La première édition des Journées Rakiré, tenue le 26 octobre 2025 au restaurant Geo Service à Ouaga 2000, a célébré la parenté à plaisanterie entre Gourounsi et Bissa. Entre gastronomie, musique, humour et traditions, l’événement a magnifié la cohésion sociale burkinabè dans toute sa diversité.
Il est des jours où la convivialité reprend ses droits sur le tumulte des temps. Le dimanche 26 octobre 2025, le restaurant Geo Service, à Ouaga 2000, s’est mué en un vaste espace de fraternité où Bissa et Gourounsi ont rivalisé de bonne humeur, de rythmes traditionnels et de plats savoureux.
Placée sous le thème « La parenté à plaisanterie, socle de la cohésion sociale », la première édition des Journées RAKIRÉ a tenu toutes ses promesses. Dans un contexte national marqué par l’insécurité, elle a ravivé l’esprit de camaraderie et de paix qui caractérise le peuple burkinabè.
Une initiative culinaire et culturelle pour rapprocher les cœurs
Depuis quatre ans, le restaurant Geo Service met surtout en avant la richesse des saveurs locales.

À l’occasion de la première édition, Nadège Kagambega, la promotrice des journées Rakiré, a pu compter sur sa belle-sœur, l’artiste Maï Lingani, pour donner vie à l’évènement.
L’artiste, investie comme organisatrice principale, a coordonné les différentes animations culinaires et artistiques spécialement imaginées pour cette journée.
« À travers les Journées RAKIRÉ, nous voulons célébrer la parenté à plaisanterie, socle de la cohésion sociale », explique Maï Lingani.

« Et comme Geo Service est déjà une vitrine de l’art culinaire, il nous a semblé naturel d’en faire un moment de partage autour de la table et de la scène. »
Pour ce premier “face-à-face”, le choix s’est porté sur deux communautés emblématiques, les Bissa et les Gourounsi, unies depuis toujours par un lien de taquinerie réciproque.
« Ma belle-sœur Nadège est Gourounsi, moi je suis Bissa », sourit l’artiste. « Alors on s’est dit que la charité bien ordonnée commençant par soi-même, on ouvre le bal avec nos propres familles. »
Des mets identitaires remis à l’honneur
Sur les longues tables dressées à Geo Service, la tradition s’est invitée en reine. Zamné, boussang touba, sauces à la pâte d’arachide, viandes grillées, gâteaux de mil et autres plats rivalisaient de parfums et de couleurs.
Certains mets rares, parfois oubliés, ont surpris les plus jeunes.
« Moi-même, j’ai découvert des plats que je ne connaissais pas », reconnaît Maï Lingani. « C’est extraordinaire. Nous voulons que nos enfants connaissent les spécialités de chaque communauté pour qu’ils grandissent fiers de leurs racines. »
Les boissons locales accompagnaient les repas : jus de bissap, de tédo, d’ananas, zom koom et le fameux dolo, emblème des réjouissances communautaires. De quoi faire voyager les convives d’un terroir à l’autre, dans une ambiance de fête bon enfant.
Une scène ouverte à la tradition et à la modernité
Les Journées RAKIRÉ ne se limitaient pas à la dégustation.
L’évènement a transformé Geo Service en une scène ouverte où se sont relayés troupes traditionnelles, danseurs, slameurs et musiciens tradi-modernes.
Les chants, les percussions et les rires se mêlaient aux effluves du fourneau, donnant au lieu un parfum d’unité retrouvée.
« Geo Service, ce n’est pas seulement l’art culinaire, c’est aussi l’art de la scène », souligne la promotrice du restaurant, heureuse de voir l’enthousiasme du public.
L’affluence a largement dépassé les prévisions.
« Nous avons une capacité de 250 places et pourtant il a fallu rajouter des chaises », confie Maï Lingani. « On voulait commencer en famille, et tout le Burkina s’est invité. Même la diaspora a appelé pour féliciter. Cela montre à quel point notre pays a soif de cohésion et de partage. »
Bénédictions, discours et rires partagés
La cérémonie a débuté par le mot de bienvenue de la promotrice et de son oncle Dieudonné Bationo, avant les bénédictions des chefs traditionnels gourounsi et bissa.
Ce moment solennel a rappelé que la parenté à plaisanterie n’est pas un simple jeu verbal, mais un pacte social et un héritage collectif.
Le ton a pris une autre dimension avec les interventions du parrain et de la marraine.
Ainsi, l’Honorable Docteur Dominique Zouré, médecin militaire à la retraite a livré une allocution aussi claire que profonde.

Selon lui, la parenté à plaisanterie « est un outil stratégique qu’il ne faut pas galvauder ».
« Là où les autres mécanismes échouent, elle parvient à rétablir le dialogue, à lever les obstacles et à restaurer la paix. C’est un héritage social que nous devons entretenir avec rigueur et respect. »
Poursuivant son propos, il a exprimé une inquiétude face à la dérive de certaines pratiques chez les jeunes : « Beaucoup ne connaissent même plus leur village d’origine et confondent parenté à plaisanterie et vulgarité. Ce n’est pas cela, la vraie philosophie du rakiré. Dans la plaisanterie, il y a de la sagesse, du lien, de la tolérance. C’est ce qui nous a toujours permis de surmonter les tensions. »
Il a plaidé pour un travail d’éducation culturelle, invitant les gardiens de la tradition à transmettre la véritable essence de ce lien social.
« Si nous redonnons à la parenté à plaisanterie toute sa noblesse, elle redeviendra un instrument de réconciliation et de paix durable. »
La marraine, l’Honorable Reine Sakandé/Bénao, ancienne députée également, a pris la parole dans le même esprit, mais avec la chaleur et la conviction qu’on lui connaît.

« La parenté à plaisanterie existe depuis nos ancêtres et demeure l’un des piliers du vivre-ensemble burkinabè. Quand un conflit éclate, il suffit souvent qu’un parent à plaisanterie intervienne pour apaiser les esprits. C’est une diplomatie sociale que le Burkina doit redécouvrir. »
Elle a salué « une belle initiative qui montre qu’au-delà des appartenances ethniques, nous partageons une même humanité ».


« Nous devons encourager ces cadres de rencontre, car c’est par le rire, la fraternité et le respect de nos coutumes que notre pays retrouvera la paix. Le rakiré est une école d’humour, mais aussi une école de sagesse et de tolérance. »
Les deux anciens députés ont ainsi uni leurs voix pour rappeler que la stabilité du Burkina passe aussi par la vitalité de ses traditions sociales.
Une première édition réussie et prometteuse
Tout au long de la journée, les échanges entre Gourounsi et Bissa ont alterné taquineries, danses et éclats de rire. Le buffet, ouvert après les bénédictions, a permis à tous de savourer les spécialités dans une ambiance familiale et joyeuse.

Au moment des remerciements, Nadège Kagambèga, la promotrice de Geo Service et des journées Rakiré n’a pas caché sa satisfaction.
« Nous avons voulu joindre l’utile à l’agréable, faire découvrir notre patrimoine culinaire tout en cultivant la paix par le dialogue et la taquinerie. »
L’initiatrice et son équipe envisagent déjà la suite.
« Pour les prochaines éditions, d’autres ethnies seront à l’honneur. Nous annoncerons bientôt quels peuples se feront face. Le but, c’est que chaque communauté se reconnaisse dans le rakiré et y trouve matière à se réjouir », précise Maï Lingani.
Un message fort dans un contexte sensible
Au-delà de la fête, les Journées RAKIRÉ ont délivré un message limpide.
La paix et la cohésion ne se décrètent pas ; elles se tissent au quotidien, dans les gestes simples et la reconnaissance mutuelle.

En remettant la parenté à plaisanterie à l’honneur, l’évènement a rappelé combien cette pratique, profondément enracinée dans la culture burkinabè, reste un rempart contre les divisions.
Dans un pays en quête d’unité, le rire partagé entre Gourounsi et Bissa valait bien un symbole : celui d’un Burkina qui, malgré les épreuves, sait encore s’asseoir ensemble autour d’un plat et d’un rythme ancestral.
Un éclat de rire pour cimenter la paix
Entre les effluves du porc rôti, les rythmes traditionnels et les blagues bon enfant, cette première édition des Journées RAKIRÉ a montré qu’il existe encore des gestes capables de rassembler. Sous les sourires complices des Gourounsi et des Bissa, c’est tout un pays qui s’est reconnu, uni, taquin, fier et toujours en marche.
Abrandi Arthur Liliou