Les prénoms en langue koromfe du Burkina Faso

Submitted by RedacteurenChef on Sun 14/12/2025 - 20:30
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Inoussa GUIRÉ

INSS/CNRST

03 BP : 7047 Ouagadougou 03 ;
+22676593791 ; 
inoussaguire@gmail.com

RÉSUMÉ

Cet article est un vulgarisation de GUIRE (2025b) consacré à la description des noms propres dans la langue koromfe parlée à Mengao et à Arbinda. Le corpus qui a servi à l’analyse a été constitué à partir des réseaux sociaux, d’entretiens individuels semidirectifs réalisés auprès des informateurs issus des deux variantes de cette langue. Il ressort de l’analyse morphologique que certains prénoms sont de forme simple tandis que d’autres sont constitués de mots composés et même d’énoncés lexicalisés. Au niveau sémantique, on relève des prénoms théophores, tanatophores, des prénoms dont le sens renvoie à la période de l’année, au jour de la semaine ou à période de la journée où l’enfant est né. Mais la plupart des prénoms expriment les circonstances particulières qui ont marqué la naissance des enfants qui les portent et auxquelles les parents tiennent.

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Introduction

En sciences humaines et sociales, le nom propre est un sujet qui intéresse plusieurs disciplines.  Si pour la plupart, il n’est qu’un passage pour l’atteinte de leurs objectifs, le nom propre  est lui-même objet d’étude  pour le linguiste et plus particulièrement l’onomasticien. Il est connu que pour l’historien par exemple, il « n'est qu'un passage pour atteindre le personnage historique ou l'individu, souvent une simple étiquette, alors qu'il peut être un but en soi en linguistique. L'étude du nom propre est justement le but de l'onomasticien » (Vaxelaire, 2009, p. 301). En traitement automatique des langues, la plupart des éléments des entités nommées sont des noms propres. Le nom propre est, dans une communauté linguistique, le témoignage de l’arrivée et de l’existence d’un individu ou de son passage sur terre. Son attribution à un enfant qui nait ou à un adulte selon les âges obéit à des principes selon les sociétés humaines. Il y a urgence en Afrique de préserver ce qu’il y a de noble et de beau dans nos cultures, plutôt que s’efforcer à emprunter des prénoms juifs, arabes ou autres, surtout lorsque l’on ignore le sens. L’évocation d’un prénom identifie et singularise l’être ainsi nommé et lui assigne ou rappelle souvent une fonction à vie. Notre travail porte sur les anthroponymes en koromfe, langue de type gur de la famille Niger-congo parlée au Nord du Burkina Faso. Il se propose de répondre aux questions suivantes : Comment attribue-t-on un anthroponyme individuel chez les koromba ? Quelle est la morphologie et le sémantisme qui se dégagent de l’expression d’un prénom en koromfe ? Autrement dit, comment fonctionnent les prénoms en koromfe ?

Les méthodes d’approche du nom propre diffèrent lorsque qu’on l’aborde sous l’angle synchronique ou sous l’angle diachronique. Nous nous inscrivons dans la synchronie en nous inspirant des travaux sur la langue fon au Bénin (Gnanguenon, 2017) et sur le fulfulde au Burkina Faso (Diallo, 2019). L’analyse du nom propre est souvent fondée sur la référence dans le cadre de la sémantique interprétative en onomastique textuelle (Hébert, 2022). Cette référence à pris de l’importance en informatique avec la théorie des entités nommés facilitant aux applications l’identification des noms propres et de tout ce qui relève des descriptions définies. De façon générale dans cette description du nom propre, la métaphore est prise en compte dans cette référence. Nous admettons l’étude du nom propre comme une structure langagière que nous prenons avant tout comme un « signe linguistique ». Ce qui nous permet de nous limiter à l’explication fondée sur les notions de signifié et du signifiant. Le signifiant renvoie à la morphologie (forme) et le signifié au sens. Les explications ou interprétations psychologiques est socio-culturelles basées sur le signifié peuvent être du ressort d’autres domaines de recherche.

A partir d’un sujet donné à cet effet sur le groupe WhatsApp des koromba de 514 membres par l’intermédiaire des administrateurs, un corpus de 122 prénoms est collecté sur les deux variantes de la langue.  Le corpus est composé essentiellement de fichiers audios au format OPUS. Ils ont ensuite été convertis en format WAV à partir du site https://convertio.co/fr/opus-wav/, puis transcrits à l’aide de Audacity. Avec la liste obtenue à partir de cette transcription, des entretiens auprès de personnes ressources originaires de Mengao et d’Arbinda ont été réalisés afin de recueillir le sémantisme des unités lexicales et notamment les circonstances d’attribution de chaque prénom.

Pour l’analyse morphologique et en prenant en compte la théorie du « désignateur rigide » comme « une propriété sémantique, fixée par les conventions générales du langage » (Engel, 2001, p. 147), une répartition morphologique des unités collectées a été faite en termes de prénoms simples et de prénoms composés, de prénoms avec ou sans articles, de prénoms diminutifs ou à structure du diminutif. Pour la partie sémantique, les prénoms ont été classés en anthroponymes événementiels traduisant la vie, le sort et la destinée. Il en est de même de ceux qui font référence directement ou indirectement à la mort, la famille, la fécondité, l’amitié ou la réussite, des anthroponymes exprimant la souffrance, la maladie, le conflit ou son règlement, les traits de caractère, la constitution physique, et enfin des anthroponymes se référant aux jours de la semaine ou à la période de l’année. La présentation de chaque unité lexicale est assortie de sa charge sémantique et de sa description morphologique conformément à la variation géographique que subit la langue koromfe dans son ensemble.

Résultats obtenus

 Nous faisons abstraction de l’inventaire des prénnoms recuillis pour présenter vite l’analyse qui en est faite 

La formes des prénoms

Parmi les prénoms répertoriés, certains se présentent sous une forme simple tandis que d’autres ont une morphologie complexe.

Les prénoms de forme simple

Dans la nomenclature des prénoms, on trouve de prénoms de forme simple, c’est-à-dire qu’ils sont composés d’un mot identifiable comme ayant une seule base lexématique. Il arrive que certains mots empruntés à l’arabe soient intégrés avec l’article d’origine qui peut [al-] ou [as-]. Mais comme le koromfe admet une voyelle à l’initiale dans sa phonotactique, cet article est est morphologiquement considéré comme une partie du mot emprunté, le tout apparaisse comme une seule unité lexicale. C’est l’exemple des prénoms comme Altɩnɛ, Assɛ que nous verrons plus loin dans les prénoms empruntés à l’arabe. D’autres prénoms qui ne sont pas des emprunts, attestent déjà de la voyelle centrale [a] à l’iinitiale, ce sont Abihoŋ, Ariɔ, Arcɔ̃ ou Arkɛ̃ɔ̃,  Arbi et Awʋrɛ.

La plupart des prénoms du corpus sont sans article. Même lorsqu’il provient d’un substantif sensé en être accompagné, cet article est absent lorsqu’il s’agit d’un usage anthroponymique. 

Exemple de prénoms de forme simple

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Les prénoms de formes complexes

Beaucoup de prénoms sont de formes complexes. Il s’agit essentiellement de prénoms obtenus par composition ou par emploi d’énoncés entiers lexicalisés.

Les prénoms composés

Certains prénoms sont composés de deux mots distincts. La lexicalisation réalisée permet d’aboutir à un lemme.

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On constate un traitement différent selon les variantes. En plus de la différence phonologique entre les unités lexicales comme dans kɛ̃ɔ̃ « femme » à l’Ouest et cɔ̃w « femme » à l’Est, la composition se fait avec perte du suffixe de classe dans la variante de l’Ouest. Au lieu de Arɩɔcɔ̃w comme à l’Est (Arbinda), c’est plutôt Arɩɔkɛ̃ɔ̃ qui est attesté Mengao. Dans ce tableau ci-dessus, tous les mots sont formés de deux bases nominales dont la première est généralement un nom de lieu ou de métier.

Les énoncés lexicalisés

Parmi les anthroponymes, on trouve un grand nombre de prénoms formés à partir d’énoncés ou de syntagmes lexicalisés 

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La négation contratée est une négation où mʋ ba « je n’ai pas » devient maa, dɩ ba « il n’a pas » devient daa, gʋ ba devient gaa.

Les prénoms diminutifs ou à structure du diminutif

Les prénoms diminutifs sont des prénoms qui portent généralement un suffixe du diminutif qui peut être ŋa, ga ou ka.

Exemple :

Boneeŋʌ

Keŋka

kɛtɛlŋa

Dans le premier cas, ce qui est petit se dit bonnəŋa Mais dans sa forme prénominale, les nasales gémminées sont réduites à une seule tandis que la voyelle de la deuxième syllabe connait une dupplication. Il est à noter que les prénoms de cette forme n’existent que dans la variante koromfe d’Arbinda. Pour celle de l’Ouest, l’adjectif qualificatif ne s’accordant pas avec le nom qu’il qualifie, il est impossible d’obtenir de telles formes.

A ces prénoms diminutifs, on peut ajouter ceux exprimés par les déixis personnels. 

Exemple :

Hoŋ : « celui » (employé seulement à Arbinda)

 Hoŋgo : « celui » (employé seulement à Mengao) 

dəkɔ : « lui »

abihoŋ : « lui l’enfant »

Hoŋ est un pronom démonstratif, dəkɔ est un pronom de la 3e personne du singulier et abihoŋ  est formé non seulement du pronom, mais il lui est en même temps adjoint le nom bi.

Parmi ces prénoms, on rencontre quelques emprunts issus de l’arabe, du songhay, du moore et probablement du fulfulde.

Les emprunts

Comme dans plusieurs domaines linguistiques, le phénomène de l’emprunt se fait remarquer avec les anthorponymes en koromfe.

Les emprunts de l’arabe

Il s’agit essentiellement des noms issus des jours de la semaine. Il faut rappeler que la religion musulmane ayant une grande influence actuellement dans la zone koromfephone, les prénoms issus de la tradition islamique, notamment des prophètes et hommes religieux sont très employés. La source de ces prénoms est bien connue dans la mesure où les circonstances de nomination sont bien connues. Il s’agit des prénoms demandés et obtenus auprès des dignitaires musulmans pour être attribués au jour du baptême qui a lieux le 7e ou le 14e ou encore le 20e jour suivant la naissance. Mais nous ne faisons cas ici que des prénoms non considérés comme tels mais intégrés au vocabulaire des koromba.

L’emprunt au songhay-zarma

Les noms suivant nous ont été donnés comme étant issus du songhay-zarma parlé également dans la zone d’Arbinda. Il s’agit de Hɛgɛy, Misi « je sais » ou almisi, Bɩnasa. Il nous revient que Karcɔ̃ en koromfe vient du mot songhay-zarma karwe « femme de Karʋ », souvent transformé en sarcɔ̃ « femme de vent ». Avec le temps, ce prénom est donné aux filles lorsqu’on veut leur attribuer un nom et qu’on ne trouve pas de circonstances particulières.

 On note également les prénoms comme Piiga, Taay, Həngɛn, Silleti , Ankɔbɔ  qui sont tous des emprunts. Par déformation, ces prénoms n’ont plus de signification connue par nos informateurs. 

L’emprunt au moore

Kayʋʋrɩ : « qui n’a pas de nom ». Ce prénom est attribué à un enfant lorsqu’il n’y a pas eu de situation ou un événement particulier depuis la grossesse jusqu’à sa naissance, qui puisse servir de référence et de souvenir.

Wintɩ : ce prénom est issu de l’expression wend n tõẽ qui signifie « c’est Dieu qui est capable ». 

Les emprunts au peul

On note quelques emprunts à la langue fulfulde, notamment au jelgooore ou au liptaakoore. Ce sont birgi « fumure », belko et booy (Diallo, 2019) et enfin njobboowa,. Ce dernier prénom est connu en milieu peul comme njobbo et correspond au nom du sixième enfant.

Le prénom est la première marque de distinction sociale de l’enfant désignant sa particularité et sa singularité. Selon les coutumes et les religions, l’attribution du prénom, qu’elle soit à la venue au monde du petit être ou à un certain âge après initiation, peut être non seulement célébrée, mais aussi rappelée périodiquement. Pour sa célébration, les rites de passages donnant lieu généralement à des cérémonies sont : la naissance, l’adoption, le passage à l’âge adulte, le mariage, la maternité/paternité, la survie à une maladie grave, le veuvage et la mort.

3. Sémantisme des prénoms

Dans cette section sont évoqués ceux qui ont le droit de nommer le nouveau-né, le jour du baptême et les circonstances d’attribution du prénom de l’enfant.

Du droit d’attribution des prénoms

Le droit de nommer un enfant chez les koromba revient à ceux qu’on appelle à Arbinda haweyma « aux tentes maternelles » et banama « aux tentes maternelles » à Mengao. A Arbinda, comme le mari laisse ce droit à sa femme, ses frères et sœurs perdent du même coup ce droit au profit de ses belles sœurs. Et s’il n’y a pas de belle-sœur directe pour assumer le rôle de donneuse de prénom, la responsabilité revient aux autres beaux-parents de sexe féminin.

A Mengao, de façon traditionnelle, il y a plusieurs niveaux de nomination du nouveau-né.  Il y a l’attribution du nom par Asendesa « chef de terre » sur présentation du bébé par sa tante si l’enfant est le seul ou premier garçon de ses deux géniteurs, et donc premier membre de sa famille. Ensuite, le père géniteur lui donne aussi un nom qui peut être celui de l’un de ses grands-parents paternels. Après cela, il est possible que le chef de la grande famille donne aussi un nom à l’enfant en plus de celui donné par le père biologique. Si le bébé est le premier fils de son père, il pourrait porter le nom de son grand-père. En zone koromba, un enfant ne prononce par facilement le nom de son propre père. Et comme ni son père encore moins sa mère ne peuvent prononcer son nom, ses parents géniteurs lui assignent un surnom. C’est la stratégie d’évitement. Et enfin, il est possible que l’enfant reçoive un quatrième nom après sa circoncision. Mais un seul finit par s’imposer. Si l’enfant est une fille, les parents sont autorisés à l’appeler par son nom.

Du choix du jour de l’attribution

L’attribution du prénom au nouveau-né dans la zone de Mengao est faite le septième jour de la naissance du bébé qui correspond au jour où la mère est autorisée à sortir de la maison où elle séjourne depuis qu’elle a accouché de son bébé. « Le septième jour après la naissance, lorsque la femme est autorisée à quitter la maison et que le père de l'enfant et tous les autres membres masculins de la famille sont autorisés à voir le nouveau-né, le chef de famille donne également un nom à l'enfant que lui seul peut choisir, sans autre cérémonie. Les noms sont souvent choisis après des événements naturels particulièrement marquants au moment de la naissance. Le nom donné au premier enfant de sexe masculin par le chef de famille ne doit jamais être prononcé par les parents. Même si ce fils décède, son nom n’est jamais prononcé par les parents. » (Schweeger-Hefel & Staude, 1972, p. 272). A Arbinda par contre, l’enfant vient avec son nom, c’est-à-dire que ce sont les circonstances de sa naissance qui déterminent son nom. De ce fait, il n’y a pas de jour précis pour le baptême. Nous parlons bien de ce qui se faisait indépendamment de l’influence de l’Islam ou de la chrétienté. Selon certains de nos informateurs, le prénom a toujours été donné une semaine après la naissance sans pour autant que ce soit avec immolation d’animaux comme en Islam. Ce qui confirme le constat de (Schweeger-Hefel & Staude, 1972) lors de ses enquêtes à Mengao. Mais à Arbinda, il ressort que traditionnellement, on n’attend pas une semaine pour donner un prénom. L’enfant nait avec son prénom, c’est la situation qu’il trouve dans sa famille au moment de sa naissance qui le particularise.

Les prénoms théophores

Les hommes pensent qu’en attribuant des noms qui rappellent Dieu, ils seraient protégés des vicissitudes de la vie. « La dénomination revêt une importance particulière dans la mesure où l’attribution des noms de personnes reflète les pratiques socioculturelles dans les communautés linguistiques données. L’homme se résigne, se confie à Dieu et aux objets créés par lui-même pour sa protection » (Kodio, Yalcouyé, & Dianka, 2021, p. 212). Mais nous n’avons pas rencontré des prénoms en koromfe dont la signification renvoie directement à Dieu ou qui sont composés de la notion de « Dieu » et d’autres unités lexicales.  Nous avons évoqué la « métaphoricité » en onomastique (Grimaud, 1990) dans la partie théorique, et bien les koromba trouvent osé de prononcer directement dɔfrɛ « Dieu », ils trouvent des moyens contournés pour le nommer, en évoquant par exemple les êtres et objets intermédiaires ils ont eu satisfaction. 

Exemple:

dɔbalakẽ : « c’est en haut qui est mieux ». Dans leur tradition les koromba connaissent l’existence et la supériorité de Dieu, mais prononcer le nom dɔfrɛ « Dieu » est un manque de respect, on dit toujours dɔba « le haut » et tout le reste de la créature est sɛ̃nɛ « le bas ». Dire dɔbalakẽ revient à dire dɔfrɛlakẽ « C’est Dieu qui est fort ». Ce prénom est attribué pour magnifier Dieu. A Arbinda il est exprimé sous forme de dɔbawali.

dɔbawali : « don (ou volonté, problème) du ciel ». Situation dont les parents ont duré avant de concevoir, signification : du ciel, ancienne conception de Dieu.

Lembiire : « nom d’un type d’oiseaux ». Il y a des oiseaux qui ne descendent que là où se trouvent les humains. Ces oiseaux s’appellent Lembiire. Il y a des rites qui sont faits sur ces oiseaux. Et lorsque les partisans de ces rites obtiennent un enfant par ces rites, ils ne prénomment ainsi.

 Bʌtiirʌʌ : « ils s’adossent » ou « se confient ». Ce prénom est donné à un enfant dont les parents se sont confiés à un objet de la nature (un arbre, une colline, une marre) connu pour sa capacité de donner la fécondité.

Wure : ceci est le nom du lieu où sont descendu, selon la légende, et où se font certains rites pour exorciser des maux. Ce nom est issu du verbe wurʌm « exorciser le mal ». Lorsqu’on obtient la conception d’un enfant à partir d’une demande faite en ce lieu, on attribue à cet enfant ce prénom.

Arɩɔ : « forgeron » prénom d’enfant de sexe masculin (dans la zone de Mengao) dont les parents sont allé à la forge, généralement avec un poulet comme cadeau, demander aux forgerons d’intercéder par leur pouvoir afin qu’ils aient un enfant. Si l’enfant est de sexe féminin, on lui attribuera comme prénom arkɛ̃ɔ̃ « femme de forgeron ». A Arbinda, au regard de la variation dialectale, l’enfant de sexe féminin s’appelle Arɩɔ cɔ̃w . Le lieu de cette demande, c’est-à-dire la forge s’appelle dɛŋʋ dans la variante de Mengao et wurgu dans la variante d’Arbinda

Les prénoms tanatophores

Les prénoms tanaphores font partie des anthroponymes événementiels. Ce sont ceux qui sont liés à la mort d’un proche parent, d’une personnalité du village ou d’un évènement catastrophique dans le village. Chez les koromba, il s’agit des situations où la femme perd chaque fois, soit la grossesse, le nouveau-né soit l’enfant en bas âge. La mort est comme « une sorte de divinité ou de fatalité ». Ces prénoms sont attribués dans le but de conjurer le sort qui emporte ces âmes. Mais les koromba n’attribuent pas leurs enfants des prénoms qui signifient directement la mort.

Bahʋ̃ndra signifie « ne se rappellera pas ». Ce prénom est attribué à un enfant d’un couple dont les enfants ne vivent pas longtemps. Il a pour but d’empêcher l’être ou l’esprit qui enlève (tue) la descendance de ce couple de se rappeler de cet enfant.

Balɩɔ ou « étranger » est donné dans les mêmes circonstances que Bahʋ̃ndra. Cette fois-ci c’est pour dire que cet enfant n’est pas concerné par la sanction qui s’abat sur la famille. Parfois, les membres d’une famille peuvent subir successivement la mort si bien qu’on cherche en vain la cause de cet acharnement. Il se pourrait que le malheur (mort) qui touche fréquemment la famille soit dû à une faute commise par un membre ou par pure coïncidence. Quel que soit la raison, cet enfant qui vient de naitre et qui est ainsi nommé est « étranger » à cette situation, et donc à épargner.

Bana « ils n’ont pas vu », prénom d’un enfant de sexe féminin qui est née alors que son père n’est plus présent, soit parce qu’il est décédé, soit parce qu’il a disparu.

Baabana « ils n’ont pas vu », prénom d’un enfant de sexe masculin qui est né alors que son père n’est plus présent, soit parce qu’il est décédé, soit parce qu’il a disparu.

kɔ̃nndɛ : « trouvé ». Ce prénom est donné à un enfant dont on pourrait soupçonner qu’il ne naitra pas trouver son père et pourtant qui l’a trouvé vivant. 

baakɔ̃nndɛ : « ils n’ont pas trouvé ». Ce prénom est donné à un enfant dont le père est décédé avant sa naissance. Ce prénom semble être l’équivalent de Baabana à Arbinda

Des circonstances de l’attribution

Il faut rappeler que dans certaines sociétés, il y a des anthroponymes liés aux croyances, aux esprits et d’autres qui sont événementiels et ce sont les plus nombreux. « Il y a plusieurs types d’anthroponymes événementiels, ce sont ceux qui traduisent la vie, le sort, la destinée. Il en est de même de ceux qui font référence à la mort, la famille, la fécondité, l’amitié ou la réussite, la force, la vaillance. Il y a aussi des anthroponymes qui expriment la souffrance, la maladie, le conflit ou son règlement, les traits de caractère, la noblesse, la gourmandise ou le statut l’orphelin. » (Gnanguenon, 2017, p. 26). A Mengao comme Arbinda, beaucoup de noms sont donnés selon les événements les plus marquants de la période de l’accouchement.

Les prénoms des aspirations, expression de souhait, de la joie

En koromfe de façon générale, il n’y a pas de prénoms selon le rang de naissance. 

Kʌnʌŋgo est issu de l’expression n kana go « tu n’as pas d’égal » ou « tu es exceptionnel(le) ».  C’est un des beaux prénoms chez les koromba.

Nʋ̃mʋ̃ndɩ « qui mange la viande ». C’est le prénom d’un enfant dont, depuis sa grossesse jusqu’à son accouchement, les parents (ou plus particulièrement sa mère) n’ont pas manqué de viande dans leur sauce ou dans leur nourriture. Initialement, on trouve généralement ce prénom dans les familles où le père est un chasseur.

Prénoms selon la période de l’année

On trouve chez les koromba, des prénoms qui rappellent la période de l’année à laquelle l’enfant est venu au monde. Ces peuvent être simples ou composés. 

Awubɔrɔ « l’homme du froid », enfant de sexe masculin né pendant la période froide de l’année.

Digow « semi », enfant né pendant la période des semis.

Sigo « hivernage ». Enfant né pendant l’hivernage. Si c’est une fille, on lui donne attribue sigocɔ̃w « femme de l’hivernage ».

Vɩ̃nna ou Vɛ̃ŋa « pluie », enfant né pendant la période de fortes pluies ou pendant qu’il pleut. Si l’enfant est de sexe masculin, on l’appelle Vɛ̃ŋasa « propriétaire de la pluie ».

Awʋrɛ « hivernage », fille née pendant l’hivernage.

Kibsibi : « enfant de kibsi », enfant né pendant la fête de tabaski. C’est l’un des noms qui rappellent l’influence de l’Islam en milieu koromba. On en rencontre fréquemment à Arbinda et rarement à Mengao.

Les prénoms selon les jours de la semaine

Les prénoms calendaires sont pour la plupart des emprunts de l’arabe. Ils sont pour cela introduit récemment dans le milieu des koromba à partir de l’islamisation de la zone. Il est difficile de situer exactement cette période, mais un des premiers maîtres coraniques, nommé Souleymane, bien connu dans la zone d’Arbinda est né vers 1915 à Bourzanga, fit ses études au Mali et en Mauritanie avant d’ouvrir son premier foyer coranique peu avant 1950. Il est décédé en 2004 à Djibo. Toutes les écoles medersa connues dans la province du Soum sont ouvertes après 1970. Et l’influence des prénoms arabes n’a fait que s’accentuer dans toute les Nord du Burkina, et particulièrement à Pobé Mengao et à Arbinda.

Les prénoms empruntés de l’arabe sont calqués sur les noms des jours de la semaine dans cette langue arabe (Guiré, 2018). Mais notre corpus ne nous a pas permis d’avoir autant de prénoms que les sept jours de la semaine. On a hʌʌdi pour les enfants nés les diamanche, Altinɛ  pour ceux qui sont né le lundi, Almɩsɩ pour jeudi et Jumma pour le vendredi. Pour les enfants nés le samedi, on a Asɛ ou sibto à Arbinda et Si ou Sibiri dans la zone de Pobé Mengao.

Prénoms selon la période de la journée

Sʋ̃ʋrɩ̃ « la matinée », Ce prénom d’enfants de sexe féminin est attribué lorsque l’enfant est née après le lever du soleil et avant midi. 

Nous n’avons pas pu avoir plus d’un exemple pour ce type de prénom.

Autres circonstances d’attribution des prénoms

Bɔrsamba : né à l’absence de son père, ou né en cours de route. Les interprétations diffèrent selon mes informateurs.

Hãŋsɛ : « bien », enfant dont la venue a contenté tout le monde. Semble correspondre à Dahãraw « a eu un cadeau » employé à Arbinda.

Maazɔ̃ɛ̃ : « je ne fais pas de choix », prénom d’un enfant dont la volonté des parents d’enfanter ne porte pas sur un choix particulier de sexe.

Pour un enfant né lors du passage d’un étranger, on donne généralement à l’enfant comme nom, le titre de l’étranger.

yɔcɔ̃w : « femme du chef », prénom d’un enfant né lors du passage d’un chef.

Wasacɔ̃w : « femme de wasa », prénom d’un enfant dont la mère ou le père est issu de la famille des propriétaires des rites de Wasa

Kusacɔ̃w : « femme de kusa », prénom d’un enfant dont les parents ont dû résider à Kusa avant d’aménager à Arbinda

Hɛmɛ : coïncidence avec ce qui doit être fait, 

Dabanɩ : nom de fille ou de garçon. « il a eu pour eux (un enfant) ». Situation : nom donné à l’enfant d’un couple uni par un mariage arrangé entre familles, mais aussi dont la belle famille (famille du mari) n’est pas aussi productive. Issu de n da ba nɩ « tu as eu le dessus sur eux (tes ennemis qui ne sont pas forcément humains)

Hɛnnɔ : « belle », prénom d’enfant de sexe féminin donné généralement par les tantes

Bellɔ : emprunt au peul, à ne pas confondre avec bɛlɔ « venant »

Bomba : « que l’on aime », prénom d’enfant né au milieu de filles (comme ansama en fulfulde), il se dit boŋba à Mengao avec un contexte légèrement différent.

Boneeŋʌ : « petit ». Dans une grande famille où un oncle ou un autre parent plus âgé porte le même nom, un enfant homonyme aura cet ajout à son nom. Et par le temps, on finit par garder le terme Boneeŋʌ en oubliant le nom principal.

Bonsegu : « on l’aura voulu » ou « on l’aurait souhaité ». Prénom d’un enfant de sexe masculin dont les parents auraient souhaité la conception.

Cɛ̃nabara : « mari des femmes ». C’est le prénom d’un enfant de sexe masculin qui a trouvé beaucoup de grands-mères ou de tantes maternelles et/ou paternelles en vie.

Dalabɔrɔ : « l’homme de Dala ». Ce prénom est attribué à un enfant dont la mère est allée en visite à Dala et l’y a accouché.

Dambɔrɔ : « l’homme de la maison ». Ce prénom peut être donné dans les mêmes situation que celui de cɛ̃nabara où il y aurait moins d’hommes dans la grande famille.

Yɩba hʋmnɩ : « volonté des chefs », nom d’enfant masculin correspondance de yɔcɔ̃w, attribué à un enfant né pendant le passage du chef dans la zone.

Balebe : « ils ont construit ». Lorsqu’un mariage est fait sur la base de don entre familles, ce prénom est attribué à l’enfant issu de ce mariage afin de signifier que cet enfant a renforcé (construit) les liens entre les deux familles. A Arbinda, le prénom correspondant est Lobra « viendra construire (la famille) », mais dans une situation où ses parents enfantent rarement.

Kansɛgɛba : de ka n sɛgɛ ba « ne leur fait pas de tors », lorsqu’un mari meurt et laisse son épouse seule, dans la tradition, les frères du défunt doivent venir lui faire une proposition de mariage. Si tous font la proposition et s’y intéressent réellement et qu’elle accepte un d’entre eux, et que les autres en sont mécontents pour n’avoir pas été retenu, alors si elle accouche de son premier enfant, on lui attribue ce prénom pour rappeler la nécessité de garder l’entente et la cohésion au sein de la grande famille.

hɛnnɔ : « la belle » prénom d’enfant à Arbinda, ce prénom féminin est donné pour rappeler sa beauté. 

Hãnaw : « cadeau ». Lorsqu’on fait un cadeau mémorable, ou plus précisément lorsqu’on donne une fille en mariage comme cadeau. La famille bénéficiaire ou d’accueil de cette épouse donnera ce prénom à son enfant pour rappeler toujours la reconnaissance de ce bienfait. On pourra toujours rappeler les circonstances de ce bienfait à tout celui qui posera par exemple la question suivante ; « C’est le cadeau de qui ? ».

Mʌʌlira : « je n’oublierai pas ».  Ce prénom est donné à un enfant par son père pour signifier qu’il n’oubliera pas une situation marquante le concernant qui se serait passée. 

Maatamɛ : « je ne me suis pas égaré ». Lorsqu’un mariage est fait et que certains prétendent qu’il ne fallait pas, que cette union n’aurait pas dû être, ce prénom est alors donné à l’enfant issu de cette union par son père pour rappeler qu’il ne s’était pas trompé.

Baalɛbɛ : « ils n’ont pas fauté, ils ne se sont pas trompés », prénom d’un enfant qui est issu d’une union par lien familial

Maalɛbɛ : « je ne me suis pas trompé », prénom d’un enfant (des deux sexes) qui est issu d’un souhait honoré, réalisé. 

Kabatagʋ : «ne tire pas sur lui ». Ce prénom est lié à la chasse. Il arrive que certains Chasseurs qui n’ont pas de fécondité rencontrent des animaux qui mystérieusement leur parlent. Souvent l’animal dit au chasseur de ne pas le tuer, et en retour, il lui montre ce qu’il doit faire pour avoir la fécondité. Si tout se passe comme prévu pour le chasseur, il donnera à son enfant ce prénom, qui constitue en même temps désormais un interdit.

Boŋba : « on les aime ». Lorsqu’un homme n’arrive pas à concevoir avec sa femme, et qu’il entreprenne la recherche de solution jusqu’à ce qu’il obtienne un enfant, il donnera ce prénom à son enfant non seulement pour dire qu’il aime l’enfant, mais aussi qu’il aime en avoir davantage.

Dɔnɔm : « la bonté ». Ce nom a une variante libre qui est yʋ̃ndɔnɔm « bonne tête » ou « chanceux ». On attribue ce prénom à un enfant lorsque la période du travail pour son accouchement a été brève. On pourrait comprendre que Dieu a facilité sans pour autant qu’on prononce le nom de Dieu. On l’attribue aussi pour tout enfant dont la chance a marqué sa naissance et qui l’aurait maintenu en vie.

 Dɔnɔmbɛnɛ : « la chance est venue ». Ce nom est attribué par exemple la femme perd successivement ses grossesses ou bébés et ensuite elle accouche un enfant qui reste en vie jusqu’à son baptême. Cet enfant portera ce prénom afin de signifier la joie du couple. Il est aussi attribué lorsque l’enfant vient après une période de mésentente entre la femme et son époux parce qu’ils n’arrivaient pas à enfanter. Dans ce dernier cas, la joie est constatée depuis la grossesse jusqu’à l’accouchement.

Gamɛ : « effort ». Ce prénom est donné à un enfant dont les parents ont fourni divers efforts avant de l’avoir. 

Hɔ̃mnɛ : « intelligence ». Ce prénom fait simplement partie des plus beaux. Son équivalent à Arbinda est Hɔ̃mnɩ, attribué aux enfants de sexe féminin dont on souhaite qu’il soit intelligent.

Hɔ̃mnɩsa : « malin ou intelligent », enfant de sexe masculin dont on souhaite qu’il soit intelligent 

Kabasay : « qu’ils ne se séparent pas ». En attribuant ce prénom à son enfant, c’est un message que l’on voudrait avoir toujours comme rappel dans la grande famille.

Seni : « pourquoi ? ». Ce prénom est une sorte de question sous une forme énigmatique. Souvent il y a souvent des soucis dans des couples. Lorsqu’un enfant est né dans un couple et on veut garder un message pour ceux qui s’opposent à la survie de ce couple, on peut lui attribuer ce prénom. Le message complet pourrait être a seni na bole ke ka tɔɩ naŋsa tɩ ? « Pourquoi n’avez-vous pas voulu que cette union ait lieu ? ». 

Kʋ̃ndɔw : « trouvaille ». Ce prénom est attribué à un enfant qui a trouvé ses 4 arrières grands-parents ou qui ressemble à l’un d’entre eux.

Wʋ̃ndrɛ : « nombril ». Ce prénom donné à un enfant dont l’aspect physique du nombril est remarquable.

bàná : « ils ont vu ». Quand un couple dure avant de concevoir un enfant et que cela devient source de raillerie, lorsqu’il conçoit finalement, on donne ce nom pour répondre aux commérages par ce message ba na bi nanndɩ « ils ont vu l’enfant (que nous avons conçu) ». Ce prénom a une variante libre qui est nàná « vous avez vu ». Le ton n’est pas pertinent dans cette langue de manière générale, mais il permet ici de faire la différence.

Labʋ : « associe-toi ». Ce prénom d’enfant à Mengao est issu de l’expression Labʋ-ba ke gʋ dɔ̃m la « associe-toi à eux parce que vous êtes la même chose ». Lorsqu’une femme conçoit avec un nouveau mari alors qu’elle avait eu des enfants avec un autre, ou inversement lorsque l’homme conçoit avec une nouvelle épouse alors qu’il en avait avec une autre ou d’autres femmes, on peut attribuer ce prénom afin de rappeler à cet enfant la nécessité de collaborer socialement avec les autres. 

Larbʋ : « enfants de la quête ». Ce prénom est attribué à un enfant dont le père exerce une activité comme le commerce. Nous n’avons pas eu plus d’éclaircissement sur ce prénom.

Lɔlɔtɩ : Ce prénom d’enfant de sexe masculin est issu de l’expression lo n lo n tɩ « percer doublement et mettre ». Cela renvoie directement aux méthodes rituelles de recherche de la pluie en période de canicule. Ceux qui sont détenteurs de cette pratique en savent plus sur cette expression dans le royaume du Lorum.

Sɛbra : « dira ». Ce prénom d’enfant de sexe masculin est issu de l’expression n sɛbraa « tu diras » ou « tu informeras ». Le message qui y est contenu est qu’on en parlera, on parlera de cet enfant.

bɩrfɔ : « voyant ». Ce prénom d’enfant de sexe masculin est attribué pour faire le lien avec la voyance, la capacité de connaitre ce qui est caché au commun des mortels. Notre informateur, un des gardiens des traditions de cette communauté linguistique, n’a pas voulu nous en dire plus.

yebi « observe (regarde) l’enfant » ou « garde l’enfant ». Ce prénom d’enfant de sexe masculin est attribué pour insister sur la nécessité de prendre soin du nouveau membre de la famille.

kɔgtɩ : Ce prénom d’enfant est une déformation de l’expression ka gʋ tɩ « Que ce ne soit pas fait ». L’expression la plus compréhensible est ka n tɩ « ne fais pas » ou « ne mets pas ». Ce pourrait être attribué dans une situation où un interdit est fait et qu’on ne voudra pas que cela se répète. La déformation permet de rendre la circonstance moins perceptible pour le non initié. Bien que donné par les informateurs de la variante koromfe d’Arbinda, le sens ce prénom y ignoré au point où on pense qu’il est un emprunt venu du Ghana.

Les prénoms de circonstances sont le plus nombreux en koromfe. Comme l’ont souligné nos informateurs, ce sont le plus souvent les circonstances de naissance de l’enfant de vie du couple qui déterminent le choix du prénom en koromfe, donc « l’enfant vient avec son prénom » .

Discussion

Il est à noter que le droit d’attribution du prénom revient aux belles sœurs de l’époux chez les koromba. On retrouve cette situation dans d’autres communautés linguistiques. Chez les dagara par exemple, « outre les femmes du lignage maternel ou paternel, on remarque que certaines alliées (co-épouse du père, épouse de l’oncle maternel) disposent du droit de dénomination sur l’enfant ; mais non, semble-t-il, les alliés (époux de la sœur, de la mère, de la sœur de la grand-mère) » (Lallemand, 1970, p. 106). Il faut ajouter qu’il n’y a pas de règle explicite qui l’interdit, mais les frères du père, de par leur position de samba « pères », s’abstiennent naturellement. Ce qui se passe à Mengao avec l’attribution du prénom par le chef de la grande famille est identique à ce qui se constate chez les dogons. En effet, « après la naissance, le Dogon amène son bébé chez le chef de clan qui va invoquer les dieux pour confier l’enfant à une de ces déités » (Kodio, Yalcouyé, & Dianka, 2021, p. 220). Avec l’arrivée de l’Islam, c’est presque le contraire qui est observé. Même si le prénom est choisi de commun accord par la mère et le père avant le jour du baptême, c’est au père de donner le nom de l’enfant afin que l’imam ou le publieur le fasse le jour du baptême. Tout comme en koromfe d’Arbinda, le choix du prénom, lorsqu’il est de nature théophorique, a effectivement pour but souvent de « détourner les forces hostiles » (Bromberger, 1982, p. 119). Mais en koromfe, nous n’avons pas pu avoir des prénoms composés dont l’un des éléments signifie « Dieu » ou « mort ». C’est par la métaphore (Grimaud, 1990) que la notion de « Dieu » ou de la « mort » sont évoquées. On évoque les objets par lesquels on est passé pour avoir l’enfant, mais pas directement le « Dieu » créateur. Pour les types de prénoms, cela varie selon les cultures. Chez les Toussian par exemple, on trouve trois types ; le premier prénom est donné à la petite enfance et les deux autres le sont à la petite et à la grande initiation. (Sanogo, 2007). Chez les koromba d’Arbinda, les cérémonies d’initiations ont presque disparues, si bien qu’il n’y a plus d’attribution de prénoms à l’initiation, par contre à Mengao, cette tradition est encore conservée, même s’il faut reconnaitre que l’Islam tend à faire disparaitre ces pratiques dans tout le Nord du Burkina Faso. Tout comme chez koromba dans leur ensemble, nous trouvons les prénoms circonstanciels chez les moose (Houis, 1963), les Gouins (Lallemand, 1970), les peuls (Diallo, 2019), les Bwaba (Kohoun & Tuina, 2021) pour ne citer que ceux-là.

De plus en plus, les prénoms en koromfe sont abandonnés, voire méconnus par la nouvelle génération. Pourtant, les prénoms donnés dans nos langues africaines sont souvent plus évocateurs pour les locuteurs que ceux qui sont empruntés de l’Islam ou de la chrétienté, dans la mesure où ils sont exprimés dans la langue que les communautés maîtrisent. On en trouve qui se rapportent à l’animisme, à une croyance indépendante de toute tache d’association ou de syncrétisme mais aussi des prénoms sans connotation religieuse. L’acculturation vient du rejet des expressions langagières et de nos valeurs sociales souvent considérées à tort ou à raison comme rétrogrades. Et comme la langue est un moyen de communication, des expressions peuvent être trouvées dans nos langues pour exprimer ce qui peut l’être par l’arabe, le français ou l’anglais qui sont souvent mal compris. « La décolonisation se marque par la recherche d'une identité nationale par le refus des noms imposés par les colonisateurs et par le choix de noms rappelant soit l'héritage antérieur à la colonisation, soit les dates et événements… » (Grimaud, 1990, p. 13). Le bon prénom ne vient pas forcement de l’exotisme, il peut être trouvé dans nos langues, et adapté au choix des parents tout en gardant certains contenus culturels. « Les prénoms théophores existent dans de nombreuses cultures ». Des emprunts de sens, des innovations peuvent apportées dans nos langues pour les enrichir s’il le faut.  Des conflits inutiles naissent du choix des prénoms après la venue d’une enfant dans certains couples du fait de l’ignorance ou de la méconnaissance des données linguistiques endogènes. Il est important que nous donnions à nos descendants, des prénoms issus de nos langues. Les musulmans par exemple pourraient utiliser des jolis prénoms en koromfe, avec des sens nobles, sans pour autant enfreindre à la religion par association (chirk). 

Conclusion

Au regard des différents aspects que nous venons d’évoquer sur les noms propres, on retient que la forme linguistique, le sémantisme et les circonstances prédisposent au choix du prénom en koromfe. Au niveau de la morphologie, on note des prénoms de forme simple et d’autres plus complexes formés de mots ou d’énoncés entiers lexicalisés. Des emprunts aux langues de contacts ont été intégrés avec des modifications souvent qui ne permettent plus de retrouver le sens initial. Au niveau sémantique, on retient des prénoms théophores, tanatophores, des prénoms attribués selon la période de l’année, le jour de la semaine ou la période de la journée. Mais la plupart des prénoms sont attribués selon les circonstances de la naissance de l’enfant ou dans lesquelles vivaient ses parents avant qu’il ne vienne au monde. Et le prénom de l’enfant véhiculera à vie le sémantisme lié à ces circonstances. Ce qui permet de déterminer le profil culturel de ce groupe linguistique et les rapports entretenus avec les forces de la nature. Des religieux pourraient bien utiliser la langue koromfe pour attribuer des prénoms que tous comprennent dans cette communauté, avec une beauté linguistique et un sémantisme culturellement noble sans pour autant tomber dans l’association ou enfreindre aux principes de sa fois.

Bibliographie

GUIRE Inoussa, (2025b), Description des prénoms en koromfe, Actes de la journée scientifique en hommage à Gérard KEDREBEOGO, Les Editions CNRST, ISBN : 978-2-494747-07-4, pp.27-53