Dialysés et insuffisants rénaux : Dans les couloirs de Yalgado

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4-Eugène Traoré

Il existe de nombreux préjugés sur l’insuffisance rénale sous nos tropiques. Perçue à tort comme un « mal de riche » ou un « mal de Blanc », elle est une tueuse impitoyable qui n’épargne personne. Causée par le déséquilibre alimentaire ou la surconsommation d’alcool ou de stupéfiants qui affecte le fonctionnement normal des reins, l’insuffisance rénale est un mal dont on parle peu. Les victimes sont pourtant nombreuses et leur quotidien est un véritable chemin de croix. Le 1er février 2018, nous leur avons rendu une visite au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHUYO).

ls se confient à nous dans ce reportage.

Le rein est un organe pair situé dans la partie postérieure de l’abdomen, précisément en arrière du péritoine dans les fosses lombaires, de part et d’autre de la colonne vertébrale. Au nombre de deux, le rein mesure en moyenne 12 cm de haut, 3 cm de large et 3cm d’épaisseur. Il a une forme de haricot, assure essentiellement les fonctions d’épuration en éliminant certains composés qui seront excrétés dans les urines, celle de régulation du milieu intérieur en permettant d’éviter les excès ou les carences d’eau, de sels minéraux. Il sécrète aussi des hormones comme la rénine, responsable de la régulation de la tension artérielle, ou l’érythropoïétine, qui stimule la sécrétion de globules rouges par la moelle osseuse.

Le rein est un organe vital du corps humain et son fonctionnement peut être dégradé par de nombreuses maladies telles l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle ou l’exposition à des toxines (fluor, alcool, sodium, plomb, etc.).  En cas de déficience grave, les derniers recours sont la filtration externe du sang dans un rein artificiel ou dialyse, ou la greffe de rein. Les personnes atteintes d’insuffisance rénale vivent un supplice inimaginable. Quand vos reins ne fonctionnent plus, c’est votre vie qui s’en trouve totalement affectée, vos habitudes, votre mode de vie, votre alimentation, etc. Les patients rencontrés dans le cadre de ce reportage nous parlent de leurs peines.
Mercredi 31 janvier 2018. Nous contactons Dramane Paré, président de l’Association burkinabè des dialysés et insuffisants rénaux (ABUDIR), pour la mise en route de notre sortie de terrain. Notre interlocuteur nous donne rendez-vous pour le lendemain, jeudi 01 février 2018, à 09 heures, au siège de l’association sis dans l’enceinte de l’hôpital Yalgado (CHUYO).

Le jour convenu, nous sommes sur les lieux avant même notre interlocuteur. Nous décidons donc de visiter l’hôpital en attendant sa venue. Après une longue heure d’attente que nous mettons à profit pour inspecter certains services, notre homme arrive et nous conduit au siège de l’ABUDIR. Juste le temps de se délester de son sac, nous voilà au service de néphrologie, où nous devons rencontrer le Pr Gérard Coulibaly, néphrologue (spécialiste du rein) afin d’avoir son autorisation pour la réalisation des entretiens et la prise des images dans la salle de dialyse. Malheureusement, ce dernier nous confie qu’il faut avoir une autorisation de la hiérarchie de l’hôpital et nous recommande d’introduire une demande d’autorisation auprès du service de communication. Nous le quittons sur ces notes et entreprenons de faire la démarche. Néanmoins, la chance faisant le journalisme, nous tombons sur quelques malades qui veulent s’exprimer.

Le martyre des dialysés et insuffisants rénaux

Est de ceux-là Vincent de Paul Ouédraogo, âgé de vingt-sept (27) ans. Nous ne pouvons détacher notre regard de lui. Son corps est émacié et rabougri, d’où notre première impression qu’il s’agissait d’un enfant.  La souffrance se lit sur son visage. Il est là pour une transfusion sanguine car il est anémié. Le corps marqué par la maladie, les yeux fuyants, la voix haletante, il nous raconte son histoire. Etudiant en droit à l’Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso de 2014-2015, Vincent De Paul découvre en 2015 qu’il souffre d’une insuffisance rénale. Il est alors en deuxième année. Il abandonne l’université et quitte Bobo-Dioulasso pour Ouagadougou (où se situait le centre unique de dialyse du Burkina Faso. L’unité de dialyse du CHU Blaise Compaoré, quant à elle, n’est fonctionnelle que depuis le 6 février 2018). A son arrivée, il vit chez sa grande sœur, qui prenait soin de lui. Mais, il fut un moment où celle-ci semblait exaspérée. Vincent de Paul est abandonné à lui-même, sans aucune ressource financière pour se prendre en charge et faire face aux dépenses liées aux ordonnances médicales ; il élit domicile au sein de l’hôpital Yalgado. A son supplice physique s’ajoute le martyr moral lié à son abandon. Son tourment ne cesse pourtant pas avec sa venue à l’hôpital. Il passe désormais ses jours et ses nuits dans les couloirs de l’hôpital, abandonné aux éléments naturels. En plus, il doit faire face à sa santé capricieuse qui se détériore régulièrement, parce qu’en plus de l’insuffisance rénale chronique dont il souffre, Vincent de Paul est également atteint d’hypertension artérielle. Désemparé, il explique pourquoi il vit dans ses conditions : « Au début de ma maladie, les parents et la famille me soutenaient et m’aidaient. Maintenant ils m’ont délaissé et abandonné à mon sort à cause du manque de moyens. Je vis grâce aux bonnes volontés et aux dons car je ne travaille pas à cause de mon état. J’ai besoin d’aide et mon plus grand souhait est de bénéficier de la transplantation rénale pour reprendre le cours de ma vie. Aidez-moi à retrouver l’espoir de la vie perdue. Je n’ai vraiment plus de moyens pour prendre en charge mes examens médicaux qu’il faut réaliser régulièrement », murmure-t-il comme s’il se parlait à lui-même. En juillet 2016, Vincent de Paul commence la dialyse grâce aux aides de l’ABUDIR et des personnes de bonne volonté. Mais il n’a qu’une séance par semaine au lieu de deux préconisées. C’est dire qu’il est sous-dialysé. « Nous sommes dans une situation précaire ici. Sur le plan alimentaire, c’est difficile car je dois éviter certains aliments comme la banane, la pastèque, le sel, le sucre, etc. Nous devons faire attention à ne pas consommer des aliments qui contiennent de grandes quantités d’eau, car il faut conserver son urine en soi pendant tout ce temps, cinq (5) ou six (6) jours. C’est difficile, et quelques fois les appareils tombent en panne. Ils ne sont pas installés dans de très bonnes conditions. Il fait chaud dans les salles de dialyse alors que le matériel a besoin d’un emplacement réfrigéré », confesse-t-il. Actuellement, notre grand malade a trouvé un domicile et vit chez son cousin au quartier Wemtenga de Ouagadougou. C’est un jeune homme anxieux et inquiet de son sort que nous quittons, pour rejoindre le siège de l’association où nous attendent deux autres patientes, Denise Sawadogo et Aminata Claudine Ouoba.

La première, une belle jeune femme, souriante. Mais c’est une apparence rayonnante qui cache son mal ; l’habit ne fait véritablement pas le moine…Secrétaire dans un établissement privé de la capitale, Denise a été diagnostiquée insuffisante rénale chronique en 2013 alors qu’elle était étudiante en Lettres Modernes à l’Université Norbert Zongo de Koudougou. C’est un coup d’arrêt pour ses études. Elle passe un (1) mois au service de néphrologie avant de bénéficier de la dialyse. Aînée d’une famille aux modestes ressources, elle doit trouver un emploi afin de subvenir aux frais médicaux, se prendre en charge et venir en aide à la famille restée à Zorgho. « Pour le moment, je n’ai pas de soutien de personnes de bonne volonté, je vis grâce à mon travail, même si c’est difficile. Il faut que je fasse mes examens et que je vienne régulièrement à l’hôpital. Si je n’y viens pas je vais mourir », confesse-t-elle. Notre entretien est bref ; Denise se retire après avoir refusé la photo pour protéger son anonymat. Après son départ, c’est Aminata Claudine Ouoba qui vient à nous.

Secrétaire générale de l’ABUDIR, âgée de 46 ans, Aminata Claudine est enseignante dans un établissement privé d’enseignement primaire. En 2011-2012, elle découvre qu’elle souffre d’hypertension artérielle. Elle commence le traitement mais elle ne respecte pas totalement les prescriptions. Puis, en 2014, cette hypertension artérielle entraîne la survenue d’une insuffisance rénale chronique. C’est un coup dur à supporter, mais elle s’en remet à Dieu et à l’église qui la soutient en l’aidant à payer la contribution de cinq cent mille (500 000) Francs CFA pour la dialyse et deux-cent cinquante mille (250 000) Francs CFA pour la réalisation de la fistule (dispositif permettant d’insérer le cathéter et d’effectuer plus facilement la dialyse). « Au départ, c’était difficile. Ce sont les parents et les frères de l’église qui m’ont aidée », dit-elle. Et d’ajouter que les conditions sont très difficiles surtout pour s’alimenter : « Nous devons contrôler tout ce qu’on mange désormais. Notre consommation quotidienne en eau ne doit pas excéder le sachet de 25 cl ; même quand l’aliment est liquide, il faut que la quantité d’eau soit inférieure ou égale à celle du sachet d’eau de 25 cl par jour, pas une goute en plus. Il ne faut pas manger ce qui est salé ou sucré ». Aminata Claudine subit deux séances de dialyse par semaine et elle souffre toujours de l’hypertension artérielle. Pour ce qui est conditions de vie, elle nous confie que ce n’est pas facile. Les coûts des examens ont des répercussions sur ses finances et elle a encore besoin de l’aide de l’église et de sa famille. Avant de nous quitter, elle lance un appel aux bonnes volontés afin qu’elles viennent en aide aux malades. Puis elle met en garde : « Soyez prudent. Faites attention à tout ce que vous mangez. Cette maladie est destructrice. Contrôlez votre alimentation s’il vous plaît ! ». Nous partons de l’hôpital inquiet de leur sort, en gardant tout de même à l’esprit la mise en garde d’Aminata Claudine.

Lundi 5 février 2018, nous sommes de retour au CHU Yalgado Ouédraogo. Nous apportons la demande d’autorisation pour la réalisation des entretiens avec les spécialistes, comme nous l’a recommandé le Pr Gérard Coulibaly. Malgré les relances téléphoniques répétées, nous n’avons pas de retour des autorités de l’hôpital jusqu’au 21 février 2018, où nous obtenons la fameuse autorisation.

Vendredi 23 février 2018. Nous nous rendons à Yalgado. Il est 9 heures. Nous avons été recommandé au major Charles Bayiré. Il nous fait porter une blouse blanche et des protections avant de nous conduire dans les salles de dialyse en nous faisant traverser une cour pleine de malades qui attendent leur tour pour se faire dialyser. Leur nombre nous fait peur car ils sont au moins une vingtaine. Nous entrons enfin dans cette unité où les insuffisants rénaux trouvent leur soulagement par la magie de la dialyse. Le mélange des odeurs humaines, des médicaments et des produits de nettoyage y est omniprésent. Des malades couchés de gauche à droite sur des lits sont branchés à des machines. L’ambiance est bruyante à cause du ronronnement des machines mêlées à celui des ventilateurs qui tournent à plein régime pour rafraîchir un tant soit peu les équipements et l’atmosphère chaude. Toutes les places, une dizaine, sont occupées. Des hommes et des femmes en blouses déambulent de patient en patient pour effectuer des vérifications ou des branchements.

Le major nous confie aux soins de Yacouba Dahny, cadre de santé en technique d’hémodialyse. Celui-ci est chargé de nous guider et de nous expliquer le fonctionnement des machines. Le sourire aux lèvres, il décrit le processus de dialyse. « La dialyse consiste à épurer, à nettoyer le sang des patients. Elle joue le rôle des reins puisque ces derniers ne fonctionnent plus. Pour qu’un malade soit admis en dialyse, il faut que ses deux reins soient défaillants et n’arrivent plus à nettoyer son sang. Nous utilisons l’appareil d’hémodialyse pour pallier cette défaillance. Pour ce faire, on réalise une fistule pour relier l’artère et la veine pour avoir un accès vasculaire avec un débit sanguin important. Puis on place une première aiguille qui va aspirer le sang et l’amener à la machine et il va passer par le rein artificiel ou dialyseur pour être épuré. Le sang épuré revient dans le corps par la deuxième aiguille », dit-il dans sa présentation. Tout en parlant il nous montre le dispositif : une machine d’hémodialyse, des lignes, de l’eau pure, un tube appelé le rein artificiel, du bicarbonate, un système d’évacuation des eaux usées. Le processus de dialyse dure quatre (4) heures. Lors des présentations, nous remarquons que les machines portent chacune le nom d’une province (Ganzourgou, Banwa, Gourma, etc.). Selon notre guide, ces noms permettent d’identifier plus aisément les appareils pour la maintenance. Sur le visage des patients silencieux, on remarque un petit air de soulagement parce qu’il faut à nouveau faire une dialyse dans les prochains jours pour apaiser les douleurs. Les machines fonctionnent presque sans arrêt. Notre interlocuteur attire notre attention sur les problèmes qui minent l’unité de dialyse. La première difficulté, affirme-t-il, est le manque de consommables. Il y a souvent des ruptures de reins artificiels, un manque d’héparine (un anticoagulant), de bicarbonate. Il manque souvent des lignes extracorporelles, des kits de dialyse. Ces ruptures s’expliquent par le fait que, pour chaque patient et pour chaque séance de dialyse, il faut utiliser des consommables non réutilisables (reins artificiels, aiguilles, lignes, bicarbonate, etc.). Cela justifie aussi le coût onéreux de la dialyse. « Nous travaillons ici à l’étouffement car c’est le centre unique du pays ; maintenant nous avons l’unité de l’hôpital Blaise Compaoré qui est fonctionnelle pour nous aider. Notre souhait est de voir l’unité de Bobo en fonction très bientôt. A Bobo, les machines sont installées. C’est le manque de consommables (héparine, sérum physiologique, etc.) qui retarde la mise en fonction de ce centre », confie-t-il.

Avant de quitter la salle de dialyse, nous nous entretenons avec un patient. Il se nomme Sy Eugène Traoré, catéchiste de profession. Il a commencé la dialyse le 21 septembre 2017. Il a dû quitter Bobo pour Ouagadougou afin de pouvoir réaliser ses deux séances de dialyse par semaine. Les yeux dans le vide, il nous dit : « Au début, ce n’était pas du tout facile. La paroisse a dû contribuer pour payer mes soins. Mais je m’en remets à Dieu par la prière ».
Nous quittons cette salle le cœur serré de voir autant de malades dans cette situation. C’est là que Yacouba Dahny formule un souhait. Il aimerait que nous puissions sensibiliser les populations afin qu’elles prennent conscience du danger car l’insuffisance rénale est un tueur silencieux qui n’épargne personne. « Les causes sont liées à notre hygiène alimentaire. Mangeons sain. Evitons les aliments très salés ou très sucrés. Evitons l’automédication et la prise des stupéfiants. Prenons conscience du mal ; aujourd’hui, la frange la plus touchée est la jeunesse. La moyenne d’âge est de 42 ans au Burkina. Il y a même des enfants parmi nos patients et c’est difficile à accepter », conclut-il d’une voix lasse.

Jean-Yves Nébié