dans des centres de réinsertion, ou dans des prisons (M. Foucault, 1975), ou dans la rue (H.P. Sawadogo, 2007, 2011).
1. Méthodologie
Au regard des objectifs de l’étude, l’entretien qualificatif a été privilégié car il est l’un des modes de collette de données qui permet de mieux connaître le regard que portent les acteurs sur leurs pratiques et leur vécu (H. Blummer, 1960; J. Morrissette, 2009). La collecte de données qualitatives s’est déroulée de mai à juin 2024 dans la ville de Ouagadougou et de Bobo-Dioulaaso. Cette collecte s’est faite à travers des entrevues semi-dirigées auprès des enfants, de familles de PDI et des communautés hôtes, de responsables de structures de promotion et protection de l’enfant et une observation des infrastructures. Au total, ce sont 48 entretiens individuels qui ont été réalisés.
2. Résultats
L’analyse des données a permis de dégager trois thématiques majeures. La première thématique porte sur les effets de la situation sécuritaire et humanitaire sur les enfants et adolescents, la deuxième est relative aux effets de la crise sur la disponibilité des cadres et services de protection des enfants et adolescents, et la troisième fait état des effets de la crise sur l’accessibilité des cadres et services de protection des enfants et
adolescents.
2.1. Effets de la crise sécuritaire et humanitaire sur les enfants et les adolescents
Selon les données récoltées et analysées dans le cadre de cette étude, la double crise sécuritaire et humanitaire a exposé les enfants et les adolescents à des risques multiples sur le plan physique et psychosocial, notamment par les violences, les déplacements forcés, et les conséquences privatives en matière d’accès à l’eau potable et autres services sociaux de base, volant leur enfance à de nombreux enfants et adolescents au Burkina Faso. Un enfant relate la situation vécue:
Nous avons quitté le village à la hâte. Je suis l’aîné et j’ai 2 frères et 3 sœurs. Vu que somme nombreux, ma mère est partie avec les jeunes frères et sœurs et m’a confié à un conducteur de minicar qui dessert habituellement la localité. Quand je suis arrivé à Ouagadougou, le conducteur m’a amené dans une maison où il y a de nombreux enfants qui travaillent. Notre travail consiste à trier les ordures. Il m’a dit que dès que ma mère arrivera à Ouagadougou, il me fera signe et j’irai la rejoindre. Comme il ne me donnait plus de nouvelle concernant ma famille, j’ai recherché ma mère moi-même en vain et finalement, un jour ma mère est venue à notre lieu de travail et je pensais pouvoir partir avec elle. Mais elle m’a dit de rester car, elle est seule avec les enfants et que c’est très difficile actuellement sans revenus. Quant à notre père, je ne l’ai plus revu depuis notre arrivée à Ouagadougou en 2021 [XV, enfant déplacé interne, OUA2, mai 2024].
Un acteur de la protection souligne.
La crise sécuritaire a une incidence négative sur les enfants, en particulier les enfants des populations déplacées souvent les plus vulnérables. La violence et l’insécurité perturbent tous les aspects de la vie des enfants en exacerbant les vulnérabilités chroniques résultant du niveau élevé de malnutrition, du faible accès à l’éducation scolaire, à l’eau potable et aux installations sanitaires. Parmi les multiples formes que peuvent prendre les violations des droits de l’enfant en raison de l'insécurité persistante, on peut citer : le travail des enfants, une forte augmentation de la traite des enfants, du travail forcé, du mariage précoce, ainsi que du recrutement forcé par les groupes armés non-étatique [FD, travailleur social, OUA, mai 2024].
Le traumatisme subi par les enfants est également un des motifs comme le relate cette mère.
Mes enfants sont traumatisés. Souvent ils refusent d’aller à l’école. Ils refusent de jouer avec les autres enfants du voisinage. Nous avons fait deux semaines avant que mon aîné qui a 9 ans accepte de sortir de la maison. Il préfère se cacher au fond de la maisonnette. Il a été très difficile de l’amener à s’alimenter. Ils ont finalement arrêté l’école l’année de notre arrivée. Nous sommes arrivés à Bobo-Dioulasso en 2022, mais c’est cette année que mes enfants ont repris le chemin de l’école [SC, Mère déplacée interne, BOB, juin 2024].
Il faut souligner le risque de détresse psychosociale et de détérioration de la santé mentale qui pèse sur les enfants en raison de la détérioration du contexte sécuritaire et des multiples déplacements qu’il induit. L’importance grandissante du phénomène des enfants abandonnés et des enfants en situation de mendicité, des cas d’enfants séparés ou enfants privés de famille est ressorti pendant les entrevues. En plus des conséquences directes sur les enfants et adolescents, la crise a également touché les cadres et services de protection des enfants.
2.2. Effets de la crise sur la disponibilité des cadres et services de protection des enfants et adolescents
La double crise sécuritaire et humanitaire a eu des répercussions sur le départ des agents de santé, la fermeture de nombreuses écoles. Elle a également affecté le système de protection de l’enfant sur le plan familial et communautaire et au niveau institutionnel.
Un enfant explique comment la crise a affecté ses relations avec ses propres parents.
Au village, on avait des espaces d’interactions avec les parents. Surtout le soir, ma mère est toujours là, même-si elle ne sait pas lire, elle surveille nos travaux et exercice de maison. Mon père rentre souvent tard, mais ma mère est toujours disponible pour nous. Elle nous confie souvent des tâches et quelques histoires sont racontées et c’était amusant. Ici à Ouagadougou, c’est à peine qu’on se voit. Depuis qu’on est arrivé, elle nous encourage à travailler. On ne parle plus d’école [ZC, enfant déplacé interne, 15 ans, OUA, mai 2024].
Le problème de manque de structure d’accueil est souligné par ce travailleur social.
Actuellement avec la crise, il y a de nombreux enfants à besoin de protection: les enfants mendiants retirés de la rue, les enfants abandonnés, les jeunes filles victimes de violences basées sur le genre (mariage précoce, viol, etc). Mais, il faut souligner que nous avons [FZ, travailleur social, BOB, juin 2024].
Au-delà de la disponibilité des cadres et services de protection et interactions au profit des enfants, la question de leur accessibilité se pose.
2.3. Effet de la crise sur l’accès aux cadres et services de protection des enfants
Au niveau des familles et communautés, les conditions de vie précaires de certains ménages peuvent contraindre les parents à manquer de temps pour les enfants (absence des parents ou insuffisance du suivi scolaire), à avoir une interaction de qualité avec les enfants, ce qui pourrait affecter l'éducation au sein de la famille. On se retrouve dans une situation où, les enfants n’ont pas accès à leurs parents qui sont plus préoccupés par la recherche de revenus. C’est le cas de [YV].
Nous sommes dans ce quartier depuis 2020. Je suis là avec ma mère, mon père et mes deux sœurs. J’ai 14 ans. Quand on était au village, si tu ne rentres pas à la maison avant 18h, mes parents se fâchaient. Que ce soit pendant l’année scolaire ou l’hivernage, sauf si on t’a envoyé à cette heure. Maintenant, ici à Ouagadougou, si tu rentres tôt sans apporter quelque chose, c’est un problème. Et les parents ne se préoccupent même plus de l’heure de sortie ou de retour à la maison. L’important est de ramener quelque chose. Donc je travaille dans ce garage pour pouvoir apporter un peu d’argent à ma mère [YV, enfant déplacé interne, 14 ans, OUA, mai 2024].
Les données révèlent que dans un contexte marqué par la crise sécuritaire, des acteurs du système de protection font face à de nombreux défis, notamment la migration des enfants qui engendre d’autres problématiques telles que le phénomène de mendicité des enfants et des femmes, l’exploitation de la jeune fille, les violences et abus divers faits sur les enfants.
3. Discussion
Les observations ont montré que le village ou le lignage qui était un cadre traditionnel était perçu comme étant la prolongation naturelle de la famille et était le modèle de référence pour l'identité des individus comme l’avaient souligné certains auteurs qui avaient également relevé la place centrale de la famille dans le processus de socialisation de l’enfant (D. Bonnet et C. E de Suremain 2008; F. Ezembé, 2009; D.
Jonckers, 1997; C. Kuyu Mwissa, 2005). Il est également ressorti que l’enfant était perçu comme étant la richesse et l’espoir de la famille qu’il faut protéger. Cela rejoint l’observation selon laquelle l’enfant représente la continuité et est le garant de l’avenir de la société ; de ce fait, il unit, prolonge et rappelle ses ascendants (Kuyu Mwissa, 2005). La ville, dans sa configuration actuelle disperse les familles et foyers. Le modèle familial en contexte urbain devient la famille nucléaire. La relation mère-enfant est ainsi troublée par l'angoisse de la mère qui se retrouve seule et partagée entre la tradition et la modernité. Les mères en milieux urbains ne trouvent plus d'appui dans leur propre famille. Cela confirme les résultats de recherche de H. Collomb (1985) selon lesquels « le sein est mesuré » car, les contacts physiques, si importants dans le développement de l'enfant, entre la mère et l'enfant se sont appauvris au fur et à mesure.
Conclusion
La présente étude a eu le mérite d’analyser les effets de la situation sécuritaire et humanitaire sur les enfants et adolescents, sur la disponibilité des cadres et services de protection des enfants et adolescents, et sur l’accessibilité des cadres et services de protection par ces derniers. Il est ressorti que la protection de l’enfant est un devoir collectif et doit être au cœur des priorités pour assurer l’avenir de la Nation. La famille seule ne peut pas assurer la protection de l’enfant au regard des exigences des programmes scolaires qui font que les enfants passent beaucoup de temps avec leurs enseignants. L’école seule ne peut jouer ce rôle non plus en raison de son caractère extroverti. Un équilibre doit donc être trouvé entre les différents mode d’éducation: éducation familiale, éducation scolaire, etc. pour que l’enfant, au bout du processus de socialisation soit un adulte accompli.
Bibliographie
COLLOMB Henri (1985), “Études transculturelles”, in S. Lebovici, R. Diatkine, M. Soulé (EDS) Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, pp. 363-421 Paris, Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.diatk.2004.01.0363.
Kuyu Mwissa, Camille, (2005). “Les Domaines de la Parenté Africaine”. In Parenté et famille dans les cultures africaines (p. 21- 50). Karthala. Consulté le 12 avril 2025, via le lien: https://shs.cairn.info/parente-et-famille-dans-les-cultures-africaines-
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JONCKERS, Danielle, (1997). « Les enfants confiés », dans Pilon M., Locoh T., Vignikin E., Vimard P. (éd.), Ménages et familles en Afrique, Pans, Ceped (Les Études du Ceped, n° 15), p. 193- 208
BLUMER, Herbert, (1969). Symbolic Interaction: perspective, and method, Prentice-Hall, Englewood Cliffs.
MORRISSETTE Joëlle, (2009). Manières de faire l’évaluation formative des apprentissages selon un groupe d’enseignantes du primaire : une perspective interactionniste. Thèse de doctorat. Université Laval.
KINDA Fatoumata, (1995). Analyse de la situation des enfants et des femmes au Burkina Faso. Naître fille au Burkina Faso. Ministère de l’Action Sociale et de la Famille, Ouagadougou, UNICEF, 31p.
ERNY Pierre, (2020). « L’enfant dans la pensée traditionnelle de l’Afrique Noire », Revue des sciences sociales [En ligne], 64 | 2020, mis en ligne le 30 novembre 2020, consulté le 12 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/revss/6002 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.6002, in Erny et Chamboredon. Deux regards précurseurs sur l’âge, p.144-149,
FOUCAULT, Michel, (1975). Surveiller et punir. Paris, Gallimard.
SAWADOGO Honorine Pegdwendé, (2007). Stratégies de survie des enfants vivant dans la rue : cas de la ville de Ouagadougou. Mémoire de Maîtrise, Université Joseph KI-ZERBO, 94p.
SAWADOGO Honorine Pegdwendé, (2011). La mendicité des mères de jumeaux : de l’acte symbolique traditionnel à la «mendicité professionnelle» dans la ville de Ouagadougou. Mémoire de MASTER II/Recherche, Université Joseph KI-ZERBO, 74p.
Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique intitulé : Problématique de la protection des enfants et des adolescents dans un contexte de crise sécuritaire et humanitaire à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso
Auteur: SAWADOGO Honorine Pegdwendé
Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche scientifique et technologique de Ouagadougou — INSS/CNRST
Revue Science et Technique du CNRST, Lettres, Sciences Sociales Et Humaines, Vol.41, No1, pp.245–274. juin 2025, P-ISSN : 1011-6028, E-ISSN : 2756-7605.
DOI : https://doi.org/10.64707/revstlsh.v41i1.1864