Un héritage authentique menacé

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Cour royale de Tiébélé
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La Cour royale de Tiébélé est un joyau architectural authentique qui fait la fierté de la commune rurale de Tiébélé. Elle attire de nombreux touristes et elle a été inscrite, en 2012, sur la Liste indicative des États parties de l’Unesco. Allons à la découverte de cet héritage culturel authentique menacé.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), située au pied d'une colline dans un paysage de plaine, la Cour royale de Tiébélé forme un espace circulaire irrégulier d'environ 1,2 ha. On y accède au sud-ouest par l'entrée principale. On distingue plusieurs éléments caractéristiques : le Pourou, butte sacrée où sont enterrés les placentas des membres de la famille, le nabarê, l’autel de l’ancêtre, le figuier rouge, des pierres sacrées, la case du tribunal, le cimetière des ancêtres et au fond les concessions divisées en 5 domaines correspondant aux catégories suivantes : les princes, les gardiens des tambours, les aînés, les petits frères, et les porte- paroles. Chaque concession s’organise autour d’une maison mère qui, vue d’en haut a la forme d’un huit. La cour est caractérisée par une riche architecture traditionnelle de caractère défensif. Elle est entourée de hauts murs de clôture reliés par des murs des habitations. L'ensemble forme une enceinte difficilement franchissable.
L'habitat Kassena est entièrement construit en matériaux locaux : terre, bois et paille. Les cases n'ont pas de fondation, les murs sont élevés en terre façonnée. La terre mélangée avec des fibres et de la bouse de vache est humidifiée jusqu'à un état de plasticité idéal, permettant de façonner des surfaces quasiment verticales, un peu comme sont façonnées les grandes poteries. Le rythme de construction est de 4 à 5 couches par jour soit environ 30 cm. la hauteur de la case peut atteindre une dizaine de levées de banco et l'épaisseur 20 à 15 cm. Aujourd'hui cette technique est remplacée par l'utilisation des briques de terre crue moulées (adobes) avec des murs reposant sur de larges fondations en pierres. Le système de toiture en terrasse est développé dans l'architecture kassena. Après la construction, la femme applique une décoration murale aux motifs et techniques variables, ce qui renforce la protection des constructions. C’est une pratique très ancienne qui remonte depuis le XVIème siècle après JC.
Les kasséna font partie des groupes ethniques les plus anciennement installés sur le territoire burkinabè. Ils sont classés dans le groupe des Gurunse tout comme d’autres groupes ethniques : Nankana, Nuni, Lélé… Divers mouvements migratoires, situés vers le XVIè siècle, contribuèrent à la mise en place du peuplement Kasséna. Certaines populations sont venues du pays moaga au nord, et d’autres des villages kassena au sud en territoire ghanéen. On peut estimer que la mise en place du peuplement Kasséna s’est achevée au XVè siècle par la constitution du territoire Kassongo. L’origine de la chefferie de Tiébélé, la plus importante du Kassongo, remonte au XVIè siècle. A l’origine les Kassena tout comme les autres groupes ethniques Gurunse ne connaissaient pas de chefferie. Les nombreux brassages au XVIè siècle notamment avec les groupes qui remontèrent du pays moaga ont entraîné la naissance de la chefferie en pays Kasséna. Le style architectural kassena s’est développé dans tout l’espace kassena allant du nord Ghana au sud du Bukina Faso.

Justification de la valeur universelle exceptionnelle

L'habitat Kassena est entièrement construit en matériaux locaux : terre, bois et paille. Les cases n'ont pas de fondation, les murs sont élevés en terre façonnée. La terre mélangée avec des fibres et de la bouse de vache est humidifiée jusqu'à un état de plasticité idéal, permettant de façonner des surfaces quasiment verticales, un peu comme sont façonnées les grandes poteries. Le rythme de construction est de 4 à 5 couches par jour soit environ 30 cm. la hauteur de la case peut atteindre une dizaine de levées de banco et l'épaisseur 20 à 15 cm. Aujourd'hui cette technique est remplacée par l'utilisation des briques de terre crue moulées (adobes) avec des murs reposant sur de larges fondations en pierres. Le système de toiture en terrasse est développé dans l'architecture kassena. Après la construction, la femme applique une décoration murale aux motifs et techniques variables, ce qui renforce la protection des constructions. C’est une pratique très ancienne qui remonte depuis le XVI ème siècle ap JC.

Des critères pour l’inscription

La Cour royale de Tiébélé n’a pas été inscrite sur la Liste du patrimoine mondiale. Par contre, elle est inscrite sur la Liste indicative des États parties. Elle constitue, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), un témoignage exceptionnel des traditions Kasséna. Que ce soit l’architecture et les décorations des habitations, l’organisation sociale, la chefferie traditionnelle et coutumière ou bien encore les croyances et la religion, de multiples aspects de la riche culture de ce peuple ont traversé le temps et demeurent vivaces.
En plus de l’architecture unique de caractère défensif, la cour royale est un haut lieu des traditions et des pratiques Kassena notamment la peinture murale qui dénote des prouesses artistiques de la femme Kassena. Dans la cour, le chef pratique les rites religieux traditionnels. Des séances de divination permettant de consulter les ancêtres et divinités du panthéon kasséna ont lieu couramment. Selon les résultats, on pourra être amené à faire des offrandes sur des autels spécifiquement dédiés, visibles devant chaque maison mère.

Déclaration d’authenticité et/ou d’intégrité

La cour Royale de Tiébélé constitue un témoignage exceptionnel des traditions Kasséna. Que ce soit l’architecture et les décorations des habitations, l’organisation sociale de la chefferie ou bien encore les croyances et la religion, de multiples aspects de la riche culture de ce peuple ont traversé le temps et demeurent vivaces.
Le Pè (chef) est garant de l’ordre social. Il préside toutes les cérémonies coutumières et a le pouvoir de décision lui permettant de réagir face à des problèmes sérieux tels que les famines, les épidémies et les conflits inter villageois. Il est aidé dans sa tâche par les chefs de quartier, les conseillers, les aînés des lignages princiers, ainsi que les notables qui servent de relais avec les chefs des soixante-neuf (69) villages dépendant de Tiébélé.

Dans la cour, le chef pratique les rites religieux traditionnels. Des séances de divination permettant de consulter les ancêtres et divinités du panthéon kasséna ont lieu couramment. Selon les résultats, on pourra être amené à faire des offrandes sur des autels spécifiquement dédiés, visibles devant chaque maison mère. Certaines offrandes sont faites en direction des collines ou des rivières où résident les divinités sollicitées.
De nos jours, aux côtés du pouvoir traditionnel, cohabite un pouvoir moderne incarné par un exécutif municipal (le maire de la commune) et un représentant du pouvoir central (le préfet). Toutefois, les populations demeurent attachées à leur chefferie traditionnelle et coutumière.

En terme d’adaptation à l’évolution sociale, beaucoup de Kassena se sont convertis aux nouvelles religions (islam, christianisme). Ils demeurent toutefois attachés aux pratiques rituelles et traditionnelles donnant ainsi naissance à un syncrétisme religieux.

Organisation de la Cour royale de Tiébélé

Au niveau de l’entrée principale, on distingue plusieurs éléments caractéristiques des cours royales en pays Kasséna.
D’abord, il y a le « Pourrou ». C’est une butte sacrée où sont enterrés les placentas des nouveaux-nés mis au monde dans la cour. C’est depuis son sommet que « celui qui tape le tambour » vient annoncer les nouvelles aux habitants du village. Le « pourrou » de Tiébélé, particulièrement grand, témoigne de l’ancienneté de la cour royale, ce qui lui confère un prestige particulier auprès des autres villages et chefferies de la région.
Ensuite, il y a le figuier rouge. Il atteste également de la puissance de la chefferie de Tiébélé car dit-on : « Toutes les familles puissantes possèdent un figuier devant leur cour ». D’autres arbres, qui comprennent notamment un grand baobab et plusieurs kapokiers, jouent un rôle de protection pour les habitants.
En outre, il y a les pierres sacrées. Un grand nombre de pierres sacrées se trouvent sous le figuier. Ces pierres sont des sièges réservés aux « princes » ou aux habitants de la cour royale. Il est interdit à toute autre personne de toucher à ces pierres ou de s’y asseoir. A quelques mètres de là, de l’autre côté de la placette d’entrée, se trouvent d’autres pierres réservées aux notables du village.

Puis, il y a la case du tribunal appelée « nakongo ». Elle est située à la droite de la porte d’entrée de la cour. C’est la maison des ancêtres de la famille royale à l’intérieur de laquelle sont jugés les habitants du village. En cas d’infraction consciente des interdits, la sanction suprême est la mort. Toutefois la personne qui a commis les infractions peut réparer son tord en apportant un poulet ou un mouton pour le sacrifice.
Par ailleurs, le cimetière des ancêtres est situé derrière le « nakongo », dans un large espace situé juste après l’entrée principale et avant les premières concessions.

À l’intérieur, la cour est divisée en domaines réservés à des groupes précis. Sont principalement habilités à y vivre les princes héritiers, leurs femmes et leurs grands-parents. Vivent également dans celle-ci les gardiens des tambours et flûtes sacrées, les porte-parole, les portiers et enfin les serviteurs du chef.
Chaque domaine est composé de concessions juxtaposées, où vivent les familles. La concession est composée de plusieurs cases reliées de murs et de murets, délimitant un certain nombre de cours et courettes. Cette configuration de familles regroupées autour du Chef, est originale en pays Kasséna, où l’habitat est le plus souvent organisé sous forme de concessions isolées. Elle est l’expression spatiale de l’organisation du pouvoir à Tiébélé.
Sur l’ensemble, un espace important est accordé aux voies de circulation et aux espaces communs, dans lesquels s’organisent, à différentes échelles, toute la vie de la cour, des groupements et des familles.
L’architecture Kasséna doit sa complexité non pas à la diversité des formes d’habitat, mais à la variété des compositions possibles dans une concession. Ces compositions permettent de créer de nombreux espaces clos, semi-clos ou à ciel ouvert, répondant aux multiples usages sociaux et spirituels, propres à la culture Kasséna.
Les concessions sont composées de modules simples, qui évoluent en fonction des changements familiaux, ce qui explique aussi bien la présence de constructions rajoutées que de ruines de cases abandonnées. Les matériaux de construction de ces dernières sont souvent recyclés. On est donc en présence d’une architecture dynamique.
L’architecture : symbolique, diversité et évolution
L’apparente simplicité des formes architecturales observées dans chaque concession, dissimule la remarquable fonctionnalité des lieux et leurs significations symboliques et sociales. Dans une concession, les différentes formes peuvent être repérées :

  • « draa » : La case ronde à toiture de chaume. Elle est destinée au célibataire, mais elle peut aussi être occupée par un homme âgé ou un devin.
  • « dinian » : La case en forme de 8, appelée « maison mère ». Les cases en huit comportent généralement deux pièces : une cuisine, une chambre et une pièce d’accueil à ciel ouvert. La porte d’entrée est toujours orientée vers l’ouest. Ces « maisons mère » abritent l’esprit des ancêtres. C’est pour cette raison qu’elles sont habitées par les personnes âgées, considérées comme les plus initiées aux pratiques coutumières. Les jarres sacrées, les fétiches, les nattes des morts y sont gardées. La grand-mère en particulier a pour rôle d’éduquer ses petits-enfants aux coutumes et traditions ancestrales Kasséna.
  • « mangolo » : La maison rectangulaire. Elle est réservée aux jeunes mariés. Elle a été introduite plus récemment afin que la femme vienne habiter dans la famille de son mari. Une courette située au côté nord de la concession est réservée à l’aîné et une autre, côté sud, est réservée au benjamin.
  • Les greniers, poulaillers et autres étables. D’importantes réserves de vivres (grains, volailles et petits caprins) sont stockées en permanence au sein de chaque concession.

Les décorations murales : savoir-faire individuel et collectif.

Chaque année, vers le mois de mai, juste avant la saison des pluies, les femmes procèdent collectivement à la décoration murale de leur case. Celle dont la maison va être décorée fait appel à d’autres femmes pour l’aider. Elle devra nourrir le groupe et apporter de l’eau tandis que la plus âgée conduit les travaux et définit les décorations et motifs. Les autres femmes réalisent leurs tâches sans aucune hésitation, avec une remarquable maîtrise des gestes à accomplir et une parfaite coordination.

L’organisation des travaux est pourtant complexe. En une seule journée, il faut préparer les surfaces murales, fabriquer les différents enduits et peintures, acheminer les matériaux, appliquer, effectuer les lissages et traitements de surface soit à la main, soit avec d’autres outils spécifiques selon la finition recherchée (galets, balais, plumes etc..).
Ces travaux à la fois utiles et décoratifs sont aussi des temps de rencontre entre générations et finalement, de transmission de la culture Kasséna. Des échanges de savoir-faire sont également attestés entre les femmes de Tiébélé et leurs voisines ghanéennes qui perpétuent aussi la technique des peintures murales. Ces connaissances maintenues et transmises par les femmes détentrices constituent un témoignage unique de pratiques séculaires, qui leur permet de composer librement des frises de motifs dont chacune porte un sens.
Un patrimoine menacé
De nombreux aléas climatiques, mais aussi sociaux, fragilisent l’équilibre de ce lieu :

  • La topographie accidentée de la Cour royale menace particulièrement le bien. Elle accentue les phénomènes d’érosion des sols et entraîne des inondations dans les concessions situées sur le bas de la colline royale. Cette menace a d’ailleurs été fatale lors des précipitations anormalement élevées d’automne 2007, qui ont provoqué l’écroulement de plusieurs « maisonsmères » et de nombreux greniers.
  • L’entretien des concessions et leurs transformations occasionnent parfois des erreurs constructives à l’origine de problèmes d’érosion et d’évacuation des eaux hors de la cour royale.
  • Le degré important d’usage des espaces extérieurs dans la Cour Royale est à l’origine de déformation des sols, provoquant des stagnations et des remontées capillaires dans les murs en terre.
  •  Enfin les terres à Tiébélé sont très convoitées, sans doute à cause de la poussée démographique mais aussi de la hausse de la valeur touristique de la région. L’aménagement urbain autour d’un tel bien d’exception, doit être contrôlé, afin d’en préserver la lisibilité et la valeur.


Comparaison avec d’autres biens similaires


Le style architectural kassena s’est développé dans tout l’espace kassena allant du nord Ghana au sud du Bukina Faso. Dans la commune de Tiébélé et dans les environs, on retrouve le même style architectural dans les grandes familles : Guénon, Kollo, Kaya, Tangassogo. La cour royale se distingue des autres cours par sa taille (32 cases mères) la présence des symboles forts de la tradition Kasséna. On pourrait comparer l’architecture Kasséna et celle des Lobi et des Bobo, communautés vivant aux sud-ouest et à l’ouest du Burkina Faso, ainsi qu’à celle des bétamaribé du nord Togo inscrit sur la lite du patrimoine mondial en 2004. Elles ont toutes un caractère défensif, utilisent presque la même technique de construction (bauge), mais de nombreuses différences existent dans la morphologie ainsi que les motifs et symboles de décorations murales pratiquées.
L’architecture lobi est du style forteresse avec toiture en terrasse, tout comme celle Bobo, mais ces deux types peuvent être surmontés d’un à deux étages. L’architecture bétamaribé a en plus conservé les toitures en paille.
Jean-Yves Nébié